Quel « en même temps » ? par Ara Toranian

Se Propager

La réunion tripartite qui se tiendra le 5 avril à Bruxelles entre Anthony Blinken, Ursula von de Leyen et Nikol Pachnian, ne fait visiblement plaisir ni à la partie russe, qui a exprimé son « inquiétude », ni à l’azerbaïdjanaise, qui y a vu le « risque de nouvelles divisions dans la région »…. Ces craintes convergentes n’ont toutefois rien de surprenant. Ce n’est pas la première fois que les points de vue de Moscou et Bakou coïncident au sujet d’ Erevan. Et ce, plus particulièrement depuis la Révolution de velours qui depuis six ans ne cesse de miner, de part et d’autre, les fondements du partenariat stratégique signé en 1997 entre l’Arménie et la Russie.
Une chose est sûre : l’animosité contre les autorités arméniennes rapproche de plus en plus Poutine et Aliev, même si elle s’appuie sur des mobiles distincts : une logique punitive et une volonté impérialiste de dominer pour le premier, dans la grande tradition tsariste, et celle panturquiste « d’en finir » pour le second, dans la continuité de l’entreprise génocidaire ottomane. Il n’empêche que cette concorde russo-azerbaïdjanaise, toute conjoncturelle fut-elle (un point qui mériterait toutefois d’être creusé), et en dépit de sa différence de degré, alourdit les risques pour l’intégrité physique de l’Arménie.
Sans revenir ici sur les crimes de la dictature azerbaïdjanaise, ni sur la complicité de l’autocratie russe avec le régime Aliev, force est de constater l’échec de la partie arménienne à tirer profit des contractions entre ces deux Etats qui, pour lui être hostiles, n’en ont pas moins des intérêts divergents, en particulier sur la question du leadership régional.
Or, parallèlement à sa démarche justifiée de diversifier ses partenariats militaires et politiques en s’adressant notamment à l’Occident, le gouvernement de Pachinian a aiguisé les antagonismes avec Moscou en additionnant les bravades à son égard, pour le plus grand plaisir de l’Azerbaïdjan et de la Turquie. Et aussi semble-t-il, des milieux les plus conservateurs de l’Europe ((la ligne non exhaustive Olaf scholz, Charles Michel, Ursula von de Leyen) soucieux que le rapprochement avec l’Arménie se traduise par un éloignement symétrique avec Moscou. Des manipulations qui renvoient davantage à la guerre froide qu’au principe d’une aide désintéressée s’appuyant sur les « droits de l’Homme »…
Faut-il faire la liste des risques afférents à cette pente ? Ils sont évidents. Les bénéfices se limitant quant à eux pour l’heure à des résolutions du Parlement européen favorables à l’Arménie et l’envoi d’observateurs, sans engagement militaire tangible, tandis que l’accord gazier entre Ursula von der Leyen et « son partenaire de confiance » continue de soutenir la machine de guerre azerbaïdjanaise. Sur le vieux continent, seule la France a franchi un pas significatif en vendant des armes à l’Arménie, tout en s’employant à obtenir un financement de l’UE via « la facilité européenne pour la paix ». Les États-Unis, semblant prôner en ce qui les concerne un règlement par le dialogue direct entre le prédateur et sa proie, sans s’impliquer outre mesure.
Dans ces conditions, la question se pose donc de savoir ce qui interdit à l’Arménie de recourir à son tour à ce « en même temps », non pour coaliser simultanément contre elles des forces plus ou moins hostiles, mais dans l’objectif de naviguer avec plus de positivité entre l’Est et l’Ouest, en cherchant des points de convergence tout en évitant les conflits inutiles. À ce titre, était-il indispensable – au nom de la souveraineté de l’Arménie- de prendre par exemple le risque de signer le statut de Rome, qui a été perçu comme un défi direct lancé à Poutine, ou d’évincer les gardes-frontières russes, tout en laissant planer une menace sur l’appartenance de l’Arménie à l’OTSC ? L’on s’interrogerait moins sur la nécessité de ces mesures justifiées à Erevan par les besoins de défendre « l’indépendance de l’Etat » face à la Russie, si dans « le même temps » l’on ne sacrifait pas les fondamentaux de la nation sous la pression turque, ainsi qu’en témoignent l’abandon pur et simple de l’Artsakh, ou la cession envisagée des territoires convoités par l’Azerbaïdjan. Autant de graves atteintes à cette fameuse souveraineté revendiquée, auxquelles pourraient s’ajouter les tentatives de censurer les accents trop patriotiques de la constitution ou de l’hymne arménien, sans compter l’effacement de toute référence au mont Ararat dans les armoiries du pays. La « honte »…
Comment ne pas relever cet étrange contraste entre la fermeté affichée à l’égard de Moscou et la soumission à l’axe Ankara-Bakou, tranquillement argumentée au nom du « réalisme ».
Pourtant, les exemples ne manquent pas, y compris dans le proche voisinage de l’Arménie, d’États parvenant à tenir l’équilibre entre l’Est et l’Ouest. Le premier étant hélas représenté par la Turquie, membre de l’OTAN, qui promeut des relations économiques, politiques, voire même militaires avec le Kremlin. S’y ajoutent l’Inde, les Émirats Arabes Unis, l’Égypte, le Brésil, et même dans une certaine mesure le Vietnam, Israël, la Hongrie etc. Il n’est pas jusqu’à l’Azerbaïdjan, qui, tout en soignant ses liens avec les Russes, pour son plus grand profit national, s’acoquine avec l’Ukraine, en ne la gratifiant pas seulement de son soutien humanitaire, dit-on…
Faut-il le préciser ? Le doute s’installe de plus en plus quant à la capacité actuelle de l’Arménie d’incarner sa vocation de pont entre l’Est et l’Ouest, tandis que le risque qu’elle devienne une nouvelle ligne de fracture, voire de front entre ces deux entités, ne saurait de moins en moins être exclu. On serait dès lors loin du carrefour de la paix ambitionné par ses dirigeants. D’où la nécessité de relancer la réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour promouvoir le rôle de l’Arménie en tant que plateforme de dialogue et pourquoi pas de convergence. Une fonction rendue possible par le fait que ses besoins vitaux coïncident à la fois avec les intérêts historiques de la Russie, avec ceux des démocraties occidentales et de cette grande partie de l’Orient qui n’est pas inféodée au panturquisme. Un objectif qui pourrait, « en même temps », mobiliser utilement la diaspora, pour peu que l’on se souvienne qu’elle existe, et parfois, éventuellement, qu’elle pèse…

Ara Toranian

La rédaction
Author: La rédaction

La rédaction vous conseille

A lire aussi

Sous la Présidence d’Honneur de M. Nicolas DARAGON, Maire de Valence, Président de l’Agglomération, Vice-Président de La Région, L’UGAB Valence-Agglomération

Le ministère des Affaires étrangères de l’Azerbaïdjan a de nouveau accusé l’Arménie de ne pas avoir fourni de cartes des

Lors de la séance plénière de l’Assemblée nationale de la semaine prochaine, l’opposition parlementaire, les factions « Hayastan » (Arménie)»

a découvrir

Se connecter

S’inscrire

Réinitialiser le mot de passe

Veuillez saisir votre identifiant ou votre adresse e-mail. Un lien permettant de créer un nouveau mot de passe vous sera envoyé par e-mail.

Retour en haut