Par sa connaissance du turc, de l’arménien, du français et de l’anglais, Raffi Hermon Araks, qui vient de nous quitter, était destiné à jouer le rôle d’homme carrefour entre la diaspora arménienne de France, l’Arménie et la Turquie. Mais encore fallait-il avoir le courage et la hauteur de vue qui permettent les rapprochements entre des communautés que l’histoire a vouées à l’hostilité. Dès lors, qu’on essaie de réconcilier l’irréconciliable, il faut s’attendre au réveil des démons endormis depuis des décennies. Diplômé de Sisli et des langues orientales de Paris, Raffi Hermon était indéniablement un pionner dans le domaine du dialogue arméno-turc. C’est à lui que reviennent les premières tentatives de rapprochements entre intellectuels des deux bords. A lui seul et surtout en un moment où les haines étaient franchement déclarées à la faveur d’un climat miné par les attentats, les commémorations et la montée des publications sur le génocide de 1915. Dire qu’il aura essuyé les plâtres serait un euphémisme. Il aura plutôt déclenché contre lui des soupçons et des doutes qui auront sali son image. Mais avec le recul, ce que les Arméniens doivent à Raffi Hermon est inestimable en termes de ponts construits patiemment entre des démocrates des deux bords ouverts à la vérité de l’histoire. Les hommages rendus par Ragip Zarakolu et Taner Akçam et autres en disent long sur ce travail souterrain qu’il aura accompli. Sa disparition est d’autant plus dommageable que sa voix, sa foi et son expérience vont manquer comme rédacteur-en-chef au service d’informations audiovisuelles en langue turque d’ArmenPress, lui qui avait travaillé aussi bien comme collaborateur des Nouvelles d’Arménie Magazine, et comme représentant des médias Azg Armenian Daily (Arménie), AGOS et Yeni Gûnden (Turquie). Ces quelques mots d’hommage ne suffiront certes pas à donner toute la dimension d’une personnalité vouée à l’ouverture aux autres. Mais ceux qui œuvrent aujourd’hui dans le dialogue arméno-turc et qui s’en gargarisent devraient reconnaître que Raffi Hermon avait seul les compétences pour ouvrir les portes et la générosité pour y faire passer le vent des vérités et l’appel aux rencontres.
Denis Donikian