L’holocauste arménien oublié : le massacre qui inspira Hitler

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Info Collectif VAN – www.collectifvan.org – Le Collectif VAN vous soumet cette traduction d’un article en anglais paru sur Daily Mail le 02 septembre 2007. Zoe Brennan, la journaliste du Daily Mail, signe un article implacable qui fait rejaillir devant nos yeux, l’épouvante des années 1915/16. Du génocide arménien du XXème siècle au négationnisme de l’Etat turc, ses mots nous plongent dans la violence extrême dont ils témoignent…

Daily Mail

2 Septembre 2007

L’holocauste arménien oublié : le massacre qui inspira Hitler

Zoe Brennan

Ce fut en pleine nuit que les gendarmes turcs vinrent chercher Megrditch Nazarian ; ils ne lui laissèrent guère le temps de s’habiller et il dut quitter son domicile en pyjama.

C’était en 1915 ; sa femme, Varter, savait qu’elle ne le reverrait probablement jamais plus, car les hommes arméniens étaient alors rassemblés et emmenés. Ils étaient, selon le terme employé par leurs persécuteurs, « déportés », mais en fait c’était vers un autre monde.

Varter ne sut jamais exactement quel fut le sort de son mari. Certains dirent qu’il fut fusillé, d’autres qu’il fut détenu en prison, comme beaucoup d’autres, qui y subissaient des tortures si insupportables que pour y échapper ils s’aspergeaient du kérosène contenu dans leurs lampes et s’immolaient.

Varter, proche du terme de sa grossesse, fut forcée de rejoindre un convoi de la mort composé de femmes et d’enfants à destination des camps de concentration installés dans des zones désertiques. [Dans « La caravane de la mort », (Kaaraavaan-e Marg !), le célèbre romancier perse Mohammad Ali Jamalzadeh fait un compte rendu bouleversant de sa rencontre avec l’un de ces convois de la mort].

Elle seule survécu à ce périple, car ses six enfants moururent lors du voyage. Les deux plus jeunes dans la montagne, où ils furent jetés dans le vide par les gardes turcs ; les quatre autres de faim au fond du puits dans lequel ils s’étaient cachés lors de leur tentative de fuite.

Varter fut elle-même enlevée par un homme qui promit de la sauver mais finalement la viola. Au final elle retrouva la liberté mais passa le restant de ses jours à pleurer sa famille perdue, victime de l’holocauste oublié de l’Europe.

Le massacre d’un million et demi d’Arméniens par les Turcs ottomans pendant la Première Guerre mondiale demeure l’un des évènements les plus sanglants et les plus controversés du vingtième siècle. Il est considéré comme le premier génocide moderne.

Au total, 25 camps de concentration furent établis dans le but d’éradiquer de manière systématique les Arméniens, considérés par les Turcs comme de la « vermine ».

Winston Churchill qualifia ces massacres d’« holocauste administratif » et écrivit : « Ce crime fut planifié et exécuté pour des raisons politiques. Une occasion se présentait ainsi de nettoyer le sol turc d’une race chrétienne . »

Fait glaçant, Adolphe Hitler utilisa cet exemple pour justifier le meurtre de six millions de juifs par les nazis. Il dit ainsi en 1939 : « Après tout, qui parle encore aujourd’hui de l’extermination des Arméniens ? ».

Perpétré sous couvert de la guerre, le génocide arménien reste cependant enveloppé de mystère, ne serait-ce que parce que la Turquie contemporaine refuse encore de reconnaître l’existence de ses charniers.

De nouvelles photographies, qui témoignent de l’horreur, ont récemment refait surface. Elles proviennent des archives de la banque allemande « Deutsche Bank », présente dans la région (où elle finançait un réseau ferroviaire) lors du déclenchement des massacres.

Retrouvées par Robert Fisk, correspondant de guerre britannique maintes fois récompensé, elles furent prises par des employés de la banque, qui voulurent ainsi témoigner de l’horreur à laquelle ils assistaient.

Elles montrent des jeunes hommes entassés dans des wagons à bestiaux, dans l’attente de leur funeste périple. Les Turcs chargeaient dans chaque wagon 90 Arméniens affamés et terrifiés. C’est la moyenne atteinte par les nazis dans les convois à destination des camps de la mort d’Europe de l’Est pendant l’holocauste juif.

Il y a une tragédie humaine derrière chacune de ces images. Des femmes et enfants dans un complet dénuement regardent fixement, au delà de l’appareil photo, la sauvagerie indicible dont ils témoignent.

Selon Fisk, presque toutes les jeunes femmes étaient violées, et les femmes plus âgées battues à mort, car elles ne méritaient pas qu’on gâche une balle pour elles. Les bébés étaient abandonnés à une mort certaine sur le bord de la route.

Les jolies jeunes filles arméniennes étaient souvent envoyées dans des harems turcs où certaines furent prostituées jusqu’au milieu des années 1920.

Beaucoup d’autres photographies d’archives témoignent de la brutalité dont furent victimes les Arméniens : des enfants dont les tendons des genoux avaient été coupés, une jeune femme mourant de faim à côté de ses deux jeunes enfants et un officiel turc narguant avec une miche de pain des enfants arméniens affamés.

Les récits de certains témoins oculaires sont encore plus crus. Des diplomates étrangers en poste dans l’Empire ottoman signalèrent ces atrocités mais furent incapables de les empêcher.

L’un de ces diplomates décrivit ainsi les camps de concentration : « Comme sur les portes de l’Enfer de Dante, l’on pourrait inscrire à l’entrée de ces camps maudits : ‘Toi, qui pénètres en ces lieux, abandonne tout espoir.’ »

Comment survinrent exactement les évènements de 1915-1917 ? De la même manière qu’Hitler voulait construire un monde dominé par les nazis et « Judenrein » (« purifié de ses juifs »), en 1914 les Ottomans voulaient construire un empire musulman qui s’étendrait d’Istanbul à la Mandchourie.

Or se trouvait sur son chemin l’Arménie, une ancienne civilisation chrétienne, qui s’était propagée à partir de l’extrémité orientale de la Mer noire.

A l’aube du XXème siècle, il y avait deux millions de chrétiens arméniens dans l’Empire ottoman. 200 000 d’entre eux furent tués dans des pogroms entre 1894 et 1896.

En novembre 1914, l’Empire ottoman entra dans la Première Guerre mondiale aux côtés des forces de l’Axe et lança dans le Caucase une désastreuse campagne contre les forces russes. Il accusa les Arméniens de cette défaite, prétendant qu’ils avaient conspiré avec les Russes.

Un important écrivain turc de cette époque décrivit la guerre comme « le jour tant attendu » où les Turcs se « vengeront par des horreurs inédites dans l’Histoire ».

Dans les derniers mois de l’année 1914, le gouvernement ottoman créa de nombreuses unités de l’ « Organisation spéciale », des gangs armés constitués de milliers de condamnés de droit commun spécialement libérés de prison.

Ces escadrons de la mort furent responsables des pires crimes commis pendant le génocide. Il s’agit du premier organe bureaucratique d’Etat chargé de perpétrer des tueries de masse dans le but d’exterminer une race. Un commandant militaire les décrivit à l’époque comme « les bouchers de l’espèce humaine ».

Dans la nuit du 24 avril 1915 – date depuis commémorée par tous les Arméniens – le gouvernement ottoman entama une première manœuvre décisive en arrêtant 250 intellectuels ; 2000 autres furent ensuite arrêtés à leur tour.

Certains d’entre eux furent torturés à mort en prison, de nombreux autres furent exécutés dans des lieux publics. Daniel Varoujan, le poète de la résistance, fut retrouvé éventré, les yeux arrachés.

Un professeur d’université fut contraint d’assister au supplice de ses collègues, qui eurent les ongles des mains et des pieds arrachés, avant qu’on lui crève les yeux. Il en perdit la raison et fut lâché, nu, dans la rue.

On rapportait aussi des cas de crucifixions, où les Turcs tourmentaient leurs victimes en leur disant « maintenant voyons voir si votre Christ viendra vous sauver ! ».

Johannes Lepsius, un pasteur allemand qui tenta de protéger les Arméniens, rapporte que « les bandes armées avaient pour tâche principale de s’attaquer aux villages arméniens et de les piller. Si les hommes leurs échappaient, ils violaient les femmes. »

C’est ainsi que fut lancée une campagne minutieusement orchestrée d’éradication des Arméniens. Afin de tromper le monde, les dirigeants ottomans usèrent pendant toute cette période de noms de code pour désigner ce massacre dans les télégrammes officiels. Lors des procès pour crimes de guerre intentés ultérieurement, plusieurs officiers militaires attestèrent du fait que le mot « déportation » voulait en fait dire « massacre » ou « anéantissement ».

Entre mai et août 1915 la population arménienne des provinces orientales de l’Empire fut déportée et assassinée en masse.

L’ambassadeur américain Henry Morgenthau dit que « des convois de 50 ou 100 hommes, attachés par groupe de quatre, étaient emmenés à l’écart. On entendait ensuite des tirs de carabine. Ceux qui étaient par la suite chargés d’enterrer les corps trouvaient systématiquement ces derniers entièrement nus car, comme d’habitude, les Turcs leur avaient volé tous leurs vêtements. »

Dans les zones urbaines c’est le crieur public qui était chargé de transmettre l’ordre de déportation, toute la population mâle étant par la suite dirigée en-dehors de la ville et tuée – « abattue comme des moutons ».

Les femmes et enfants étaient alors exécutés, déportés vers des camps de concentration ou simplement dirigés vers des zones désertiques où ils mouraient de faim.

Un diplomate américain dit à propos de ces déportations ou marches de la mort qu’ « en comparaison un massacre – combien même ce mot est horrible à prononcer – serait considéré comme plus humain ».

Un témoin qui croisa l’un de ces convois de déportés rapporta que les femmes le suppliaient, lui disant : « Sauvez-nous ! Nous allons nous convertir à l’Islam ! Nous allons prendre la nationalité allemande ! Nous sommes prêtes à devenir tout ce que vous voudrez, mais sauvez-nous ! Ils vont nous égorger ! ».

Des squelettes ambulants mendiaient de la nourriture et des femmes préféraient jeter leurs bébés dans les lacs plutôt que les livrer aux Turcs.

On assista à des pillages en masse de biens arméniens et l’on rapporte même que des civils brûlaient les corps à la recherche des pièces d’or que les Arméniens avaient cachées en les avalant.

Les conditions dans les camps de concentration étaient épouvantables. La majorité d’entre eux étaient situés près des frontières actuelles avec l’Iraq et la Syrie, dans le désert qui s’étend entre Jerablus et Deir ez-Zor, décrit comme « l’épicentre de la mort ». Jusqu’à 70 000 Arméniens furent dirigés vers chaque camp, où sévissaient la dysenterie et le typhus, et où, sans abri, ils périrent de faim et de soif sous le soleil brûlant. Dans certains cas les vivants furent contraints de manger les morts. Peu d’entre eux survécurent.

C’est ainsi que dans la seule zone de Kemah Erzincan, ces bandes « éliminèrent » 25 000 personnes en 4 jours seulement, du 10 au 14 juin 1915.

Le consul américain de Kharput, Leslie A. Davis, rapporta en septembre 1915 qu’il découvrit les corps de près de 10 000 Arméniens jetés dans différents ravins de la zone du lac Goeljuk, la qualifiant de « province-abattoir ».

Il y a pléthore de récits atroces. Les historiens rapportent que les escadrons de la mort cognaient violemment les nourrissons contre des rochers, devant les yeux de leurs mères.

Un garçon se souvient que son grand-père, le prêtre du village, s’agenouilla devant les Turcs pour implorer leur grâce. Les soldats le décapitèrent et jouèrent au football avec sa tête devant sa famille anéantie.

Deux ingénieurs (des chemins de fer) allemands rapportent avoir un jour vu arriver 300 à 400 femmes entièrement nues dans le sinistre camp de Ras-ul-Ain. Un témoin dit que le sergent Nuri, le surveillant du camp, se vantait de violer des enfants.

Anna Harlowe Birge, une Américaine qui voyageait de Smyrne vers Constantinople, écrivait en 1915 : « A chaque gare où nous nous arrêtions, nous nous trouvions côte-à-côte avec l’un de ces trains. Ils étaient constitués de wagons pour bestiaux et nous apercevions des visages de petits enfants qui regardaient à travers les barreaux étroits de chaque wagon ».

Dans ses Mémoires intitulés « L’Arménie violée », Aurora Mardiganian, issue d’une famille de riches banquiers, décrit comment elle a été violée et jetée dans un harem, comme des milliers d’autres filles arméniennes. Beaucoup furent finalement tuées ou jetées à la rue.

Dans la ville de Malatia, elle vit les corps de 16 filles crucifiées, mangés par les vautours. Elle écrit : « Chaque fille avait été crucifiée vivante, les mains et les pieds cloués. » « Seule leur chevelure, soulevée par le vent, couvrait leur corps. »

Elle rapporte que dans une autre ville les escadrons de la mort jouaient au « jeu des épées » avec des fillettes arméniennes : ils plantaient leurs épées dans le sol et jetaient leurs victimes sur les lames qui dépassaient du sol, pour s’amuser. »

Ailleurs, des corps attachés entre eux dérivaient le long de l’Euphrate. Dans la région de la Mer noire, les Arméniens étaient embarqués sur des bateaux et jetés par-dessus bord.

Les Turcs établirent des chambres à gaz primitives dans les zones désertiques, entassant les Arméniens dans des grottes et les asphyxiant à l’aide de feux de broussailles.

Il y avait partout des cadavres d’Arméniens : dans les lacs et les rivières, dans les citernes vides des déserts et dans les puits des villages. Des voyageurs rapportent que les paysages baignaient dans une puanteur de mort.

Un gendarme turc dit à une infirmière norvégienne qui travaillait à Erzincan qu’il avait accompagné un convoi de 3000 personnes. Certains groupes furent sommairement exécutés le long du convoi, ceux qui étaient trop malades ou épuisés pour marcher étaient tués là où ils tombaient. Il conclut en disant : « Ils sont tous partis, finis. »

En 1917, ce que les dirigeants ottomans qualifiaient de « problème » arménien avait été entièrement « résolu ». L’on repeupla avec des familles musulmanes les villages arméniens vidés de leur population.

Même après la guerre les ministres ottomans ne manifestèrent aucun signe de repentance. En 1920 ils faisaient l’éloge des responsables du génocide en affirmant que « ces choses furent entreprises afin d’assurer l’avenir de notre patrie, qui est bien plus importante et plus sacrée que nos propres vies ».

Le gouvernement britannique fit pression pour que ces responsables soient punis et en 1919 on établit un tribunal chargé de juger ces crimes de guerre.

La Turquie conteste avec virulence l’usage du mot « génocide » pour qualifier le massacre des Arméniens. A la veille de l’adhésion de ce pays à l’Union européenne, c’est devenu un sujet politique encore plus explosif.

La position officielle des autorités turques n’a pas varié : elles prétendent qu’à peu près 600 000 Arméniens moururent des suites de la guerre. Elles nient toute volonté de l’Etat de liquider les Arméniens. Les massacres de ces années sanglantes demeurent tabou dans ce pays, car il est illégal d’employer le terme de « génocide » pour les qualifier.

Sur le plan international, 21 pays ont reconnu ces massacres comme un génocide, suivant la définition donnée en 1948 par les Nations-Unies. Les militants arméniens pensent que la Turquie ne devrait pas être admise comme membre de l’Union européenne tant qu’elle n’aura pas reconnu sa responsabilité dans ces massacres.

Comme pour l’holocauste juif, il y eut pendant ces massacres beaucoup d’actes de bravoure, tant de la part d’Arméniens que de Turcs.

C’est ainsi qu’un Turc musulman, Hadji Halil, risqua la mort en sauvant, huit membres de la famille arménienne de sa mère, qu’il cacha chez lui.

Dans certains endroits, des groupes de Kurdes suivaient les convois de déportés et sauvaient autant de gens qu’ils le pouvaient. Beaucoup de mères confièrent leurs enfants à des familles turques ou kurdes pour les sauver de la mort.

Le gouverneur général d’Alep tint tête aux officiels turcs et tenta d’empêcher les déportations dans sa région, mais il échoua.

Il raconta plus tard : « J’étais dans la situation d’un homme au bord d’une rivière ne disposant d’aucun moyen de sauvetage. Mais en guise d’eau, la rivière charriait du sang, des milliers d’enfants innocents, des vieillards irréprochables, des femmes sans défense et de vigoureux jeunes gens allant tous vers leur destruction ».

« Je sauvais ceux que je pouvais saisir avec mes mains. Quant aux autres, je suppose qu’ils furent emportés par le courant et jamais ne revinrent.»

© Traduction : F.S pour le Collectif VAN (2007) – 12 septembre 2007 – 08:00 – www.collectifvan.org

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Author: raffi

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