Michel Legrand : “ Que la Turquie ne reconnaisse pas le génocide arménien est une chose incroyable ! ”

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Photo Krikor Amirzayan

Nous publions ci-dessous l’interview que Michel Legrand avait accordée à NAM et qui a été publié dans son numéro 166 de septembre 2010. Dans cet entretien, réalisé par Richard Findikyan le grand compositeur évoque ses racines arméniennes et dit sa révolte par rapport à l’attitude de la Turquie sur le génocide.

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Nouvelles d’Arménie Magazine : Michel Legrand, la communauté franco-arménienne et la Ville de Marseille ont été heureuses de vous accueillir le 26 Juin pour fêter les 100 ans de l’ UGAB au Palais du Pharo. A votre actif, plus de 200 musiques de films, 3 Oscars,13 nominations, 5 Grammy Awards, une carrière qui vous aura permis de rencontrer Franck Sinatra, John Coltrane, Jean-luc Godard, Jacques Demy… Quelle aura été la plus grande rencontre de votre vie ?
Michel Legrand : Ecoutez, il y en a beaucoup vous savez…J’ai eu la chance dans ma vie de rencontrer des gens magnifiques, formidables, avec lesquels j’avais des choses à faire, à inventer. Je leur proposais des partitions, des choses. Donc, je n’ai pas vraiment de préférence…Disons peut-être que Jacques Demy a été l’une des plus grandes rencontres de ma vie. Avec Jacques, on a fait trois films musicaux, on a travaillé sur beaucoup d’autres films. J’ai aussi rencontré Didier Van Cauwelaert, avec qui j’ai écrit des ouvrages. Vous savez, il existe énormément de gens qui ont été mes frères du moment, mes influences, ou bien des personnes que je suis allé dénicher, des gens qui sont venus me proposer des choses… Donc, il y a énormément d’ aventures dans tout cela et choisir est difficile !

NAM : En fait, tout a commencé pour vous, grâce à un piano que votre père avait laissé dans l’appartement. Vous aviez à peine trois ans et ce piano était devenu votre meilleur ami…
M. L. : Oui, mon seul ami ! C’est-à-dire que mon père, avant de partir en cachette, avait oublié un piano à la maison, alors cela a été le démarrage de toute ma vie !

NAM : Et la « révélation » a eu lieu au Conservatoire avec Nadia Boulanger. Vous découvrez à ce moment-là toute la magie de la musique ?
M. L. : C’est-à-dire que j’ai appris le langage de la musique. Je ne sais pas si c’est magique mais j’ai eu la chance de travailler avec des professeurs sublimes,comme Nadia Boulanger pendant sept années, avec Hervé Challand pendant cinq ans, avec Noël Galland, avec Tony Aubin… Avec des gens tout à fait extraordinaires qui m’ont fait travailler, qui m’ont appris, qui m’ont donné une technique. J’ai fait de longues études avec beaucoup de bonheur. J’ai vraiment découvert la vie à travers la musique lorsque j’étais tout petit et je suis entré très vite au Conservatoire !

NAM : Le jazz avait mauvaise presse au conservatoire à l’époque. Il paraît que vous en jouiez quand vous étiez énervé !
M. L. : [rires] Oui, le jazz a toujours eu mauvaise presse… Les gens ne savent pas ce que c’est que le jazz ! Les musiciens classiques pensent que le jazz est une manière inférieure de traiter la musique… Ils se trompent complètement ! C’ est sublime ! Moi, j’ai fait du jazz depuis tout petit : je suis tombé dans le chaudron dès ma plus tendre enfance. J’en ai toujours joué que cela leur plaise ou non !

NAM : C’est parce que l’on jouait du piano à l’époque dans les cinémas que, grâce à votre père Raymond Legrand, vous découvrez la variété ?
M. L. : Oui, quand je suis sorti du Conservatoire à vingt ans pour gagner ma vie, j’étais un formidable pianiste avec une bonne technique et il y avait, c’est vrai, une loi qui obligeait les petits cinémas, entre les actualités et le grand film, d’avoir un chanteur qui chantait deux à trois chansons. Ce sont ces chanteurs, débutants ou finissants qui, souvent, n’avaient pas beaucoup de talent, mais qui avaient besoin d’un pianiste pour les accompagner. Je n’avais pas les moyens, alors un copain m’a prêté une bicyclette et j’allais avec un chronomètre d’un petit cinéma de banlieue à un autre pour les accompagner.

NAM : La notoriété arrivera ensuite avec Henri Salvador et Maurice Chevalier ?
M. L. : Il est vrai que quand je jouais dans les cinémas de province ou de proche banlieue, le téléphone arabe a commencé à sonner. Henri Salvador cherchait un accompagnateur. Donc, il m’a appelé, j’ai auditionné devant lui, il m’a engagé et j’ai été son pianiste. Puis, Maurice Chevalier, Jacqueline François… Dans les années 1950, j’ai été orchestrateur, pianiste, accompagnateur, avant de commencer à travailler au cinéma dans les années 1960.

NAM : Est-ce que c’est plus difficile aujourd’hui qu’ hier de se lancer dans une carrière pour la jeune génération ?
M. L. : C’est toujours difficile ! Dans n’importe quelle discipline, à toute époque, à tout moment, ce n’est jamais facile…c’est toujours difficile !

NAM : Vous êtes l’un des compositeurs les plus prolifiques et les plus doués de votre génération, Le Figaro vous a surnommé « Le mélodiste du bonheur ». Avez-vous conscience de faire partie de la légende, d’être ce que l’on appelle aujourd’hui une icône ?
M. L. : Oh, non, mais pas du tout ! Moi, je suis un artisan comme il en existe plein sur terre ! J’écris, je chante, je dirige, je joue, pour mon bonheur, pour mon plaisir. Et puis, il y a des choses qui restent, des choses qui disparaissent. Il existe des succès, des échecs. C’est toute la vie, c’est magnifique ! Je continue, je travaille énormément. Moi, quand je ne travaille pas, je me demande ce que je fais sur cette planète !

NAM : Dans une carrière aussi riche et éclectique que la vôtre, auriez-vous un regret, un rendez-vous manqué ?
M. L. : Non, pas vraiment. Il y a quand même des gens avec lesquels j’aurais follement aimer travailler ! Mais c’était trop tard ! On n’était pas à la même é­­po­que. J’aurais, par exemple, infiniment aimé travail­er avec Judy Garland mais au mo­ment où j’ai dé­marré, elle finissait, donc ce n’é­­tait pas possible.

NAM : Peut-on dire au­jour­d’hui, que vous avez reçu tous les honneurs, que vous êtes totalement comblé ?
M. L. : On n’est jamais comblé ! Peut-être que si la mort est joyeuse, on l’est après. Mais en attendant, je peux vous dire qu’on est toujours à la recherche de dissiper tous les doutes qui sont en nous.

NAM : Votre père s’est marié à une arménienne, Marcelle Der Mikaélian, sœur du chef d’orchestre Jacques Hélian. Quand avez-vous ressenti votre arménité et que vous en reste-t-il aujourd’hui ?
M. L. : Ecoutez, je me sens un tout petit peu arménien. C’est-à-dire que je me suis beaucoup intéressé à la famille de mon grand-père arménien. Mais je ne me suis jamais senti comme Aznavour, arménien de sang. Je me suis rendu quelques fois à Erevan, voir, travailler, parler avec eux, faire des concerts avec beaucoup de bonheur. J’y retourne à chaque fois que j’en ai l’occasion. Mais je ne peux pas vraiment prétendre être un Arménien actif, je veux dire qui rêve de l’Arménie la nuit.

NAM : Est-ce qu’il y a une chose en Arménie qui vous a particulièrement surpris ?
M. L. : Oui, j’ai trouvé des gens tout à fait chaleureux , tout à fait extraordinaires, mais qui ont pendant tellement d’années subi tellement d’horreurs, de massacres, de morts. Le XIXe et le XXe siècles ont été témoins de tout ce que la Turquie et les Turcs ont fait subir aux Arméniens ! C’est une chose horrible ! Même aujourd’hui, ils ne reconnaissent pas le génocide, ce qui est une chose incroyable ! C’est une attitude à laquelle je n’adhèrerai jamais ! Je ne vais d’ailleurs jamais en Turquie. Alors, j’ai trouvé en Arménie beaucoup de tristesse, beaucoup de mélancolie, beaucoup de désespoir.Vous savez, mon grand-père, par exemple, est né dans un petit village en Arménie qui s’ appelle Aratkir. Lorsque j’étais à Erevan, j’ai essayé d’aller à Aratkir, on m’a dit : « Non, non, c’est trop tard maintenant, c’est impossible , ce village arménien se trouve maintenant en Turquie. » Et j’ai appris que les Turcs avaient dérobé les trois quarts de la superficie de l’Arménie qu’ils ont annexés et que cette partie est devenue turque. Ce qui est absolument immonde !

NAM : Comment pensez-vous que les choses peuvent évoluer entre l’Arménie et la Turquie ?
M. L. : Ecoutez, les choses vont forcément évoluer dans le sens de l’amitié. Il est impossible d’être voisins et de se regarder en chiens de faïence. Il faut qu’un jour ou l’autre on ait des accords, il faut que l’on puisse se serrer la main. De toute façon, vous savez, on a été pendant quatre siècles en combat contre les An­glais : ce sont nos amis ! On a été pendant un siècle en combat contre l’Allemagne et la Prusse, maintenant ce sont nos amis. Peut-être qu’un jour, les Turcs et les Arméniens feront certaines choses…n

Propos recueillis par
Richard Findykian


Michel Legrand 2009

La rédaction
Author: La rédaction

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