Soucieux de désamorcer la polémique provoquée, à l’initiative des partis de l’opposition parlementaire, par les révélations relatives au doublement du salaire des ministres et d’autres hauts responsables, le premier ministre Nikol Pachinian a justifié publiquement cette décision, le mercredi 23 octobre, en niant qu’elle ait été prise en secret.
C’est en effet le manqué de transparence dans cette décision qui avait été surtout reproché au gouvernement, après les révélations lundi du site d’investigation Hetq.am, selon lesquelles les ministres, leurs assistants et de hauts responsables du gouvernement avaient vu leurs salaires mensuels multipliés par deux, et ce depuis quatre mois. Selon le site, cette augmentation résultait d’une “directive secrète” émise par N. Pachinian en juillet. Les leaders de l’opposition arménienne n’ont pas manqué de s’emparer de ces informations pour accuser le gouvernement d’avoir manqué de cette transparence qu’il a pourtant érigée en mode de gouvernance.
Certains d’entre eux ont aussi fait valoir que cette augmentation conséquente était contraire à la législation arménienne relative à la rémunération des officiels de haut rang. Edmon Marukian, le leader du parti d’ opposition Arménie lumineuse (LHK), avait demandé des explications à Pachinian lors de la séance de questions au gouvernement au Parlement. N.Pachinian a donc expliqué que les rémunérations mensuelles des fonctionnaires en question avaient doublé grâce aux gros bonus dont il avait gratifié leurs salaires, bonus qui auraient été financés par les “fonds de bonus” que le budget de l’Etat arménien 2019 avait mis de côté pour toutes les agences gouvernementales.
“Vous en aviez été tenus informés lors des discussions sur le budget [au Parlement] et vous avez voté pour”, a souligné N.Pachinian à l’adresse d’E.Marukian. Ces fonds sont équivalents à 30 % du montant des salaires gouvernementaux pour cette année, a ajouté le premier ministre en précisant que le gouvernement est libre d’utiliser à sa guise ces 30%”. Le premier ministre a aussi affirmé que sa décision controversée avait été considérée comme “classifiée” par son cabinet en raison de la seule “inertie” bureaucratique.
Il a fait valoir qu’il ne serait de toute manière pas en mesure de cacher les salaires mensuels des ministres pour la simple raison qu’ils sont tenus de les faire figurer sur leurs déclarations de revenus, accessibles au public, sur une base annuelle. Cette augmentation porte désormais le salaire mensuel des membres du gouvernement de Pachinian à la coquette somme d’1,5 million drams (3 200 $), qui prend toute sa dimension comparée au salaire mensuel moyen en Arménie, qui tourne autour de 180 000 drams, et plus encore aux pensions et retraites, dont le moyenne nationale est seulement de 41 000 drams mensuels. Pachinian a balayé les commentaires soulignant l’énorme disparité entre les salaires des ministres et les retraites, en faisant valoir que le montant des retraites, et son augmentation, dépendent au bout du compte de la qualité du travail des ministres, et en soulignant que l’année en cours “assurera une augmentation de 20% des revenus de l’Etat” qui se traduira pas une “hausse progressive des retraites à compter du 1er janvier” prochain.
N.Pachinian et les membres de son équipe préfèrent comparer leurs salaires aux salaires pratiqués dans certaines entreprises du secteur privé, bien plus attractifs et capables de détourner de la fonction publique les éléments les plus qualifiés du pays. C’est un des arguments avancés par le gouvernement porté au pouvoir par une révolution qui dénonçait notamment les inégalités sociales, pour justifier cette hausse importante et soudaine des salaires de ses membres, qui risque d’être mal comprise et critiquée par une opinion prompte à dénoncer la cupidité de la classe politique dirigeante, comme l’avait montré il y a un an, la polémique causée par la hausse des salaires de gouverneurs de régions et autres édiles locaux, y compris à Erevan, à coups de bonus.
Parmi les autres arguments invoqués, celui selon lequel l’augmentation des salaires des fonctionnaires, comme ceux des juges, les prémunirait contre la tentation de la corruption, une équation qui n’est pas toujours justifiée, quand on sait que le pouvoir va souvent de pair avec l’argent et qu’une augmentation de salaire ne mettra pas à l’abri de la tentation celui qui l’exerce et qui se voit ainsi donner les moyens d’en acquérir beaucoup plus. Pachinian figurait d’ailleurs parmi les plus virulents détracteurs de la précédente grande hausse des salaires des responsables gouvernementaux, sous la présidence de Serge Sarkissian, en 2013.
Pachinian, qui était alors une des figures de proue de l’opposition parlementaire, avait dénoncé cette mesure, en la mettant sur le compte du “cynisme” du gouvernement de l’époque.