Alors que rien de l’y obligeait, Patrick Devedjian a salué au dîner du CCAF le 28 janvier la haute tenue du discours que le président de la République venait d’y prononcer. Cet hommage, rendu par une figure traditionnelle de l’opposition, a traduit les sentiments de l’ensemble des convives, tous visiblement touchés par le message de François Hollande à ses « compatriotes » qui ont « en partage une histoire, a-t-il dit, celle de vos familles, celle d’une terre dont vous portez le souvenir et que vous avez enracinée dans celle de la France ».
Des mots qui méritaient bien l’ovation que lui a faite le public, soucieux de rendre la pareille à celui qui venait de remercier les Arméniens « d’être Français », le plus beau compliment que l’on puisse entendre, sans doute, de la part du premier d’entre eux, du premier d’entre nous.
La gratitude qu’ont voulu exprimer les présents à ce 3e dîner du CCAF allait aussi, certainement, à l’initiative du président de nommer un charger de mission, Jean-Paul Costa, ancien président de la CEDH, pour mettre au point « dans les plus brefs délais », une proposition de loi susceptible de réprimer le négationnisme du génocide arménien. Une mesure, s’inscrivant dans la continuité de ses engagements et que n’ont pas démentis ses décisions, en particulier lorsque la France a pris le parti de la Suisse dans le procès Périncek, le 28 janvier 2015 à Strasbourg. Sur la question du génocide, rien ne saurait être reproché à ce chef d’État, qui a été l’un des rares à faire personnellement le déplacement à Erevan, le 24 avril 2015, pour les cent ans du crime, tandis que son Premier ministre, Manuel Valls, se tenait aux côtés du CCAF le même jour pour la manifestation à Paris.
Nous sommes suffisamment aux aguets en ces pages sur les sujets qui fâchent, comme la circulaire signée Laurent Fabius et Bernard Cazeneuve interdisant tout accord d’association entre collectivités locales françaises et villes ou districts de la République du Haut-Karabakh, ou encore la vente d’un satellite à usage militaire à l’Azerbaïdjan par Espace Industrie, pour ne pas saluer comme il convient ce qui répond à nos attentes. Et Dieu sait qu’elles furent longues à satisfaire, puisqu’il a fallu patienter 85 ans pour que la France reconnaisse le génocide. Reste cependant à faire avancer, comme l’actualité le montre, ses positions sur la question du Haut-Karabakh, qui continuent visiblement à subir les ondes négatives d’un quai d’Orsay en proie en ce domaine à un double conservatisme. D’une part son ancrage dans une tradition turcophile qu’a accentué la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’Otan dont Ankara constitue une pièce maîtresse. D’autre part ses réflexes légitimistes par rapport à l’ordre international, lesquels font spontanément plus de place à l’intégrité territoriale des États qu’à l’autodétermination des peuples, même si ces deux principes sont égaux en droit. Deux facteurs auxquels s’ajoutent le poids des intérêts mercantiles et le sempiternel tropisme de la Realpolitik, à laquelle n’échappe pas la diplomatie économique, ce nouveau sésame de la Fabius touch.
Dans ce contexte, la symétrie établie par François Hollande dans son discours entre les morts azerbaïdjanais et les morts arméniens, pour respectueuse qu’elle soit des obligations inhérentes au statut de médiateur de la France, ne saurait satisfaire. Cet équilibrisme de bon aloi renvoie par trop, pour ne pas être relevé, à une vision assez répandue qui, tout en minimisant le poids de l’histoire, fait abstraction de la course folle aux armements du régime Aliev, de sa nature dictatoriale, de sa rhétorique belliqueuse et expansionnistes ( cf: ses diatribes encore récentes, le 29 janvier, quant à la légitimité de l’État arménien, «artificiellement construit des terres azerbaïdjanaises», selon lui), sans compter ses responsabilités écrasantes dans les violations du cessez-le-feu.
Faudrait-il pour autant douter des bonnes intentions de François Hollande ou de la volonté de la France de faire pour le mieux, dans les limites que lui impose sa coprésidence du Groupe de Minsk ? Ce serait se montrer bien inéquitable à l’égard d’un homme d’État qui, tout au long de son itinéraire et y compris en étant en charge des plus hautes responsabilités, a toujours témoigné de son attachement aux Arméniens et à la cause de la justice, ainsi qu’il a défini lui même leur combat. Une justice qu’il convient donc de lui rendre en retour, ce qui n’exonère pas du devoir de sincérité… Merci François Hollande.
Ara Toranian