Le premier ministre arménien Nikol Pachinian présidait mardi 30 avril la réunion des dirigeants des pays membres de l’Union économique eurasiatique (UEE) qui se tenait à Erevan, un peu plus de quatre ans après l’entrée officielle de l’Arménie dans cette union créée et dirigée par le president russe Vladimir Poutine. Le premier ministre arménien, qui se disait encore opposé au maintien de l’Arménie dans cette union quelques mois avant son accession au pouvoir en mai 2018, a depuis, changé de position et n’a cessé d’exalter une relation plus étroite avec la Russie, notamment dans le cadre de l’UEE. Il a réitéré cet engagement, en soulignant l’impact positif sur l’économie arménienne de son ouverture sur le marché des autres pays membres de l’UEE (Russie, Biélorussie, Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizstan), mais la reunion de Erevan a néanmoins été ternie par des rumeurs faisant état du comportement jugé discourtois du premier ministre russe Dmitri Medvedev à l’égard de N.Pachinian, qui a dû s’en expliquer publiquement, afin de couper court aux speculations des medias sur les tensions persistantes entre Moscou et Erevan. N.Pachinian a ainsi démenti les informations selon lesquelles D.Medvedev l’aurait pris de haut lors de la reunion de l’UEE dont Erevan assume la presidence tournante.
Les images de la reunion des premiers ministres des pays membres de l’UEE semblaient pourtant parler d’elles-mêmes, et avaient provoqué un choc en Arménie, où elles circulaient en boucle sur Internet le lendemain, mercredi 1er mai. Dans cette courte retransmission de cette rencontre présidée par N.Pachinian, on voit notamment le premier ministre arménien, à l’issue des discussions en langue russe, s’adresser à ses hôtes dans les termes suivants, trahissant sa connaissance limitée de la langue de Tolstoï :”S’il n’y a pas de questions, chers amis, pouvons-nous y aller ?” “Aller où?”, le coupera de façon mordante Medvedev. “A la procédure de signature de nos textes” répondra Pachinian en insistant: “Alors, nous pouvons poursuivre maintenant?” En guise de réponse, Medvedev hochera la tête en affichant le même sourire narquois que les membres de la délégation russe assis à ses côtés.
L’attitude du premier ministre russe n’a pas manqué de susciter des commentaires sur les reseaux sociaux arméniens, où on a voulu y voir un signe de mépris à l’encontre de N. Pachinian, et de sa maîtrise approximative de la langue russe. Les opposants de Pachinian s’en sont donné à coeur joie pour le dénigrer, alors que les partisans du premier ministre ont mis à profit cette video pour critiquer Medvedev et au-delà, dénoncer l’attitude dominatrice de la Russie sur son ancienne colonie arménienne. Au nombre de ceux-ci, plus nombreux, figure Alen Simonian, vice-président du Parlement arménien et responsable en vue de l’alliance “Mon pas” qui le contrôle. Sans citer Medvedev, A. Simonian a condamné cette “plaisanterie douteuse” à laquelle Pachinian aurait donné selon lui, la réponse qui convenait. “Vous avez le cran de prendre avec le sourire les fautes de votre invité car vous êtes sûr de votre pouvoir et de vous-mêmes”, a notamment écrit Simonian sur sa page Facebook.
Mais Pachinian s’est employé à désamorcer la polémique non sans critiquer ses détracteurs en Arménie, les accusant d’avoir voulu provoquer “une tempête sur les reseaux sociaux”, qu’il connaît d’ailleurs bien pour en être un utilisateur assidu. Une tempête dans un verre d’eau qui ne donnera lieu à aucun incident diplomatique, a fait savoir Pachinian, en jugeant toutefois utile de souligner que Medvedev ne s’était pas moqué de lui et avait tout simplement formulé le souhait que les participants de la reunion de l’UEE allaient “aller… au café!”. “Car nous étions tous terriblement fatigués et voulions un café”, a expliqué un peu plus tard le premier ministre arménien sur sa page Facebook, en revenant sur cet incident qui n’en était donc pas un, selon lui. “La reunion a duré deux heures et demi de plus que prévu”, a-t-il insisté, pour justifier cette soudaine envie de café dans laquelle devenait donc soluble la crise russo-arménienne annoncée! Un autre proche de N.Pachinian, le president de la commission des affaires étrangères du Parlement arménien Ruben Rubinian, a de la même manière tenu à souligner, jeudi 2 mai, que les premiers ministres arménien et russe avaient échangé une conversation tout à fait “ordinaire” at amicale.
Interrogé sur l’impact éventuel, sur les relations arméno-russes, du flot de commentaires hostiles à la Russie qu’a déchaîné cette video sur les reseaux sociaux, R. Rubinian s’est montré plutôt sybillin: “En un sens, cela est possible, mais je ne veux pas surestimer l’impact des tempêtes nées sur Facebook”. Réagissant à cette “tempête”, Pachinian a aussi mis l’accent sur les contacts “informels” qu’il avait eus avec Medvedev en amont de la réunion de l’UEE. Les deux dirigeants s’étaient en effet rencontrés dans la residence privée de Pachinian, avant de se rendre dans un club musical de la capitale arménienne le lundi 29 avril. Lors de ces dicussions informelles, Pachinian aurait réitéré devant Medvedev l’engagement contracté par l’Arménie dans le cadre de l’UEE et au-delà, sa volonté de renforcer l’alliance avec la Russie. “Je suis sûr, contrairement aux pessimistes, que nous parviendrons à élever nos relations à un nouveau niveau”, aurait alors déclaré le premier ministre arménien, reprenant une formule qu’il affectionne. S’il est devenu, depuis son arrivée au pouvoir, un ardent défenseur de l’adhésion de l’Arménie à l’UEE alors qu’il exigeait, il y a moins de deux ans, son retrait de cette union, Pachinian a conscience qu’il n’a pas entièrement convaincu les Russes. Dans un entretien accordé la semaine précédente à un journal russe, l’ancien journaliste d’opposition âgé de 43 ans a admis qu’il n’avait toujours pas pu gagner la confiance de “certains cercles russes”. Il a précisé que ceux-ci se trompaient, s’ils pensaient que la revolution arménienne dont il avait pris la tête il y a un an, avait été orchestrée par les puissances occidentales.