Réponse au collectif « Liberté pour l’histoire »

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Appartient-il au Parlement d’écrire l’histoire ? Cette question en forme de sujet du bac a été tranchée négativement par un collectif d’historiens qui fait depuis quelques mois circuler une pétition contre les lois dites mémorielles (Gayssot, génocide arménien, esclavage, colonisation- cette dernière ayant été l’élément catalyseur de leur courroux). L’initiative de ces éminentes personnalités (Jean-Pierre Azéma, Pierre Nora etc.) a notamment joué un rôle non négligeable dans l’escamotage d’une proposition de loi du PS visant à pénaliser la négation du génocide des Arméniens le 18 mai dernier au Parlement. Tout en se parant de nobles intentions ( la défense de la liberté d’expression et la prévention contre les risques d’une histoire officielle, etc.), cette mobilisation pourrait cependant s’avérer moins pertinente qu’il n’y paraît. Enonçant un principe général auquel a priori tout le monde souscrit, elle se heurte aux exceptions qui confirment la règle. En effet : S’il n’est pas plus de la compétence de l’Assemblée nationale d’écrire l’histoire que de contrôler la philosophie ou d’exercer son empire sur l’amour, il lui revient cependant de combattre ici le négationnisme, là les théories racistes et ailleurs la pédophilie : à savoir, des agissements qui tout en s’inscrivant dans des registres qui ne relèvent pas a priori de son domaine de compétence n’en sont pas moins des violences, génératrices de dommages et de trouble à l’ordre public, des atteintes directes à la dignité humaine.
Si on peut comprendre le souci des signataires de la pétition « liberté pour l’histoire », dans sa dimension non corporatiste, ne faut-il pas également envisager les choses du point de vue de la « liberté pour l’homme ». Or que vaudrait l’immunité, si elle ne servait qu’à protéger les criminels et à humilier les victimes ? Nier le crime, c’est tuer les morts une deuxième fois a écrit Elie Wiesel, dans une formule restée célèbre. De fait, les arguments ne manquent pas pour démontrer que l’enjeu du négationnisme ne relève pas de la scolastique, mais bien du politique. Une réalité dont un certain nombre de Parlements en Europe (Belgique, Allemagne, Suisse, Espagne) ont d’ores et déjà pris acte en légiférant sur le sujet. La négation d’un génocide est consubstantielle à l’acte. Effacer les traces fait partie du programme. Toujours. L’Etat turc lui-même a donné son caractère éminemment politique et international à la question de la négation en intervenant partout pour faire taire la voix des survivants et empêcher les commémorations. C’est son négationnisme militant qui a poussé près d’une vingtaine de Parlements dans le monde, du Canada à la Suisse, de la Pologne à la Russie, de l’Uruguay à l’Argentine, en passant par le Parlement européen et 38 Etats américains, à reconnaitre officiellement le génocide arménien.

Faut-il vraiment regretter cette implication internationale dans la dénonciation et la qualification de cette tuerie ? Aurait-il été préférable de s’en laver les mains ? De laisser les morts dans l’oubli et les communautés de survivants se débrouiller seules face à la stratégie d’un Etat qui jusqu’à aujourd’hui affirme sa complicité avec le crime en érigeant des monuments à la gloire des bourreaux ? Dans la République, peut-on souhaiter l’amnésie des 500 000 Français d’origine arménienne directement issus de ce drame, alors que la Turquie, tout en feignant de vouloir une nouvelle recherche sur les faits, continue de poursuivre ceux qui évoquent publiquement le génocide ( l’éditeur Ragip Zarakolu), pratique une arménophobie interne et externe ( blocus contre l’Arménie), organise l’exportation de son négationnisme. Comment nos historiens hexagonaux peuvent-ils répondre à ces défis ? En réservant leurs critiques au seul Palais Bourbon ? En demandant aux enfants de rescapés de souffrir en silence ? Prétendent-ils « régenter » leur douleur, avoir barre sur leur dignité et parallèlement dicter au Parlement sa conduite ?

Toutes les avancées démocratiques de ces 20 dernières années se sont faites autour du devoir d’ingérence, de la nécessité pour les instances représentatives de s’impliquer universellement dans la défense des droits de l’homme, de bousculer les barrières artificielles et les chasses gardées. Contre la frilosité générale, le repli sur soi, le corporatisme, l’indifférence, tous les avatars de la Realpolitik, ne convient-il pas au contraire de favoriser la responsabilisation politique des Etats?
L’affaire de la pénalisation touche directement la France intra-muros à travers une forte présence des rescapés du génocide et une non moins importante arrivée de l’émigration turque, laquelle est travaillée par des tentatives d’enrôlement nationaliste ( cf : la manifestation négationniste du 15 mars 2006 à Lyon). Face aux risque de troubles à l’ordre public que laisse présager cette situation, il appartient à la république de fixer les règles et les limites. Tout laxisme en la matière serait d’autant plus coupable que la France est appelée à terme, via l’Europe, à partager sa souveraineté avec la Turquie. Dans une telle hypothèse, peut-on imaginer quelle serait la situation des Arméniens de France s’ils ne bénéficiaient d’aucune espèce de protection légale ?
En votant ce type de loi contre le négationnisme, le Parlement est dans son rôle le plus noble. Il n’empêchera ni la recherche (y a-t-il eu un seul véritable chercheur sanctionner par la loi Gayssot ?), ni, comme d’aucun l’affirme, l’évolution de la position turque sur le sujet. La Rébublique jouera au contraire sa partition, comme elle l’a fait en 2001 en votant la reconnaissance du génocide arménien, dans l’accélération de la prise de conscience sur cet événement précurseur des tragédies du XX° siècle. Pour répondre à un argumentaire indécent, une législation contre le négationnisme, n’entravera pas plus le commerce avec Ankara que ne l’a fait la loi de 2001 (augmentation de 32% des ventes françaises dans ce pays depuis). Elle ne constituera pas davantage un geste inamical envers la Turquie en tant que nation, mais elle sera au contraire une main tendue en direction de tous ceux qui dans ce pays, quelles que soient leurs appartenances, souffrent du nationalisme agressif de cet Etat, tous ceux qui sont embrigadés à leur corps défendant dans sa logique criminelle. Et surtout, une telle loi sera un acte de paix et de justice envers les victimes toujours outragées du Premier génocide du 20° siècle. Quatre-vingt-dix ans après les faits, il est plus que temps d’arrêter de tourner autour du pot.

Ara Toranian
raffi
Author: raffi

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