Les poursuites contre Orhan Pamuk sont confirmées en appel

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Alors qu’un amendement de l’article 301 du code pénal turc est inscrit à l’ordre du jour du Parlement d’Ankara, suscitant un très vif débat sur la scène politique turque, la Cour d’appel suprême de Turquie a donné raison aux défenseurs de cet article très controversé qui sanctionne les atteintes à l’identité turque en invalidant, mardi 22 janvier, une décision de justice rejetant la plainte qui avait été déposée contre l’écrivain turc et prix Nobel de littérature Orhan Pamuk pour ses propos concernant le génocide des Arméniens. Dans un entretien accordé à un journal suisse et publié en 2005, l’écrivain turc avait notamment déclaré : « Nous avons tué 30 000 Kurdes et un million d’Arméniens dans ces territoires. Personne à part moi, n’ose affirmer cela en Turquie ». Pour avoir eu l’audace de faire publiquement de telles déclarations, O. Pamuk devait s’attirer les foudres des milieux nationalistes turcs et d’une grande partie de l’opinion publique de Turquie, au nom de laquelle un groupe de cinq personnes portaient plainte contre l’écrivain, accusé d’avoir attenté à la dignité de l’ensemble de la nation turque en lui faisant porter la responsabilité des atrocités commises contre les Arméniens lors du démembrement de l’Empire ottoman. Les plaignants avaient été déboutés en 2006 par un tribunal de première instance d’Istanbul qui avait estimé que les déclarations d’O.Pamuk ne portaient pas atteinte à leurs droits individuels, mais ils interjetteront de cette décision en appel. La Cour d’appel leur a donc donné raison, en invalidant cette décision au prétexte que le système judiciaire turc ne renfermait pas une définition précise des droits individuels. Elle a estimé que les plaignants avaient le droit de porter plainte contre les déclarations de O. Pamuk car celles-ci portent atteinte à leur citoyenneté. En conséquence, la Cour a demandé une révision de l’affaire, estimant que les plaignants avaient le droit pour eux en engageant des poursuites contre l’écrivain.
L’annulation en appel de la décision du tribunal d’Istanbul constitue un camouflet pour les milieux démocratiques de Turquie, qui commémorent le premier anniversaire de l’assassinat du directeur du journal arméno-turc Agos, Hrant Dink, pourchassé par la justice au nom de l’article 301 et tombé le 19 janvier 2007 à Istanbul sous les balles d’un jeune nationaliste turc. Peu après son assassinat, O. Pamuk avait fait l’objet de menaces de mort et avait dû fuir la Turquie. Cette décision de justice constitue par la même un encouragement à ces milieux nationalistes qui exigent le maintien en l’état par de l’article 301, dont l’Union européenne a enfin réalisé qu’elle constituait un obstacle au processus d’intégration de la Turquie à l’Europe. Le verdict de la Cour d’appel ouvre par ailleurs la voie à des milliers de poursuites contre O. Pamuk. Peu avant, l’avocat des plaignants, Kemal Kerinsiz, bien connu pour ses positions ultranationalistes, avait indiqué que des milliers de plaintes seraient déposées contre O. Pamuk, qui devrait y perdre tout son argent du Nobel, si la Cour suprême d’appel invalidait le verdict du tribunal d’Istanbul.
Par ailleurs, des informations divulguées par la police turque signalent qu’un certain nombre de personnalités politiques d’origine kurde figuraient sur la liste d’un groupe ultranationaliste, dont 33 membres, parmi lesquels des soldats à la retraite, des journalistes, des avocats de la mouvance nationaliste et des figures reconnues du milieu turc, ont été arrêtés cette semaine. Ces arrestations, survenues le 22 janvier, sont liées à la découverte d’un véritable arsenal, comprenant notamment des grenades et des détonateurs de bombes, dans un appartement d’Istanbul en juin dernier. La police les suspecte d’avoir projeté l’assassinat de O. Pamuk, du journaliste Fehmi Konu et des responsables politiques kurdes Leyla Zana, Osman Baydemir et Ahmet Turk. L’enquête de la police pourrait établir le lien entre les suspects et une série d’attentats politiques qui avaient indigné l’opinion publique turque au cours des deux dernières années, dont l’assassinat de Hrant Dink, du prêtre catholique italien Andrea Santoro et d’un juge abattu par un homme qui avait fait irruption dans le siège de la principale administration judiciaire du pays. Parmi les suspects figurerait l’avocat Kemal Kerincsiz, celui-là même qui avait représenté les cinq plaignants dans la procédure engagée contre O. Pamuk, entre autres actions judiciaires intentées par le passé contre Dink et d’autres intellectuels « coupables » de vouloir mettre en doute l’écriture officielle des dernières années de l’Empire ottoman et plus particulièrement, celle de ses pages les plus sombres que constituent les massacres des Arméniens, dont la qualification de génocide est jugée attentatoire à la dignité de la Turquie et passible des sanctions prévues par l’article 301. Autre personnalité figurant sur la liste des suspects, le général à la retraite Velik Kucuk, qui a été accusé d’avoir commandité les exécutions extrajudiciaires de Kurdes dans les années 1990, un colonel à la retraite, un éditorialiste, le porte-parole de l’église orthodoxe de Turquie et deux figures du milieu turc. Le magazine turc Sabah désigne ces arrestations comme un coup sévère porté à « l’Etat profond » turc, cette occulte nébuleuse administrative et militaire qui a jeté des passerelles dans les milieux politiques et financiers et qui recrutent souvent dans le milieu ou parmi les populations les plus pauvres les exécuteurs de ses basses œuvres, généralement placées au service de la grandeur de la Turquie. Pour les serviteurs de cet « Etat profond », O. Pamuk, loin d’avoir œuvré à la grandeur de la Turquie en lui offrant un prix Nobel, a attenté à la dignité de son pays. Si cet « Etat profond » reflète la réalité de l’Etat turc, on peut se demander si cet Etat est digne de O. Pamuk…

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Author: raffi

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