L’Iran et la Russie ont dénoncé lundi l’interventionnisme européen et américain dans les tensions entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, au plus haut depuis la reconquête par Bakou de la région du Haut-Karabakh, au cours d’une réunion à Téhéran destinée à trouver une issue sans les Occidentaux.
Le ministre des affaires étrangères Ararat Mirzoyan s’est joint à ses homologues azerbaïdjanais, iranien, russe et turc lors d’une réunion qui s’est tenue lundi à Téhéran pour discuter de la paix et de la stabilité dans le Caucase du Sud.
Les discussions multilatérales se sont tenues dans le cadre de la « plate-forme régionale consultative 3+3 » lancée en décembre 2021 à Moscou. La Géorgie continue de boycotter la plateforme, invoquant la poursuite de l’occupation russe de ses régions séparatistes.
Au cours d’une conférence de presse lundi, le chef de la diplomatie iranienne a de son côté dit que Téhéran espérait « l’instauration d’une paix durable dans la région du Caucase du Sud » avec « un accord de paix entre Bakou et Erevan le plus rapidement possible ».
Plus tôt dans la journée, le ministère azerbaïdjanais de la Défense avait toutefois annoncé des manoeuvres militaires dans l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan, frontalière de l’Arménie et de l’Iran, ainsi que dans des « territoires libérés », dont la localisation n’a pas été précisée et qui pourraient désigner le Haut-Karabakh ou des districts azerbaïdjanais mitoyens.
« La guerre dans le Caucase du Sud est désormais terminée et l’heure est à la paix, à la coopération et au développement dans le Caucase », aurait déclaré le ministre iranien des affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, au début des pourparlers.
« Nous pensons que les problèmes de cette région peuvent être résolus sans ingérence extérieure. Cela fait partie du message de la réunion d’aujourd’hui dans le format 3+3 », a-t-il estimé, soulignant la forte opposition de l’Iran à la présence occidentale dans la région, qui est partagée par la Russie.
Le président iranien Ebrahim Raisi l’a également qualifiée de « nuisible pour la paix et la stabilité régionales » lors de sa rencontre avec M. Mirzoyan plus tôt dans la journée, selon les agences de presse iraniennes.
Alors que le fossé avec Moscou ne cesse de se creuser, les dirigeants arméniens semblent désormais placer leurs espoirs dans les efforts déployés par l’Occident pour trouver une solution au conflit qui les oppose à l’Azerbaïdjan. Le premier ministre Nikol Pashinian a exprimé la semaine dernière l’espoir que le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et lui-même se rencontrent à nouveau à Bruxelles et finalisent un traité de paix bilatéral avant la fin de l’année.
Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a mis en doute la capacité de l’Union européenne à faciliter la délimitation de la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, un obstacle majeur à la signature du traité. Sergueï Lavrov, a aussi dénoncé « les tentatives de la part, en premier lieu, de l’UE et, dans une certaine mesure, des Etats-Unis, de s’immiscer dans le processus de délimitation » de la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
« Laissons-les tenter leur chance à Bruxelles, s’ils le souhaitent, mais nous sommes toujours prêts à aider à lancer la véritable délimitation », a-t-il déclaré aux journalistes à l’issue de la réunion de Téhéran.
M. Lavrov a déclaré que ces points et d’autres points de friction dans les négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan n’avaient pas été « directement » discutés par les cinq ministres.
« Il y a d’autres moyens de le faire. Mais la plateforme elle-même aide à résoudre les questions en suspens entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan », a ajouté le chef de la diplomatie russe.
Dans une déclaration commune finale, les participants à la rencontre ont ainsi rappelé « l’importance du règlement pacifique des différends, du respect de la souveraineté, de l’indépendance politique, de l’intégrité territoriale (…), de la non-ingérence dans les affaires intérieures ».
Sergueï Lavrov, qui s’est également entretenu en tête-à-tête avec le président Raïssi, a par ailleurs assuré que la porte restait « ouverte » à un autre pays de la région, la Géorgie, absente lundi, et qu’une prochaine réunion était prévue en Turquie « à peu près au premier semestre de l’année prochaine ».
M. Mirzoyan a tenu une réunion séparée avec le ministre turc des affaires étrangères, Hakan Fidan, en marge de la conférence de Téhéran, qui a coïncidé avec le début d’un nouvel exercice militaire turco-azerbaïdjanais organisé près des frontières de l’Arménie. Son service de presse a indiqué qu’il n’avait pas rencontré M. Lavrov ni le ministre azerbaïdjanais Jeyhun Bayramov à 22 heures (heure locale).
La France « vigilante » –
La France, qui s’est dite « extrêmement vigilante » quant aux potentielles menaces à l’intégrité territoriale de l’Arménie, a annoncé de son côté la vente à Erevan d’équipements pour la défense sol-air.
Le contrat porte sur l’acquisition de trois radars Ground Master (GM200) de Thalès, a expliqué le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu.
Il a également évoqué la signature d’une lettre d’intention avec le fabricant européen de missiles MBDA « sur des dispositifs de type Mistral », un missile sol-air de courte portée.
La Turquie, un soutien de l’Azerbaïdjan, et la Russie, considérée comme l’alliée de l’Arménie, jouent un rôle majeur dans la région.
Mais la récente offensive au Haut-Karabakh a rebattu les cartes. Erevan a accusé Moscou de l’avoir abandonné en n’arrêtant pas les forces de Bakou, des critiques rejetées par la Russie.
A la recherche de protection, l’Arménie semble donc prête à davantage se tourner vers les Occidentaux.
Ce pays a par exemple ratifié mi-octobre son adhésion à la Cour pénale internationale (CPI), ce qu’elle espère être un bouclier supplémentaire contre les potentielles ambitions de l’Azerbaïdjan.
Un geste vu d’un très mauvais oeil par Moscou, la CPI ayant émis au printemps un mandat d’arrêt contre le président Vladimir Poutine pour la « déportation » d’enfants ukrainiens vers la Russie, une décision que Moscou juge « nulle et non avenue ».
Avec AFP