Le Prix Nobel de littérature 2006 a quitté la Turquie pour fuir une campagne d’intimidation orchestrée contre lui, en marge de l’assassinat de Hrant Dink.
MENACÉ de mort par les ultranationalistes, Orhan Pamuk, Prix Nobel de littérature 2006, a décidé de se mettre au vert aux États-Unis. L’écrivain turc a pris l’avion jeudi dernier pour se rendre à New York où il a ses habitudes. Il n’a pas commenté publiquement son départ, mais ses proches refusent de parler d’exil. Orhan Pamuk n’a pas fixé de date de retour en Turquie. Sa décision de prendre ses distances avec son pays est liée à l’assassinat le 19 janvier de Hrant Dink, journaliste turc d’origine arménienne et directeur de la revue Agos.
Le chantre d’Istanbul est depuis ses déclarations sur le tabou du génocide arménien dans le collimateur de la mouvance nationaliste turque. Victime d’une campagne haineuse, il est contraint de quitter sa ville de prédilection après les développements de l’enquête sur le meurtre de Hrant Dink. Quelques jours après le crime, Yasin Hayal, l’un des complices d’Ogun Samast, le jeune tueur venu de Trabzon, s’est permis de s’en prendre à l’écrivain lors de son transfert au tribunal d’Istanbul. « Ohran Pamuk sois intelligent, sois intelligent », a-t-il hurlé en pénétrant dans le palais de justice.
Suspecté d’être le guide de Samast, Hayal avait posé une bombe en 2004 dans un établissement Mac Donald’s de Trabzon pour protester contre l’intervention américaine en Irak. Il aurait reconnu avoir poussé l’adolescent à passer à l’acte et lui aurait fourni une arme. Peu après l’envol précipité d’Ohran Pamuk, les chaînes de télévision nationales avaient diffusé des images témoignant du climat délétère qui règne dans l’appareil sécuritaire. On y voyait Samast, un drapeau turc dans les mains, contraint de poser aux côtés des policiers qui venaient de l’arrêter. En fond d’écran, on pouvait lire sur une affiche cette citation d’Atatürk : « La terre de la patrie est sacrée, elle ne peut être abandonnée à son sort. » L’affaire aggrave le discrédit de la police turque dont les errements provoquent un profond malaise. Elle s’ajoute aux attaques anonymes contre l’auteur de Neige circulant sur Internet. Une organisation dénommée « Commando turc pour la vengeance » a ainsi diffusé des clichés du cadavre de Hrant Dink et des photos de Pamuk légendées d’un « il y aura d’autres morts ».
Insultes à la nation turque
De retour d’un déplacement à la foire internationale du livre du Caire, le Prix Nobel de littérature a tout d’abord annulé une tournée en Allemagne où vit une forte communauté turque. Il devait se rendre au début du mois à Hambourg, Cologne et Stuttgart pour une série de lectures publiques puis recevoir à Berlin le titre de docteur honoris causa de l’université libre de la capitale allemande. À l’instar d’une douzaine d’intellectuels et d’écrivains, il était placé depuis le meurtre de Hrant Dink sous protection par le ministère de l’Intérieur turc.
Ohran Pamuk enseigne à l’université Columbia de New York, mais son séjour américain devrait être consacré, selon des précisions des Éditions Gallimard, à l’écriture de son nouveau roman et à la préparation de son discours de réception. « Il s’éloigne des menaces et cherche la tranquillité », explique-t-on. Il devrait être à Paris fin avril pour une réception à la Sorbonne et pour la sortie d’un ouvrage intitulé Istanbul.
Bête noire des nationalistes, l’écrivain avait déclaré en février 2005 au journal suisse Tages Anzeiger : « Un million d’Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués sur ces terres, mais personne d’autre que moi n’ose le dire. » Ces propos lui avaient valu des appels à l’autodafé de ses livres et une inculpation pour « insulte à la nation turque ». Les poursuites avaient été abandonnées par un gouvernement soucieux de son image auprès de l’Union européenne. En octobre, l’annonce de son prix Nobel avait été fraîchement accueillie dans son propre pays.
LE FIGARO
Publié le 08 février 2007
