Au Parlement européen dans son intervention mardi 17 octobre, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian n’a pas maché ses mots : l’Arménie a été lâchée par ses partenaires stratégiques de l’OTSC dont la Russie est aux commandes.
Le Premier ministre arménien a affirmé à juste titre qu’en mai 2021 lorsque le territoire souverain de l’Arménie était violé par les soldats azéris notamment près de Sév Lidj (le Lac Noir) situé dans la région stratégique de Syunik, et qu’Erévan avait demandé à Moscou l’intervention de l’OTSC, il n’y avait pas eu de réaction.
En septembre 2022, le territoire souverain de l’Arménie était une nouvelle fois attaqué par l’Azerbaïdjan dans les régions de Gegharkunik, Vayots Dzor et Syunik, les troupes azéries ayant avancé sur près de 150 km² sur le territoire de l’Arménie. L’Arménie demanda une nouvelle fois l’aide de l’OTSC. Une nouvelle fois, sans réponse. Les forces de l’OTSC, organisation à laquelle l’Arménie est membre à part entière, avaient pourtant l’obligation d’intervenir…Poutine bloquant cette intervention.
L’épisode de l’Artsakh où suite à l’accord du 9 novembre 2020 les forces russes de paix devaient assurer la sécurité sur le territoire de l’Artsakh et surveiller et sécuriser le corridor de Latchine, le blocus de près de 10 mois de ce corridor a une nouvelle fois démontré l’inertie, sinon la collusion des forces russes avec les troupes azéries…
Dans ces conditions, on comprend aisément le désarroi du gouvernement arménien lâché par son partenaire stratégique, la Russie, qui dispose avec l’Arménie d’accords de coopération militaire privilégiées jusqu’en 2034. Moscou a ainsi failli à ses obligations.
Car il faut bien le dire, depuis la guerre en Ukraine, mais même avant cela, les choses ont changé dans la stratégie de la Russie. Moscou est désormais lié à Ankara par d’énormes accords économiques, tant de la construction d’une centrale thermonucléaire que des échanges en matière commercial évalués à plusieurs dizaines de milliards de dollars par an. Les entreprises de construction turques disposant en Russie de marchés très importants.
De plus la guerre en Ukraine a renforcé les liens entre la Russie et la Turquie, Erdogan étant devenu l’ami de Poutine, et un arbitre autoproclamé entre les forces de l’OTAN et Moscou. Poutine joue avec Erdogan qui joue avec Poutine et l’OTAN…L’OTAN sait que la Turquie n’est plus un partenaire et membre fiable, mais fait mine de fermer les yeux ! Ankara en profite pour encaisser les dividendes de chaque camp.
La Russie a également développé ses intérêts avec l’Azerbaïdjan puisque le gaz russe sous embargo de l’OTAN passe désormais par Bakou pour être dirigé vers la Turquie et l’Europe, contournant ainsi les sanctions internationales.
Dans ces condition l’axe Moscou-Bakou-Ankara a supplanté le lien entre Moscou et Erévan. D’autant plus que le chantre de la démocratie installé à Erévan depuis mai 2018 a rendu difficile les liens avec les autocraties que sont la Russie, l’Azerbaïdjan et la Turquie.
Le froid entre la Russie et l’Arménie était prévisible et Poutine qui a de nouveaux partenaires turco-azéris beaucoup plus rentables, veut faire payer l’Arménie d’avoir choisi la voie de la démocratie, celle de l’Occident haï, de l’Europe et de l’OTAN. Et il n’est pas interdit de penser que Moscou fera tout pour faire plier l’Arménie, quitte à lui faire perdre de nouveaux territoires et provoquer une révolution pour renverser l’homme de la « Révolution de velours ».
L’Arménie, en faisant ce choix de l’Occident, risque de payer très cher la colère de Poutine, capable du pire. Nikol Pachinian le sait et accélère son arrimage à l’Union européenne et à l’OTAN. Un pari risqué, si les armes de défense de l’Arménie n’arrivent pas à temps à ses frontières. La France a compris ce risque auquel est soumis l’Arménie et a donné son feu vert pour l’armer. D’autres pays européens suivront.
Mais cette aide européenne sera-t-elle assez importante pour contrer l’Azerbaïdjan soutenu par le géant russe qui reste le gendarme du Sud-Caucase ?
Le pari risqué de Pachinian peut conduire l’Arménie au chaos, par un étranglement économique de la Russie, premier partenaire commercial de l’Arménie, mais également par une agression militaire par turco-azéris interposés. Mais l’Arménie, si elle était puissamment soutenue par l’Europe et les Etats-Unis, pourrait gagner ce pari et avancer ver un Etat de droit et la démocratie, gages de développement harmonieux du pays.
Cependant, à l’heure où la guerre continue en Ukraine et le Moyen-Orient s’embrase, avec une possible retombée dans la région du Sud-Caucase et de l’Iran frontalier, il est très difficile de prédire quel avenir attend l’Arménie, à la croisée des chemins. Car l’Arménie n’est pas aux manettes de son destin qui est lié à l’environnement international. C’est le sort des « petites nations » qui paient souvent pour les grandes…
Krikor Amirzayan
Author: Krikor Amirzayan
Krikor Amirzayan est un caricaturiste et journaliste arménien. Ses œuvres – articles et caricatures – paraissent dans différents titres de la presse en Arménie et en diaspora. En France il est l'un des rédacteurs du site d'information www.armenews.com. Il est l'auteur de deux livres de caricatures L'Indépendance (Erevan, 1995) et Oh ! Arménie, Arménie ! (Erevan, 1999). Il vit à Valence (France). En 2002 l'Express l'a désigné parmi « Les 50 qui font bouger Valence » Krikor Amirzayan a réalisé de nombreuses expositions de ses caricatures. Krikor Amirzayan a été décoré de la Médaille d'or du ministère de la Diaspora de la République d'Arménie, médaille qui lui fut remise le 14 novembre 2014 à Bourg-lès-Valence par l'ambassadeur d'Arménie en France Viguén Tchitétchian1. En juillet 2017 il reçut le 1er Prix de la "Défense de la langue arménienne" à Erévan par le ministère arménien de la Diaspora
