Pour une loi contre le négationnisme turc

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Le groupe socialiste au Sénat a officiellement demandé le 5 juillet dernier que la loi réprimant la négation du génocide des Arméniens soit inscrite à l’ordre du jour des débats. Cette initiative qui ne va pas de soi, montre que les mentalités sont en train d’évoluer sur ce sujet controversé.

Une proposition en ce sens a été votée en première instance par l’Assemblée nationale le 12 octobre 2006. Elle avait, on s’en souvient, déclenché un tollé dans certains cercles de l’intelligentsia.

L’association « Liberté pour l’Histoire » confondant causes et conséquences, ou plus maladroitement encore histoire et droit, y avait vu l’expression d’une nouvelle loi mémorielle, témoignant d’une dérive communautariste de la société et porteuse d’un risque liberticide. Alors que c’est le négationnisme de l’état turc qui fait de la vérité historique un enjeu nationaliste. Mais cette opposition d’une partie importante des historiens avait provoqué une bourrasque médiatique contre ce projet qui avait eu pour effet de refroidir des parlementaires. Résultat : le texte attend depuis quatre ans d’être discuté par le Sénat.

Seuls quelques intellectuels, dont notamment Bernard-Henri Lévy ou Michel Onfray, des organisations de défense des droits de l’homme comme la Licra ou le MRAP pour une fois réunis, des personnalités politiques de premier plan ( tous les leaders des grands partis) au fait de la question, se sont exprimés contre les idées simples répandues dans l’opinion du moment. Ces prises de positions courageuses, si elles n’ont pas réussi à inverser la tendance, ont du moins stoppé la déferlante d’hostilité qui s’était manifestée à l’époque. Et elles ont permis que ce projet, dont l’importance va bien au-delà de la seule défense des victimes et de leurs descendants, ne soit pas définitivement enterré.
Comme souvent dans ce type de situation bloquée, ce sont les événements qui se sont chargés de changer le regard qu’on pouvait avoir sur cette problématique. Et en particulier l’actualité relative à l’évolution de la situation en Turquie.

On est aujourd’hui en effet très loin de l’époque bénie où l’AKP de M.Erdogan, qui se présentait comme une sorte de « démocratie-chrétienne » à la mode islamique faisait chavirer les coeurs et les têtes en Occident. Petit à petit, les masques sont tombés, entraînant dans leur chute nombre d’illusions. Dans ce pays, le mouvement de réformes en matière de liberté et de droits de l’homme, en particulier quant à l’ouverture sur les Arméniens a fait long feu, laissant place aux vieux réflexes du nationalisme (CF l’épisode des Protocoles signés avec l’Arménie et non ratifiés). Pire, le kémalisme n’a non seulement rien cédé de sa prédominance à l’islamisme, qui faisait figure d’idéologie de substitution, mais il a vu au contraire ses voiles regonflées par une fierté musulmane détournée, pervertie et récupérée à son profit. Conséquence : on assiste aujourd’hui à la montée en puissance d’un Etat turc devenu seizième puissance économique mondiale, désireux de s’affranchir de la tutelle encombrante de ses bienfaiteurs et autres mentors occidentaux ( cf la crise avec Israël), et qui entend jouer sa carte d’égal à égal avec eux. Cette grandeur retrouvée aura-t-elle amené la Turquie, qui dispose désormais des moyens économiques propices à une ouverture démocratique, à de meilleurs sentiments, notamment sur la question du génocide arménien ? Pas le moins du monde. Non seulement Erdogan multiplie les déclarations négationnistes, qui sont autant de provocations à l’encontre des droits de l’homme, mais il ambitionne en plus de faire de cette politique un de ses cheveaux de bataille à l’intérieur de l’Europe. Et la France, qui a été sur le vieux continent le premier pays à reconnaître le génocide de 1915 par une loi, fait à cet égard figure de cible privilégiée.

D’où l’incroyable discours du 7 avril dernier au Zénith à Paris, au cours duquel le Premier ministre turc a appelé ses ressortissants surchauffés à prendre la nationalité française pour se faire les ambassadeurs de la diplomatie de la Turquie dans la République. Ce qu’il faut comprendre comme une invitation à souscrire au négationnisme d’Etat, situé au sommet des « vertus » cardinales de la politique étrangère turque.

Ce changement de ton a suffi à ouvrir les yeux à nombre de parlementaires français. On est désormais très loin d’un débat formel et philosophique pour savoir à qui il appartient d’écrire l’histoire. On est confronté à un défi, lancé par la plus haute autorité d’un Etat négationniste, qui entend exporter en France ses turpitudes et faire de la reconnaissance du premier génocide du XXe siècle, un enjeu de son influence sur le sol national. Ce qui va à l’encontre de toutes les normes et valeurs fondatrices de notre république. Peut-on réfléchir un instant à ce que vaudrait le contrat social dans le pays si on laissait la vérité sur l’un des plus grands crimes du XXe à l’arbitrage d’un affrontement intercommunautaire ? Ce serait créer un précédent dont on n’imagine pas les conséquences, non seulement historiques, mais aussi politiques.

Face à ce défi, comme dans d’autres questions de société, l’Etat se doit de prendre ses responsabilités, non seulement eu égard au droit à la dignité des victimes et à celui leurs descendants mais aussi pour défendre le modèle démocratique qui ne saurait être soumis aux instrumentalisations hypernationalistes et communautaristes, à fortiori lorsqu’elles sont doublées de négation de crime contre l’humanité. D’où l’initiative du parti socialiste qui entend combler les carences législatives en ce domaine. Un objectif qui devrait largement dépasser le simple cadre de son influence – car cette question n’est ni de droite, ni de gauche – et entraîner, comme pour la loi du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide des Arméniens, un très large consensus républicain, démocratique et humaniste.

Ara Toranian

PS: une version « résumée » de ce texte a été publiée dans Libération du 25 août 2010.

http://www.liberation.fr/monde/0101653787-pour-une-loi-contre-le-negationnisme-turc

La rédaction
Author: La rédaction

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