Missak Manouchian : un sans-papiers au Panthéon, par Arthur Grossmann

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Pour combien d’opprimés, d’exilés de toutes les nations, la France a-t-elle été un rêve ? Combien d’entre eux ont un jour voulu appartenir à ce peuple, à cette terre, à cette « idée », héritée des lumières, selon laquelle tous les hommes naissent libres et égaux en droits, et dans laquelle s’organise la fraternité de tous les membres de la tribu humaine ? Combien d’entre eux n’y sont jamais parvenus, écroulés de faim au détour d’une route ou fusillés au bord d’une fosse commune par eux-mêmes creusée, assassinés chez eux au motif de leur opinion, déportés au motif de leur foi, noyés en méditerranée par une nuit sans lune, accompagnés de leurs frères et sœurs, dans le naufrage d’un radeau de fortune… Combien ?

« Enfant privilégié de la continuelle souffrance », Missak Manouchian affirmait dans ses poèmes que ses pas le menaient vers la France, pour atteindre l’humanité. Comme tant de nos grands-parents et arrières grands parents d’Adana, de Smyrne ou de Van, Manouchian fait partie de ces enfants que la mort n’a pas voulu et qui, regardant le monde en y cherchant un refuge, se dirigent naturellement vers la France et ses promesses qu’elle ne parvient pas, décidément pas, à toujours bien tenir.

Missak Manouchian ne fut ni français de sang ni français de papier. Plusieurs fois arrêté pour son engagement politique, incorporé dans des groupes de travailleurs étrangers, voyant par deux fois sa demande de naturalisation rejetée, il était français malgré la France. Un immigré, un pas d’chez nous, un étranger. Étranger… Il vivait ce mot si familier « comme une gifle pleine de rancœur », une injustice incompréhensible, une blessure de plus dans son âme meurtrie par le deuil de tant des siens, ces « français par idéal » que le ciel n’avait pas entendu.

Malgré cette famille de cœur qu’il trouva dans les milieux ouvriers, malgré les camarades qui le suivirent dans chaque action de sabotage, dans chaque assassinat de responsable ou de soldat ennemi, et jusqu’au Mont Valérien pour y trouver la mort, ce « mystique républicain » vécut le rejet comme un drame solitaire au milieu d’une république qu’il avait conscience d’accomplir. En témoigne son combat dans la résistance contre l’occupant nazi, contre les forces collaborationnistes bien d’chez nous, pour préserver cette France non plus idéalisée
mais bien réelle, de la tyrannie, de l’arbitraire, du meurtre de ceux qui n’avaient commis pour seul crime que celui d’être nés « ça ».

Pour les Arméniens de France, ces bons élèves de la république, l’assimilation était une hygiène de vie, presque une mission. Elle engendrait des sacrifices importants – abandon de sa langue, de sa tradition, de ses mœurs – qui se révélèrent souvent traumatiques pour les générations suivantes. Devenir français semblait être une juste récompense pour ces efforts consentis. Missak Manouchian ne le devint jamais. Combien de familles, issues de toutes les nations du monde, souffrent sur notre sol de cette injustice, et combien d’individus possède
le graal de la citoyenneté française par confort et intérêt, sans l’avoir jamais ni compris ni aimé ?

Lorsque je demandais à ma grand-mère Djehizian, que son père appelait « ma petite française » : « c’est quoi être français ? », elle me répondait : « c’est un privilège ». Aujourd’hui, la France reconnaissante choisit Missak Manouchian, pour représenter parmi les « Grands Hommes de la Patrie » les arméniens d’une part, et d’autre part tous ceux qui d’une façon ou d’une autre se battirent pour la France sans lui appartenir, tous ceux qui, dans leur misère, rêvent de la rejoindre, et tous ceux qui n’y parvinrent et n’y parviendront jamais. C’est, pour ce terrible cortège et pour nous, français arméniens ou issus d’Arméniens, effrayés par les signes avant-coureurs de l’Histoire qui se répète, une main tendue, un soulagement et un honneur.

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Author: capucine

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