Pauvre Turquie

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Lysiane Gagnon

La Presse

CANADA

Quel pays accepterait sans broncher de voir son territoire envahi et ses militaires assassinés par des terroristes? Aucun, direz-vous, à plus forte raison s’il a les moyens de réagir. C’est pourtant ce qu’une bonne partie de la communauté internationale, à commencer par les États-Unis, demande à la Turquie.

Dimanche, un commando kurde en provenance de l’Irak a attaqué un contingent militaire turc, tué 12 soldats et kidnappé huit autres, dans ce qui n’est que le plus récent épisode de la guérilla sanglante menée depuis 20 ans par le PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, guérilla qui a fait jusqu’ici plus de 30 000 morts. Le PKK et ses alliés veulent regrouper dans un État indépendant les Kurdes qui vivent en Irak, en Turquie et en Iran. À la faveur du chaos provoqué par l’invasion américaine en Irak, le Kurdistan irakien a acquis un statut plus ou moins autonome, mais ses militants les plus fanatiques n’en continuent pas moins à mener des opérations au-delà de la frontière turquo-iraquienne.

Depuis ce nouvel attentat, qui a déclenché une immense vague de fureur dans le pays, la puissante armée turque – la sixième au monde en importance – a massé 100 000 hommes à la frontière, et la seule question est de savoir jusqu’où, et avec quelle intensité, ils attaqueront les bases du PKK irakien.

Comme le nord de l’Irak est pratiquement la seule région relativement pacifique de cet Irak déchiré par des guerres tribales, l’administration Bush tremble à l’idée de voir l’irruption d’un autre joueur «déstabiliser» la situation en Irak (comme si l’Irak n’était pas déjà puissamment déstabilisé!).

Les Américains ont commis, on le voit aujourd’hui, une autre erreur fatale en Irak. À court d’alliés sur place, ils ont tacitement fait alliance avec les Kurdes, qui en ont profité pour renforcer leur domination sur le territoire où ils sont majoritaires sans renoncer à leur rêve ultime du «grand Kurdistan».

Tant le gouvernement fantoche de Bagdad que le gouvernement régional du Kurdistan ont fermé les yeux sur les opérations terroristes que continue à mener le PKK en Turquie. En réponse à la Turquie qui exige le démantèlement des bases terroristes du nord de l’Irak, le président irakien, Jalal Talabani, lui-même kurde, a déclaré cette semaine qu’il était hors de question de livrer des chefs du PKK à la Turquie. Le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, est quant à lui un ancien chef de guerre du PKK

Sous la pression américaine, le premier ministre al-Maliki s’est engagé à coopérer avec la Turquie pour prévenir d’autres attaques, mais la promesse, venant d’un gouvernement incapable de faire régner un minimum d’ordre dans sa propre capitale, n’a guère de crédibilité.

Ce qui se passe là-bas a beaucoup d’importance. La Turquie est, de loin, le principal allié de l’Occident dans le monde musulman. Ce pays veut désespérément entrer dans l’Union européenne. Il pratique un islam modéré. Il est depuis longtemps membre de l’OTAN, il participe aux opérations en Afghanistan, et il est allé jusqu’à permettre aux Forces américaines de se ravitailler sur ses bases navales lors des deux offensives des États-Unis en Irak.

Or, que reçoit la Turquie en échange? L’Europe est en train de lui fermer au nez la porte qu’elle avait elle-même entrouverte, même si la Turquie a tout fait pour se conformer aux exigences européennes. La France et l’Allemagne, notamment, sont aujourd’hui opposées à l’adhésion de la Turquie. Et les Américains, pour lesquels les Turcs ont sacrifié leur statut au sein du monde musulman, viennent de leur infliger un soufflet de taille.

Sous la pression du lobby arménien, qui a accentué sa croisade internationale pour faire reconnaître comme «génocide» les massacres dont les Arméniens ont été victimes il y a 92 ans, un comité du Congrès vient d’adopter une résolution accusant la Turquie d’avoir perpétré un «génocide». La Turquie reconnaît qu’il y a eu des massacres mais rejette l’idée qu’il se soit agi d’un génocide, ce qui est du reste une position parfaitement défendable pour peu que l’on respecte le sens des mots.

Or, quelques jours après ce camouflet parfaitement gratuit de législateurs américains à propos d’une tragédie qui remonte à l’empire ottoman, la Turquie se fait dire qu’elle devrait tendre l’autre joue lorsqu’elle est attaquée à sa propre frontière

L’Occident regrettera un jour amèrement d’avoir traité ce pays-là avec autant de légèreté.

lysiane.gagnon@lapresse.ca

raffi
Author: raffi

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