« Nous sommes toujours en vie »

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Le nouveau ministre des Affaires Etrangères de la République du Haut-Karabakh en appel à la reconnaissance internationale.

Nouvelles d’Arménie Magazine : Vous êtes ministre des Affaires étrangères de l’Artsakh et membre de son administration depuis fort longtemps. Comment présentez-vous la république d’Artsakh ?
David Babayan : C’est un pays indépendant de facto. Nous luttons pour cette indépendance depuis plusieurs décennies, j’en perçois trois phases : La première entre 1918 et 1921, avec la création de l’État d’Azerbaïdjan. La Transcaucasie venait de se détacher de l’Empire russe effondré, la Géorgie et l’Arménie ont proclamé leur indépendance et la Turquie a demandé à appeler Azerbaïdjan ce territoire du Caucase, alors que l’Azerbaïdjan historique est une province iranienne. Cela permettait de détruire l’Iran chiite qui séparait deux grands espaces musulmans sunnites, le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Dans un grand jeu géopolitique, les Ottomans comptaient sur cette création pour capter le pétrole de Bakou et combiner panturquisme et panislamisme. Ce nouvel État a réclamé autant d’espace que possible afin d’établir une frontière commune avec la Turquie, c’est ainsi que des territoires iraniens, géorgiens, arméniens, daghestanais ont été réclamés y compris le Nagorny-Karabakh. Nous ne pouvions l’accepter car nous avons toujours été une partie intégrante et importante de l’Arménie. Puis, pendant l’Union soviétique, nous sommes devenus une région de l’Azerbaïdjan, mais avec un statut, une structure parlementaire et gouvernementale autonome. Notre mouvement de libération national consistait à établir une réunification avec la mère patrie. L’effondrement de l’URSS s’est retrouvé concomitant avec une nouvelle phase de notre lutte en 1988 où nous avions décidé de construire un pays indépendant car, d’une part nous devions nous séparer de l’Azerbaïdjan et, d’autre part, la réunification semblait impossible par le droit international. Enfin, le meilleur moyen de sécuriser l’Artsakh était d’abord l’indépendance par une reconnaissance internationale. C’est ainsi que nous avons vécu trois guerres, la première de 1991 à 1994, celle d’avril 2016 et nous venons de vivre la troisième. Aujourd’hui nous sommes sévèrement blessés. Mais nous sommes toujours en vie et cela signifie que nous avons une chance de guérir.

NAM : Comment définissez-vous la structure politique de la république d’Artsakh ? Présidentielle, parlementaire ?
D. B. : Historiquement, nos structures restent presque toujours indépendantes ou autonomes. Lors de l’effondrement du royaume d’Arménie au Xe siècle, nous avions une indépendance de facto, que ce soit sous dominations persane ou autres. De plus, nos structures étaient démocratiques, par exemple nos nobles -nos méliks- étaient élus. On ne pouvait pas gouverner sans le consentement du peuple et c’est unique dans la région. En 1991, la république d’Artsakh a été proclamée avec un régime parlementaire, mais l’aggravation de la situation militaire -en 1992 l’Azerbaïdjan occupait 60 % de nos territoires- nous a mené à créer un comité de défense qui a gouverné jusqu’à la victoire de 1994. Nous nous sommes ensuite tournés vers un régime présidentiel. En 2017, une réforme a accru les pouvoirs de l’Assemblée nationale. Je crois que ce système semi-présidentiel posait problème. Je suis aussi le leader du parti conservateur et certaines clauses de cette Constitution méritent d’être revues, notamment l’absence de Premier ministre.

NAM : Quelles relations avez-vous avec d’autres États ?
D. B. : La reconnaissance internationale reste une de nos priorités. Nous sommes reconnus par l’Abkhazie et par ce que j’appelle « des entités ». Notre stratégie repose sur plusieurs phases : d’abord des reconnaissances à l’échelon local, quelques municipalités en France, aux USA, ensuite sur des entités plus importantes, de nombreux États américains, australiens, des régions françaises, le Pays basque… Enfin par des pays, mais nous comprenons que c’est un pas délicat à franchir. Auparavant, nous avancions que la reconnaissance n’était que justice historique. Avec, d’une part les bases historiques de notre existence et, d’autre part, les institutions qui le justifient, le monde aurait dû nous reconnaître. En réalité, cela ne suffit pas. Beaucoup d’États moins avancés dans leurs structures démocratiques ont obtenu leur reconnaissance uniquement sur des bases géopolitiques. Ces quarante-quatre jours de guerre ont été éclairants. Nous avons perdu 80 % de nos territoires, des milliers de personnes ont été tuées. Et il n’y a pas eu de réponse internationale. Nous devons être réalistes, le point crucial est de rester un objet géopolitique et pas un sujet géopolitique. L’Artsakh existe même s’il n’est pas reconnu. Sans lui, la plaque tectonique géopolitique sera tout à fait différente et c’est notre mission de le faire comprendre.

NAM : Vous considérez donc l’Artsakh comme une pièce géopolitique sur un jeu d’échecs ?
D. B. : Non, nous devons comprendre que la symbiose du professionnalisme et du patriotisme doit dominer. La vision de sang-froid doit prévaloir en déterminant nos points forts et nos points faibles. Dans notre situation, c’est une mission biblique !

NAM : Pouvez-vous envisager une relation diplomatique avec l’Azerbaïdjan ?
D. B. : Bien sûr, elle signifiera la fin du conflit, notre priorité. Mais nous ne ferons pas partie de l’Azerbaïdjan.

NAM : Budgétairement, comment s’en sort l’Artsakh ?

D. B. : En 1994-1995, la quasi-totalité de budget de l’Artsakh venait d’Arménie. Avant la dernière guerre, 60 à 75 % étaient couverts par nos propres revenus. Nous devons maintenant restructurer notre économie après avoir perdu 80 % de nos territoires, 80 % de nos terres agricoles, quasiment 90 % de notre potentiel hydroélectrique.

NAM : Quelles sont vos possibilités dans les prochaines années, puisque le cessez-le-feu assure un mandat à l’armée russe pour veiller au cessez-le-feu ?

D. B. : L’agriculture devrait se concentrer sur des techniques plus intensives et non extensives. Nous avons toujours le potentiel pour notre autosuffisance alimentaire, au moins. Nous devons développer les hautes technologies, la finance et encore maintenir notre importance géopolitique qui peut nous sécuriser et apporter des ressources financières.

NAM : Qu’entendez-vous par ce rôle géopolitique ?
D. B. : Pour des raisons politiques et psychologiques, il faut prendre en compte l’importance de l’Artsakh en Arménie et dans la diaspora. À une époque, l’Arménie était un grand pays bordé par la Méditerranée, la Mer Noire et la Caspienne. Puis les Arméniens ont perdu leurs territoires pour se retrouver esclaves des Empires, turc, arabe, seldjoukide, mongol, perse… Cela a développé un complexe d’infériorité qui a culminé après le génocide de 1915 où tout a été écrasé et les Arméniens ont fui. La préservation de notre identité culturelle est devenue la mémoire du génocide, à nouveau l’expression d’un complexe d’infériorité, pire en diaspora, particulièrement les deuxième et troisième générations ne voulaient plus de leur identité nationale pour faire partie des peuples victorieux, français, américain, russe… Or, l’Artsakh est un des rares endroits où cette idéologie victimaire ne s’est pas implantée et la victoire nous a permis de nous en débarrasser. Nous avons compris que nous pouvions défaire un ennemi plus puissant. Cette valeur idéologique et psychologique est plus importante qu’un tableau comptable. Même aujourd’hui nous ne nous sentons pas vaincus. Nos combattants se sont battus comme des Spartiates contre un membre de l’OTAN, contre l’Azerbaïdjan et avons tué 10 000 de leurs soldats ! Les erreurs étaient politiques, nous avons été vaincus par nous-mêmes, par notre égoïsme. C’est pourquoi maintenant nous avons besoin de professionnels.

NAM : Dans quels domaines ?
D. B. : Nous devons discuter en interne. Mais les gens devraient comprendre que la politique n’est pas un job de rue. Décider de la politique étrangère sans background amène à la catastrophe.

NAM : Vous pensez à quelqu’un en particulier ?
D. B. : Oui, mais je ne veux nommer personne. Le plus vieux temple arménien sur les territoires occidentaux remonte à plus de 11 000 ans. Depuis lors, nous avons combattu à de nombreuses reprises et chaque fois que nous avons perdu, c’est par nos propres fautes internes.

NAM : Pouvez-vous développer sur les problèmes internes ?
D. B. : Les postes clés ont été occupés par des amateurs. J’ai 47 ans et j’ai déjà vu trois guerres. Je déteste les révolutions. Nous avons vu ce qui est survenu avec Gorbatchev qui a été suivi par des vagabonds politiques qui ont tout détruit pendant ces 35 années. Ce qui nous est arrivé est une leçon, une punition divine. Nous n’avons pas le droit de mener notre peuple à la catastrophe. C’est une mission.

NAM : Votre prochaine étape, serait-elle de se débarrasser ce que vous appelez les vagabonds politiques ?
D. B. : Sans cela, il sera impossible d’avancer. L’Artsakh bénéficie de la présence de gardiens de la paix. L’éventualité d’une nouvelle guerre est très faible. Nous avons une chance de nous en sortir. En médecine, le meilleur médicament a forcément mauvais goût. Par exemple, quand je rentre chez moi, j’ai honte, car nous avons dû tant abandonner. Je dois m’excuser auprès des paysages, de la photo de mon père, de tout ! C’est un sentiment que nous n’avons jamais connu auparavant.

NAM : Comment cette guerre a-t-elle pris fin ?
D. B. : La médiation russe y a mis fin. Il nous reste à clarifier les choses avec beaucoup de pays. Nous avons beaucoup apprécié la position du président Macron, mais la Turquie -membre de l’OTAN- a lancé et coordonné cette guerre. Leurs forces aériennes étaient coordonnées depuis Erzurum, pas depuis Bakou. Maintenant nous devons demander à Washington, Paris, Bruxelles, Londres, Varsovie… Saviez-vous que votre allié se préparait à une telle aventure ? Et si oui, quelle a été la réponse de l’OTAN ? L’alliance est-elle si faible qu’un de ses membres peut ignorer l’opinion des autres nations ? Nous restons avec nos points d’interrogation. n

Propos recueillis par Max SIvaslian
PARÛ DANS LE N° DE MARS (282) DE NOUVELLE D’ARMÉNIE MAGAZINE

La rédaction
Author: La rédaction

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