L’irresistible montée de la violence panturque

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Quel rapport entre une vieille arménienne égorgée en Turquie et une militante kurde exécutée en France ? A priori aucun. Et pourtant, comment ne pas s’interroger sur le fond commun qui lie la série d’agressions dont ont été victimes à Istanbul le mois dernier des Arméniennes âgées, dont l’une a été tuée et l’autre laissée pour morte, et l’assassinat de trois militantes kurdes à Paris le 9 janvier ? Ces crimes partagent en effet entre eux une unité de temps, leurs cibles sont des femmes, mais surtout elles appartiennent aux minorités honnies par Ankara. On ne peut certes en déduire qu’une même main a frappé dans l’un et l’autre cas, ou que ces atrocités obéissent à un plan concerté. Mais on ne saurait non plus faire abstraction du fait qu’elles s’inscrivent dans un contexte très particulier. Celui de la montée en puissance de l’État turc sous l’impulsion d’un parti, l’AKP, qui professe une idéologie où le nationalisme le dispute à l’islamisme, avec un impact détonnant sur les mentalités locales.

En alimentant les fantasmes liés à un retour au Califat ottoman et en stimulant les rêves de reconquête, ce nouveau panturquisme constitue en lui-même un vecteur de violence. Son empreinte est visible dans les orientations de la diplomatie d’Ankara au Moyen-Orient, caractérisée par des tentatives diverses et variées d’accroître son influence sur le monde arabe et musulman et ce, jusqu’à apporter son soutien aux pires mouvements djihadistes, le cas échéant.

En Europe et en France, on en perçoit la trace à travers un certain nombre d’initiatives visant clairement à mobiliser l’émigration turque (qui dans sa grande majorité résiste à cette instrumentalisation), en particulier contre les « allégations arméniennes ». Ces ambitions se sont traduites par des démonstrations de forces, notamment au moment des débats au Parlement sur la loi incriminant le négationnisme ( manifestation turque du 29 janvier 2011 à Paris). Un rapport de la DCRI repris par Le Point en mars dernier sous le titre « Les loups sont entrés dans Paris » dressait un tableau accablant et précis sur les différents aspects de cette résurgence du « fascislamisme » turc que l’Europe ne veut pas voir et que les autorités françaises sous-estiment.

Pourtant, c’est bien dans ce climat alimenté par le négationnisme du génocide arménien et la promotion d’un racisme et d’un antisémitisme de plus en plus débridé, qu’a poussé ce regain de violence, qu’on pu se mettre en place des contrats criminels et s’opérer des passages à l’acte, comme ceux qui ont touché ces femmes, ici et là-bas. Voilà le lien entre ces terrifiantes manifestations de barbarie anti-arméniennes et antikurdes. Il tient tout entier dans la percée panturque d’Ankara.

Ce constat s’impose aujourd’hui d’autant plus que la Turquie fait preuve d’un savoir-faire diplomatique remarquable pour conforter ses velléités de devenir leader au Moyen-Orient. L’appui militaire que lui ont procuré à cet effet les États-Unis, en la dotant récemment de missiles « Patriots », concourt à la légitimer dans sa logique de domination régionale. Et les initiatives comme l’invalidation de la loi pénalisant la négation du génocide arménien l’an dernier en France, dont il ne fait nul doute qu’elle a été interprétée comme une manifestation de faiblesse ou de complaisance à son endroit, lèvent les ultimes digues morales et politiques qui auraient pu contribuer à canaliser son irrésistible ascension, dont le corollaire violent se fait déjà sentir.

Le problème fondamental de cet état est qu’il n’a jamais été puni pour ses crimes et qu’il ne voit donc aucune raison de changer de comportement. Voilà pourquoi, en cette période de conquête internationale de ce pays pas comme les autres, il est plus que jamais nécessaire de tirer la leçon des expériences passées. Ce qui devrait se traduire par la mise en place de toute mesure susceptible de faire barrage aux vieux démons de la Turquie, comme on a endigué ceux de l’Allemagne, l’autre grand État génocidaire du XXe siècle. Faute de dispositions en ce sens, dans le domaine de la reconnaissance du génocide arménien, du respect des minorités et de la lutte antiraciste, on s’expose à voir les mêmes causes reproduire les mêmes effets, et le sang couler à nouveau. Comme en Anatolie ou à Istanbul ces derniers jours. Mais aussi, hélas, en plein Paris.

Ara Toranian

raffi
Author: raffi

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