Penser stratégie

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« Ce n’est pas la raison qui instruit les imprudents, mais les pertes qu’ils font », écrivait le philosophe grec Démocrate, un siècle avant Jésus-Christ. Puisse la dernière agression turco-azerbaïdjanaise contre l’Arménie l’amener à tirer les leçons de la situation. Ce qu’elle n’a visiblement pas fait depuis deux ans. Au contraire. On a suffisamment reproché en ces pages l’écrasante responsabilité de l’ancien régime dans la défaite de 2020 pour ne pas s’inquiéter des inconséquences du nouveau, dans un certain nombre de domaines. Sur le plan militaire tout d’abord. L’impitoyable constat dressé dans ce numéro (NAM 299) par Leonid Nersisyan, spécialiste des questions de défense, sur les erreurs commises durant la guerre des 44 Jours, donne toute la mesure de l’inconscience criminelle des anciens dirigeants du pays, mais également des fautes imputables aux nouveaux.
Il faut lire ce réquisitoire sur nos carences en matière de défense dans les domaines aussi élémentaires que le camouflage, la fortification de nos positions, le bétonnage de nos tranchées, l’usage des leurres. S’en remettre aux forces d’interposition, c’est bien. Mais le proverbe russe ne dit-il pas : « Si tu veux que le Seigneur te protège, protège-toi d’abord » ?
Notre état-major a-t-il appris quelque chose des guerres passées, qui ont vu des petits peuples vaincre les plus grandes puissances, même quand la mort tombait aussi du ciel ? Idem pour les besoins offensifs. Où sont les achats de matériel militaire, de drones ? Trop chers pour le budget de l’Arménie ? Vraiment ? Que dire également des questions d’effectifs ? On s’est beaucoup interrogé sur le peu d’engagement de l’armée d’Arménie en 2020. Mais la situation semble tout aussi stupéfiante aujourd’hui. Alors que le pays était attaqué à ses frontières, a-t-on seulement entendu un appel à la mobilisation générale ou a minima aux réservistes ? Question de moyen ou de vision politique ? On nous a proposé, au contraire, durant l’été, une réforme du service militaire consistant pour les plus riches à payer 60 000 dollars pour s’éviter un an et demi de conscription, sur les deux ans obligatoires (voir page 9). Est-ce ainsi que nous allons grossir nos rangs ? A quand, à l’instar d’Israël, l’engagement des femmes dans l’armée et son ouverture à la diaspora ?
Nos gouvernants ont-ils bien conscience de la menace existentielle qui pèse sur l’Arménie ? Après les oligarques pourris, nos gentils démocrates sont-ils à la hauteur des enjeux ? Comment une nation de joueurs d’échecs peut-elle se montrer aussi imprévoyante ?
Au-delà même de la dimension militaire, comment ne pas s’inquiéter de la gestion calamiteuse de l’autre atout stratégique du pays, la diaspora ? On entend depuis trente ans nos brillants analystes nous expliquer que les communautés sont les pipes-lines de l’Arménie, et que leur potentiel compense ses carences en gaz ou en pétrole. Mais que fait, depuis 30 ans, Erevan de ce gisement humain ? Non seulement nos gouvernants l’ont utilisé de la manière la plus primaire qui soit, à travers les transferts de devises, mais ils n’ont jamais proposé la moindre doctrine sur l’usage de ce gigantesque réseau sillonnant le monde entier. Ont-ils seulement pensé aux services que ces bras de levier pouvaient rendre dans de multiples secteurs ? Au lieu de quoi les finances laborieusement glanées, faute de sens donné aux collectes, sont parties dans des routes dont profite aujourd’hui la colonisation azerbaïdjanaise. Sans mettre en cause les intelligences ou les bonnes volontés, magnifiques, aux commandes de ces initiatives, est-il possible de s’interroger sur la pertinence qu’il y a à investir dans la microéconomie locale quand, jamais, aucun centime n’a été placé dans les domaines aussi stratégiques que la communication, le lobbying dans les pays où existe une opinion publique ? Pire, alors que nos médias, qui figurent parmi les principaux vecteurs du lien social, de la conscientisation, de l’information intérieure et extérieure, sont en sous-effectifs chroniques (quand ils ne meurent pas de faim), on les presse comme des citrons dans les situations d’urgence pour suppléer les carences en matière de lobbying ! Plus grave encore, lorsque, par extraordinaire, une communauté arménienne, comme celle de France, finit par se donner les moyens de peser politiquement dans son pays, en faisant l’unité, il se trouve aujourd’hui un haut-commissariat qui s’évertue, pour des motifs partisans, à la diviser, à la fragiliser ! Le plus terrifiant étant atteint lorsque nos dirigeants s’imaginent que c’est pour leurs beaux yeux, ceux de l’Arménie ou du Karabakh que les Nancy Pelosi, les Anne Hidalgo ou les Valérie Pécresse se rendent à Erevan, à Goris ou à Stepanakert ! De tels aveuglements font peur. Surtout quand on sait l’usage qu’Erdogan fait de son émigration, sans compter les investissements d’Aliev pour créer ex-nihilo une diaspora politique azerbaïdjanaise. Il est temps de se réveiller, de penser stratégie, et d’en finir avec les faux semblants.

Ara Toranian
Editorial publié dans N° 299 de NAM paru le 1er octobre 2022.

La rédaction
Author: La rédaction

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