Quel sens donner à l’imprescriptibilité si la réparation n’est pas envisagée ?

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La France a reconnu publiquement le génocide des Arméniens. Une
phrase unique. Une loi. Et la signature des plus hautes autorités de notre République pour que cette loi soit véritablement une loi. Tous ensemble, que nous soyons d’origine arménienne ou que nous ne le soyons pas, nous avons dû déplacer des montagnes. Les uns parce qu’ils voulaient que justice se fasse en mémoire d’autrefois et du calvaire de leur famille. D’autres parce qu’ils n’acceptaient pas que, dans le pays des droits, on négocie un génocide au regard des intérêts marchands. Car tel est bien ce qui a fait la lenteur de cette reconnaissance : la realpolitik, le commerce et notre incapacité à aider l’Etat turc à se pencher sur son histoire.

Cette reconnaissance est « exemplaire » car elle dit au monde que le silence forcé n’existe pas, que l’histoire rattrape ses auteurs, que le pire ne se dissimule pas sous un mensonge. Nous parlerons un jour de l’exemple arménien quand nous voudrons dire qu’il n’y a pas de d’esquives possibles sur le terrain de l’histoire et qu’il n’y a pas non plus de multiples manières d’écrire l’histoire. Les Arméniens ne s’en sont jamais remis à la fatalité d’un génocide perdu et oublié. C’est un enseignement qui vaut pour tous les peuples.

Vivre avec un génocide, qu’est-ce que cela implique ? Pensons aux victimes et à l’effort de reconstruction intérieure qu’il faut à un descendant de rescapés, quelle que soit sa génération. Pensons à l’éclatement d’une Nation. Et quand un Etat indépendant vient à naître, comme la République d’Arménie il y a dix ans, pensons aux complexités qui se posent entre ceux qui vivent à l’intérieur – et qui n’ont pas tous été touchés par le génocide – et, à l’extérieur, d’autres qui attendent quelque chose d’immense, qui bâtissent des rêves, qui ne sont pas dans la même réalité. Il faut du temps pour trouver un langage commun, se faire une nouvelle histoire, harmoniser les mouvements d’un peuple à deux têtes. C’est cela un génocide exempt de reconnaissance. Tant d’années après, un peuple qui se cherche, qui hésite, qui ne sait pas… car sur ces terrains de la mort, de la mémoire, de la reconstruction et de la vie après un génocide, il n’y a pas d’idées toutes faites, il n’y a que des incertitudes.

Vivre avec un génocide, qu’est-ce que cela implique aussi pour les descendants des bourreaux ? Nous avons vu ce qu’a fait l’Allemagne. Nous avons vu comment elle a essayé d’apaiser la blessure de la honte en s’appuyant sur la vérité, en se nourrissant d’expériences comme celles de ces jeunes Allemands qui travaillent
en Israël auprès de victimes de la Shoa ou comme celles de la psychanalyse. Ces expériences ne sont ni mineures ni isolées. Elles sont les témoignages d’un peuple qui souhaite se reconstruire. C’est sur ce chemin que les Nations européennes doivent emmener la Turquie et c’est pour tracer ce chemin que la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie doit être un préalable à son entrée dans l’Union européenne.

Ainsi, la reconnaissance française est une étape. Il y en aura d’autres. Quelques-uns d’entre nous avancent sur le terrain d’une reconnaissance par la Turquie qui sera l’ultime épisode de cette démarche pour la vérité. En France, nous avons reçu Akin Birdal, le défenseur des droits de l’homme en Turquie, inquiété par les autorités turques pour s’être prononcé sur la question du génocide arménien. Nous avonsaccueilli Ragip Zarakolu et sa femme, courageuse éditrice, Ayché Nour Zarakolu que j’ai parrainée pour le cinquantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme. Ces hommes et cette femme sont notre avenir en Turquie : ils s’engagent pour la reconnaissance du génocide arménien parce qu’il en va de l’honneur de leur pays. Pour eux, un Etat ne se construit pas sur le mensonge. Pour eux, l’existence d’un Etat turc en tant qu’Etat de droit passe par d’autres comportements et un autre exercice de la responsabilité. Ils sont une chance pour nous. Ils nous ouvrent la voie. Ils nous donnent de justes raisons d’espérer même si nous savons, bien sûr, que le chemin sera long.

Nous devrons aussi parler de la réparation. Un Américain d’origine arménienne a entrepris une action contre une compagnie bancaire. D’autres initiatives suivront. Il s’agit d’une démarche normale qui est aussi l’un des actes de la reconnaissance. A ceux que cela effraie, à ceux qui nous expliquent que le génocide est une histoire ancienne, à ceux qui disent qu’il faut s’arrêter là, je dis que les symboles ont unevaleur quand ils trouvent des traductions dans la réalité. La reconnaissance induit la réparation. Ce sujet de droit est difficile, mal exploré, mais il peut s’avérer un argument dans la prévention du crime de génocide. Quel sens donner à l’imprescriptibilité si la réparation n’est pas envisagée ? Nos actes nous aident à bâtir les fondations d’un droit qui doit être celui de la prévention. C’est pour cette raison que la question de la réparation ne peut pas être un sujet évincé ou tabou.

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Author: raffi

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