Orhan Pamuk, l’autre voix de la Turquie ( revue de presse )

Se Propager

Au moment où les députés français adoptaient, jeudi 12 octobre, un projet de loi condamnant toute négation du génocide arménien perpétré en Turquie, l’écrivain Orhan Pamuk, l’un des premiers intellectuels turcs à avoir reconnu ce génocide, se voyait décerner le prix Nobel de littérature. La presse européenne met ces deux événements en perspective.

Público (Portugal) José Manuel Fernandes, directeur du quotidien, juge paradoxal le fait que « cet être ouvert, attentif, courageux, aussi bien turc qu’européen, ait gagné le prix Nobel le jour où la France prenait le chemin de l’extrémisme qu’il rejette (…) Je fais référence ici à la loi qui pénalise la négation du génocide arménien, une énorme tragédie historique (…) Ignorant superbement une Europe dont elle se voit le héraut, la France a criminalisé le fait d’émettre une opinion dissonante au moment même où notre continent s’engage pour que des écrivains, comme Pamuk, aient le droit à une voix dissonante en Turquie. Pour cela, je ne peux qu’être aux côtés de Pamuk. Comme écrivain universaliste. Contre les lois turques qui l’ont relégué sur le banc des accusés, et contre le fondamentalisme qui a contaminé les députés français. »

To Vima (Grèce) « Deux Turquie se sont rencontrées hier sur la scène de l’actualité internationale », souligne le quotidien. « La première est connue, c’est celle construite par Mustafa Kemal. Cette Turquie-là a reçu hier un coup de couteau de l’Etat Français qui a choisi de sanctionner ceux qui ne reconnaîtront pas le génocide arménien. La voix française résonne encore ce matin de l’autre côté de la mer Egée, et les conséquences ne se feront pas attendre pour la France. La seconde est la Turquie de l’avenir. Un pays qui flirte ouvertement avec la modernité et se voit bientôt adhérer à part entière à l’UE, même si les traditions y restent très fortes, qu’il a du mal à modifier les institutions, et que les mentalités n’évoluent pas. Une Turquie du futur, qui a reçu de l’Académie suédoise le prix Nobel de Littérature, grâce à Orhan Pamuk. »

La Croix (France) Dominique Quinio regrette l’adoption du texte pénalisant la négation du génocide arménien. « Le génocide arménien ayant été officiellement reconnu par la France en 2001 – c’était là l’essentiel -, était-il nécessaire d’aller au-delà ? (…) Ne devaient-ils pas être écoutés, ces intellectuels turcs qui concourent au travail de mémoire à l’oeuvre dans leur propre pays et qui jugeaient l’initiative française inopportune, susceptible de radicaliser les oppositions ? Ne méritent-ils pas soutien et confiance ? Et, parmi eux, celui qui reçut hier le prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk. Distingué pour le plus grand honneur de son pays et pour la plus grande exaspération des nationalistes turcs qui lui intentèrent un procès pour, précisément, avoir soulevé la question arménienne. Cent six députés français de toutes appartenances politiques en ont décidé autrement. »

La Libre Belgique (Belgique) « Le jury du Nobel a souvent fait le choix ces dernières années de couronner des écrivains qui portent témoignage de leur pays, des problèmes de modernité qui s’y posent et des ambiguïtés qui le déchirent. Ce fut déjà le cas – pour ne citer que deux exemples – de Naguib Mafhouz pour l’Egypte et de J.M. Coetzee pour l’Afrique du Sud », estime Guy Duplat. « Il n’est pas innocent que ce prix arrive au moment où la question de l’adhésion de la Turquie à l’UE et celle de la reconnaissance du génocide arménien sont sur la table politique (…) En couronnant Pamuk, le Nobel célèbre aussi une forme de liberté de pensée et d’écriture, celle de l’écrivain. C’est un choix important à l’heure des négociations entre l’Union européenne et la Turquie et au moment où les débats autour de l’intégrisme agitent toujours la région. »

Dagbladet Information (Danemark) Pour le responsable de la rubrique culturelle du journal, Peter Nielsen, l’attribution du prix Nobel de littérature à Orhan Pamuk est un signal politique. « La Turquie se trouve au milieu d’un délicat processus de rapprochement avec l’Occident, mais doit en même temps préserver son héritage culturel. D’une certaine manière, Orhan Pamuk représente ce qui va trop vite pour la Turquie. En Europe, il est considéré comme le Turc qui pose un regard critique sur son pays. C’est le premier écrivain du monde musulman à avoir condamné la fatwa dirigée contre Salman Rushdie et à s’être engagé pour une liberté d’expression sans restriction. En Turquie, à l’inverse, il est vu comme un Européen qui juge les affaires intérieures de la nation. Certains le traitent de renégat. Il n’est pas simple pour un pays de trouver le ton juste lorsque l’un de ses représentants les plus impopulaires se voit décerné le plus grand prix littéraire de la planète. Toute la question est donc de savoir comment la Turquie va réagir ».

Der Standard (Autriche) « Avec Orhan Pamuk, ce n’est pas un brillant styliste que Stockholm vient d’honorer », estime la journaliste Cornelia Niedermeier. »Il lui arrive de se perdre dans des métaphores maladroites, des descriptions et des leçons de sagesse qui ne sont pas toujours convaincantes. Mais c’est un auteur qui incarne une Turquie à la vue longue, une Turquie de l’autoréflexion et de la tolérance. Avec lui, l’Académie suédoise honore indirectement tous ces Arméniens qui vivent en exil depuis des décennies, et dont le sort est longtemps resté inconnu ».

Gazeta Wyborcza (Pologne) Dans une interview conduite par Roman Pawlowski, Adam Balzer, chercheur au Centre pour les études orientales de Varsovie (CES), explique que l’attribution du prix Nobel de littérature à Orhan Pamuk n’a aucune connotation politique. « Les mouvements nationalistes turcs prétendront que Pamuk est un suppôt de l’Occident qui traîne la dignité du peuple turc dans la boue. Ils auront tort. On ne peut pas réduire l’oeuvre d’Orhan Pamuk à sa position sur la question arménienne. Il a abordé de nombreux autres sujets, comme l’identité turque, le rôle de la religion, l’establishment mondial, les relations entre les groupes religieux et laïques. Orhan Pamuk montre une Turquie multiple, dont l’identité prend la forme d’une mosaïque. C’est même la qualité première de son oeuvre ».

Frankfurter Allgemeine Zeitung (Allemagne) « Orhan Pamuk n’est pas le plus grand écrivain de la Turquie contemporaine, mais un des rares représentants de la vie culturelle turque reconnu sur le plan international », commente Hubert Spiegel. « L’écrivain ne pourra pas éviter d’être considéré comme un représentant de la Turquie en Occident et comme un agent de l’Occident dans son pays. Il ne se contente pas de subir ce dilemme dans ses livres, il le caresse avec volupté : ses ouvrages décrivent inlassablement le jeu des cultures et des traditions à travers les siècles. Si Orhan Pamuk (…) est un médiateur entre les civilisations, c’est un médiateur unique en son genre. Il s’intéresse moins aux points communs entre le monde occidental et le monde musulman, si souvent décrits avec la plus grande facilité, qu’aux antagonismes entre ces deux cultures. C’est à ceux-là qu’il consacre ses romans. L’écrivain les utilise pour décrire des histoires éminemment complexes, riches d’allusions, et d’un accès parfois difficile ».

raffi
Author: raffi

La rédaction vous conseille

A lire aussi

Sous la Présidence d’Honneur de M. Nicolas DARAGON, Maire de Valence, Président de l’Agglomération, Vice-Président de La Région, L’UGAB Valence-Agglomération

Le ministère des Affaires étrangères de l’Azerbaïdjan a de nouveau accusé l’Arménie de ne pas avoir fourni de cartes des

Lors de la séance plénière de l’Assemblée nationale de la semaine prochaine, l’opposition parlementaire, les factions « Hayastan » (Arménie)»

a découvrir

Se connecter

S’inscrire

Réinitialiser le mot de passe

Veuillez saisir votre identifiant ou votre adresse e-mail. Un lien permettant de créer un nouveau mot de passe vous sera envoyé par e-mail.

Retour en haut