Pardonnez-nous d’exister, par Ara Toranian

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Pour la première fois depuis très longtemps, un grand hebdomadaire français, Le Monde 2 (du 20 février), a consacré sa « une » à un sujet sur les Arméniens. Sous le titre « Turcs-Arméniens, le temps du dialogue », le journaliste Guillaume Perrier se fait l’écho de l’accélération de l’histoire à laquelle a donnée lieu l’assassinat de Hrant Dink le 19 janvier 2007 à Istanbul. Un mouvement qui s’est essentiellement traduit par l’émergence sur la scène politique turque d’une véritable opposition au discours officiel purement négationniste à l’égard du génocide des Arméniens. Cette réaction positive, impulsée par des intellectuels turcs, s’est notamment soldée par une pétition-événement, qui « demande pardon aux Arméniens pour la grande catastrophe de 1915 et son déni ». Le mot pardon est prononcé. Mais, pardon si je n’ai pas bien entendu, le mot génocide ne l’est pas. C’est, nous dit un journaliste arménien d’Agos cité dans cet article, pour ne « pas dresser un mur avec les Turcs. Si le but est de faire évoluer la société turque, il faut maintenir le dialogue »,conclue-t-il. Soit, si tel est le but.

Mais, et qu’on lui pardonne d’exister même si elle n’est pas invitée dans ce débat, il y a en France une communauté arménienne avec des instances représentatives qui, tout en partageant ce louable souhait de faire évoluer la société turque, est confrontée à d’autres problèmes, plus immédiats. Et le premier d’entre eux est d’en finir une bonne fois pour toute avec le négationnisme de l’état turc et de ses affidés dans la république française. Une loi a été votée le 12 octobre 2006 par l’Assemblée nationale. Sa ratification attend toujours d’être mise à l’ordre du jour du Sénat. Avant d’oeuvrer pour l’évolution de la Turquie, nous serions en l’occurrence bien inspirés d’agir pour un meilleur fonctionnement de nos institutions républicaines.

Par ailleurs, et là les choses deviennent plus sérieuses, autant est-il légitime de se féliciter des progrès en cours en Turquie, autant leur instrumentalisation contre les combats de la communauté arménienne de France est inadmissible. Et il est ici fait référence aux prises de position de Hrant Dink contre la loi de pénalisation du génocide arménien, que l’auteur de cet article n’a pas manqué de citer. Faut-il le rappeler ? Ce positionnement de Dink était purement circonstanciel. Il était lié aux difficultés de son combat en Turquie. Pour se faire entendre dans cette société très dure, marquée par l’ultranationalisme, pour rendre son discours audible, Hrant Dink était obligé de composer, de faire des concessions, de donner des gages. Bref, de faire de la politique. Exactement comme, dans le même esprit, nos quatre intellectuels turcs évitent le mot « génocide » dans leur pétition. Pourquoi sinon Hrant Dink aurait-il été se mêler des affaires de la France, de surcroit pour se prononcer contre le combat de ses frères arméniens ?

Pourquoi par exemple, la direction de Nouvelles d’Arménie, qui s’honore de figurer parmi les plus chauds partisans de cette loi n’a-t-elle jamais critiqué Dink pour ses positions ? Pourquoi au contraire lui a-t-elle toujours largement ouvert ses colonnes et pourquoi l’a-t-elle même invité à participer à un débat à Paris, dans la période même où ce texte a été voté ? Dink avait le couteau sous la gorge. Ces concessions purement tactiques étaient liées aux priorités et aux urgences de son militantisme, ô combien essentiel, et dont on cueille aujourd’hui les fruits. Il est mort quelque temps après des mains de ce nationalisme turc qu’il combattait de l’intérieur, et qui a fini par avoir sa peau. Alors de grâce, que l’on ne fasse pas parler les morts ! En particulier contre leur propre camp. Que l’on ne pèse pas au même trébuchet, la situation des Arméniens de Turquie et celle des Arméniens de France.

Faut-il rappeler que la très grande majorité des Français qui ont remercié les intellectuels turcs dans une pétition-réponse à leur initiative, sont favorables à la loi incriminant la négation du génocide ? C’est le cas notamment de son initiateur, Serge Avédikian ou Robert Guédiguian, cités par Guillaume Pérrier comme les chantres du dialogue coté arménien.

On ne saurait donc opposer de gentils démocrates arméniens désireux de parler avec les Turcs, à une diaspora extrémiste, crispée sur le passé. Il y a en revanche bel et bien un mouvement visant à empêcher toute législation internationale nouvelle sur le génocide des Arméniens, que ce soit en France et surtout aux USA, consécutivement à l’engagement de Barak Obama relatif à la reconnaissance du fait historique par l’Amérique, premier allié d’Ankara.

La diaspora est la descendante directe du crime des crimes. Elle en est la légataire universelle. Ses mobilisations ont permis de briser le mur du silence, de vaincre les tabous et de déboucher sur de multiples reconnaissances du génocide ; une dynamique qui touche aujourd’hui directement ou indirectement la tête et le coeur de la société turque ; et permet son évolution.

La communauté arménienne de France se félicite que grâce à son combat la Turquie commence enfin à se réapproprier son histoire. C’est tout le mal qu’elle lui souhaite. Elle ne peut qu’appeler de ses voeux le recul de l’ultranationalisme turc et une réconciliation sur des bases justes entre Ankara et l’Arménie, afin que ces pays puissent se développer normalement et construire un avenir pacifié. Mais surtout, elle ne veut plus être confrontée, là où elle vit désormais, là où l’exode à porté ses pas, à un négationnisme qui n’est que la continuation du génocide par d’autres moyens.

Que les intellectuels turcs s’occupent de la Turquie. Mille bravos. Ce n’est qu’un début, continuez le combat ! Nous, nous nous chargeons de la France, de notre présent, et de l’avenir de nos enfants. Et nous disons : pour ici, pour maintenant, et pour plus tard : plus jamais ça ! La diaspora ne veut pas revivre, fut-ce sous forme symbolique, ce qu’on vécu les victimes du génocide – lesquelles étaient sans doute les seules à pouvoir légitimement accorder un pardon au bourreau, mais à qui personne n’a jamais rien demandé.

Ara Toranian

La rédaction
Author: La rédaction

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