L’Ukraine a tout changé, par Michel Marian

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L’Ukraine a tout changé. Des figures collectives nouvelles apparaissent dans l’Histoire arménienne qui n’en est pas avare. Des jeunes Russes s’exilent à Erevan pour éviter la conscription ou poursuivre leurs activités dans la finance et l’informatique. Resteront-ils ? Ou, après cette escale, partiront-ils plus loin, vers l’Ouest ? Ils sont assez nombreux en tout cas, des dizaines de milliers, pour élever le prix de l’immobilier dans ce pays de l’ex-URSS qui comptait le plus faible nombre de résidents russes. Une immigration juive en forme une composante, renouant avec le plus haut Moyen-Age. Second exemple: les Arméniens présents parmi les réfugiés d’Ukraine, dans les files aux frontières ou les embarras administratifs pour se faire admettre en France s’ ils n’ont pas le passeport ukrainien. Les uns habitaient depuis peu en Ukraine, d’autres n’ont avec l’Arménie plus de lien familial, sinon leur nom et l’identité qu’ils donnent ou que leur donnent les journalistes. Leur présence discrète est récurrente dans les articles sur le vécu des Ukrainiens, y compris sous les bombes. On connaissait le grand nombre d’émigrés arméniens en Russie après l’indépendance, et les grandes fortunes, dont certaines ont soutenu la guerre de Poutine. L’Ukraine est le second pays d’émigration des Arméniens après 1991. Ce chiffre a trouvé des visages. La diaspora devrait les aider à rester en France.

Ces mouvements ne sont pas des anecdotes pour futurs livres d’histoire. Ils montrent que les Arméniens ont des ressources à défaut de pétrole. Cette sociologie imprévue est le miroir d’une géopolitique chahutée. Personne ne connaît la durée de cette guerre, son résultat, ses répliques (à Taiwan ou au Kurdistan syrien menacé par Ankara). Beaucoup, chez les Arméniens, n’en retiennent que les effets les plus inquiétants. Deux surtout. D’abord que les Européens, désireux d’acheter du gaz ailleurs qu’en Russie, dépendent davantage de l’Azerbaïdjan. Ensuite, que la « diplomatie de complémentarité » de l’Arménie depuis l’indépendance (la sécurité à la Russie, de l’amitié avec l’Occident), a vécu.

Le premier effet est exagéré : l’Azerbaïdjan est loin d’être le seul fournisseur de gaz substituable à la Russie. Qu’on pense au Qatar où Nikol Pachinian a fait une visite début juin. Et d’ailleurs Aliev a -t-il obtenu quelque chose de plus depuis les sanctions contre la Russie? Sa pression sur les frontières reste la même, ni plus ni moins.

Le second effet est mal interprété. Certes la diplomatie de complémentarité ne va plus de soi. Depuis que Poutine a montré son visage le plus agressif, les Occidentaux sont peu disposés à afficher une exception en coopérant avec lui sur le Karabagh. Les Russes ont déploré que la France et les Etats-Unis aient mis le groupe de Minsk en sommeil, eux qui avaient tout fait en novembre 2020, avec les Turcs, pour écarter les Occidentaux du cessez-le-feu de la Guerre des 44 jours. Les Occidentaux ont pris leur temps pour démentir. Ils jouent sur deux tableaux. Charles Michel, président du Conseil européen, assume la compétition avec Moscou pour un règlement de paix. Les Etats-Unis rappellent leur attachement à un statut du Karabagh, et au groupe de Minsk, en mettant Moscou au défi d’agir dans ce sens..

C’est donc moins le principe de la complémentarité qui est mis en cause que son inégalité entre une Russie qui possède tant de leviers sur l’Arménie et un Ouest supposé indifférent. Parce qu’Occidentaux et Russes sont rentrés dans une « guerre froide chaude ». Et parce que la Russie est affaiblie, sans qu’on sache à quel degré ni pour combien de temps. Avec un contexte aussi mobile, Pachinian est en phase. Hier il n’avait rien d’un chef de guerre, aujourd’hui il explore toutes les voies et saisit les opportunités diplomatiques., y compris l’agacement créé par les menaces d’Aliev. Un jour il signe un accord interminable d’intégration avec la Russie, le lendemain il tance ses camarades centre-asiatiques et biélorusse de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective pour ne pas l’avoir appuyé face à la pression azerbaïdjanaise sur les frontières de l’Arménie. Le surlendemain il saute dans un avion pour revoir Charles Michel à Bruxelles. Il semble prendre plaisir à rendre à Poutine la monnaie de son absence de soutien pendant 44 jours.

Au-delà du plaisir, la réalité est que ce retour de la Guerre Froide n’ induit pas, pour l’instant, un alignement renforcé mais plutôt que chaque Etat, même l’Arménie, et peut-être chaque territoire, même le Karabagh, retrouve une valeur stratégique sur la carte mondiale. Au-delà des lamentations et des anathèmes de ses opposants, le premier ministre commence à jouer ses cartes, anciennes et nouvelles : sur le marché international valoriser la start-up nation qui attire les « bons » Russes, pour les Etats-Unis servir de modèle démocratique et conforter une Géorgie hésitante, pour la France prolonger, dans et hors l’UE un arc de dominos francophones de la Mer Noire, pour la Russie la mettre au défi de soutenir une solution pour le Karabagh russophile.. Car il ne s’agit pas de congédier la Russie, mais de la spécialiser là où elle est utile et de l’empêcher d’entraîner l’Arménie dans un destin de parias et de la re-provincialiser.

Michel Marian

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