Ruben Vardanyan (part1) : L’ascension fulgurante d’un self made man humaniste, par Hakob Badalyan

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La success story d’un milliardaire philanthrope arrivé à Moscou en 1991 avec 35 000 dollars en poche…

«J’ai démarré dans les affaires en 1991. Grâce à l’apport de 35 000 dollars d’investisseurs américains, j’ai fondé la meilleure banque d’investissements de la région et attiré en Russie nombre d’investisseurs et de grandes entreprises. J’ai fait du business au Royaume-Uni et aux États-Unis. Je suis actionnaire de diverses sociétés dans 30 pays différents, et ai réalisé des programmes sociaux et de bienfaisance dans de nombreux endroits. Par conséquent, je pense que votre conclusion sur ma proximité avec Vladimir Poutine n’est pas juste, puisque j’ai eu l’occasion de travailler avec beaucoup de gens dans différents pays, des gens actifs dans le secteur privé, comme des personnalités proches du pouvoir », c’est ainsi que le ministre d’État d’Artsakh, Ruben Vardanyan, répondait, il y a quelques semaines, à Stephen Sackur, journaliste de la célèbre émission HARDtalk sur la chaîne BBC.
L’homme que le mensuel Forbes fait figurer parmi les 200 plus grosses fortunes de Russie et dont le patrimoine est estimé à un milliard de dollars a attiré l’attention de ses compatriotes, mais aussi de l’opinion internationale non pas, comme à l’accoutumée, par un investissement ou une opération de bienfaisance mais par l’annonce de son installation dans cet Artsakh meurtri par la lourde Guerre des 44 jours, afin de créer un front pour sauver l’Artsakh. Cette initiative a incité beaucoup de gens à creuser dans le passé de l’homme, du businessman et du bienfaiteur Vardanyan. Qui est-il, d’où vient-il, par où est-il passé et où entend-il aller ?
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Vardanyan, le businessman
Né en 1968 à Erevan, Ruben Vardanyan a fini l’école, fait son service militaire dans l’armée soviétique de 1986 à 1988 avant d’être diplômé en sciences économiques en 1992, à l’université Lermontov de Moscou. Toujours selon ses informations biographiques, avec un mémoire de fin d’études jugé le meilleur de sa promotion, il obtient un stage de formation en Italie, à la Banca CRT. Puis, il suit des cours sur les marchés en développement chez Merrill Lynch, à New York. Parallèlement à ses études, Vardanyan démarre ses affaires. En 1991, alors que l’URSS avait pratiquement cessé d’exister et qu’un environnement de relations économiques de libre marché commençait à se mettre en place en Russie, Vardanyan fonde la société d’investissement « Troika Dialog » grâce à l’apport de quelques investisseurs. Ces 35 000 dollars d’investissements américains dont parlait Vardanyan sur la BBC. « Troika Dialog » a été la colonne vertébrale de l’activité financière de Vardanyan. Elle a généré une grosse rentabilité en Russie, mais aussi en dehors des frontières russes. Par exemple, en 2007, dans une opération conjointe avec la société russo-kazakh « Eurasia » et la société pétrolière kazakh « Caspi Neft », « Troika Dialog » devient majoritaire dans la société turque, « Petkim Petrokimia ». Après plusieurs années d’activité florissante, Ruben Vardanyan vend « Troika Dialog » à la Sberbank russe, en 2011. Cette transaction lui rapporte 560 millions de dollars. Une fois la vente de « Troika Dialog » achevée, Vardanyan crée avec son ancien partenaire, Mikhaïl Broitman, une nouvelle société d’investissement, la « Vardanyan, Broitman and Partners », en 2013. Selon les données disponibles en 2018, Vardanyan possédait 75 % des actions de cette société.
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Sur tous les fronts
Au cours de sa carrière dans les affaires, Ruben Vardanyan a dirigé de 2002 à 2004, le géant russe des assurances « Rosgosstrakh », parallèlement à sa fonction à la tête de Troika Dialog. Il a fait partie de la direction d’un des plus gros constructeurs automobiles russes, la société « KamAZ », il a été membre du comité d’investissement d’Avica Property Investors International, du conseil d’administration du fonds d’investissement-jointe venture de la république autonome du Tatarstan (membre de la fédération de Russie), et président du comité de rédaction du magazine d’affaires international, BRICS Business Magazine. Pendant de longues années, Vardanyan a occupé des postes en tant qu’expert et consultant et a siégé aux conseils d’administration dans des entreprises russes telles que « Sollers », « Avtovaz », « Sibir Holding », « Novatech », « Avions civils Sukoi », « Aéroport Sheremetyevo »; américaines comme « International Financing Corporation »; et britanniques comme « Marsh & McLennan », « Stardard Bank Pic. », etc. Vardanyan a aussi participé à la gestion d’établissements d’enseignement en Russie et ailleurs, comme l’école de gestion Guanguhua, en Chine, l’Université Chrétienne Internationale, au Japon ou encore Fundaçào Dom Cabral, au Brésil.
En 2006, avec ses partenaires Vardanyan a entrepris la création de l’école privée de business « Skolkovo » en Russie qui, en 2019, a obtenu la certification internationale EQUIS EFMD, figure parmi le top 50 des business schools du Financial Times et dont les jeunes diplômés occupent le neuvième rang dans l’indice des rémunérations. Selon les données biographiques, Ruben Vardanyan et sa famille, au cours de trois décennies, ont réalisé des investissements d’un montant dépassant 1,5 milliard de dollars dans des secteurs essentiels au développement durable dans différents pays du monde. L’Arménie fait partie de cette liste. L’investissement essentiel de Vardanyan en Arménie est probablement Ameriabank. En 2007, Vardanyan et ses partenaires ont fait l’acquisition de Haynerartbank, une banque existante depuis les années soviétiques. Rebaptisée Ameriabank en 2008, elle opère encore aujourd’hui. En 2014, Ruben Vardanyan a démissionné de sa fonction de président du conseil d’administration de la banque, laissant sa place à ses associés : Andrey Mkrtchyan, Robert von Rekowsky, Pierre Gurdjian, Lindsey Forbes et Philip Lynch. Lorsqu’à suite de la Guerre des 44 jours, Ameriabank a fermé sa filiale de Stépanakert et a quitté l’Artsakh, les rumeurs médiatiques ont été bon train. Ruben Vardanyan a donné sa version à la télévision d’Artsakh : « Il faut savoir que l’actionnaire ne décide pas d’ouvrir ou de fermer une filiale. C’est une décision qui appartient au management, lequel a ses propres contraintes, ses propres projets. Vous pouvez donc poser cette question à ceux qui ont pris cette décision. Cela n’a rien à voir avec moi et la direction de l’Artsakh connaissait parfaitement la raison. »
Le second gros investissement économique de Vardanyan en Arménie a été le projet de réhabilitation de Tatev, que l’on peut considérer comme un mix d’opération capitalistique et d’initiative sociale. Dans la commune de Tatev, un téléphérique et des infrastructures touristiques avoisinantes ont vu le jour, un investissement de plus de 22 millions de dollars. Entré en fonctionnement en 2010, le téléphérique de Tatev figure dans le Guinness des records pour sa longueur inédite de 5,7 km. La réalisation de ce projet, à laquelle l’Etat a en partie contribué, a radicalement modifié l’image de la commune et démultiplié la fréquentation touristique dans la région.
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Troïka Laundromat
L’enrichissement et les grandes réussites s’accompagnent toujours de rumeurs. Huit ans après la vente de « Troika Dialog », une enquête journalistique a été publiée en 2019, où figuraient, entre autres, des données sur « Troika Dialog ». L’enquête avait été menée par un groupement de plusieurs dizaines de médias, dans le cadre de l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project). L’investigation concluait que 8.8 milliards de dollars avaient transité par « Troika Dialog ». Toujours d’après cette enquête, il s’agissait d’un réseau de blanchiment d’argent. Les journalistes révélaient que grâce à ce schéma, des cercles, entre autres politiques, en Russie auraient blanchi leur argent en se servant de fausses signatures d’hommes d’affaires et de travailleurs émigrés arméniens. L’enquête fut baptisée « Troika Laundromat » par les médias. Parmi les documents qui avaient fuité, il y avait un contrat signé de la main de Ruben Vardanyan. Ce dernier a toujours nié ces accusations affirmant n’avoir jamais été au courant de ces transferts, compte tenu de la taille énorme de la société, et soutenu avoir toujours travaillé en conformité avec les lois, les normes internationales et les règles des marchés financiers de l’époque. Mais dans le même temps, Vardanyan a fait preuve de sincérité : « Comprenez-moi ; je ne suis pas un ange. En Russie, il existe trois voies : être révolutionnaire, quitter le pays ou devenir conformiste. Je suis donc devenu conformiste. Mais j’ai mes propres limites morales, je n’ai jamais participé à des enchères, je n’ai jamais travaillé avec des délinquants et n’ai jamais adhéré à un parti politique. C’est pourquoi, même pendant les années 90, je me déplaçais sans être accompagné d’agents de sécurité. J’essaie de me protéger et de protéger mes principes. » En septembre 2019, faute de preuves, le parquet autrichien a abandonné l’enquête officielle sur l’activité du réseau offshore de « Troika Dialog ».
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Prince Charles
Une autre information intéressante révélée par la même enquête, avait été publiée par The Guardian. Selon le quotidien britannique, la fondation de bienfaisance appartenant au prince Charles, avait reçu des dons de la part de cette même société off-shore. De 2009 à 2011, Ruben Vardanyan aurait transféré environ 300 000 dollars sur le compte de la fondation. Selon The Guardian de très grosses sommes d’argent étaient ainsi sorties de Russie. L’homme d’affaires arménien s’est défendu en soutenant qu’il s’agissait de dons destinés à la préservation de l’héritage architectural en Angleterre. Un an plus tard, en 2020, le nom du businessman Ruben Vardanyan est apparu dans un autre scandale financier. Le fonds de lutte contre la corruption créé par le célèbre opposant russe Alexeï Navalny a réalisé une enquête qui concernait la société Santerna Holdings Limited, appartenant à Ruben Vardanyan. Selon l’enquête, basée sur des rapports publics, en 2016, la société aurait investi 33 millions de dollars dans la société « Luciano » qui avait appartenu à l’épouse de Roustam Minnikhanov, président de la république autonome du Tatarstan (membre de la Fédération de Russie). Le fonds de Navalny, en vérifiant les transactions financières liées à cet investissement, avait conclu que la société de Vardanyan avait fait un cadeau dissimulé relevant d’une tentative de corruption à l’égard de la première dame du Tatarstan. Parallèlement, les journalistes avaient découvert des biens immobiliers luxueux d’une valeur de plusieurs millions de dollars appartenant à la famille de Roustam Minnihanov. Ruben Vardanyan avait catégoriquement rejeté ces accusations de corruption.
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Vardanyan le philanthrope
Plus généralement, la base de l’activité de Vardanyan en Arménie n’est pas tant le business ou le profit commercial, mais plutôt l’initiative sociale, la démarche philanthropique, la bienfaisance. Un intérêt que Vardanyan ne circonscrit pas à l’Arménie seule d’ailleurs. Le projet d’envergure le plus réputé du volet philanthropique des activités de Ruben Vardanyan est sans doute l’initiative humanitaire Aurora qui a débuté à l’occasion du centenaire du génocide arménien. Les cofondateurs de ce projet sont les hommes d’affaires et bienfaiteurs américains d’origine arménienne Noubar Afeyan et Vartan Gregorian (décédé en 2021). Le trio fondateur s’était fixé pour objectif de générer un nouveau mouvement humanitaire mondial, au nom des survivants du génocide arménien, afin d’exprimer leur reconnaissance à ceux qui ont sauvé la vie des rescapés mais aussi en mémoire des victimes innocentes. Au nom des survivants du génocide arménien une récompense d’un million de dollars est versée chaque année au lauréat du prix Aurora qui obtient ainsi l’opportunité de poursuivre son œuvre et d’aider les organisations qui viennent au secours de ceux qui en ont besoin. Le jury du prix  Aurora est composé de personnalités mondialement réputées, d’hommes d’État, de diplomates, de stars célèbres tels que l’acteur George Clooney ou l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. Il compte aussi dans ses rangs Samantha Power, la représentante des États-Unis à l’ONU sous la présidence de Barack Obama et qui, depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, dirige l’Agence américaine pour le développement international. Suite à la Guerre des 44 jours, les fondateurs d’Aurora ont initié le programme Aurora pour l’Artsakh, qui met en œuvre des programmes d’aide de nature diverse en Artsakh. Ruben Vardanyan et son épouse Veronika Zonabend ont aussi fondé, en 2014, l’école internationale de Dilidjan, en Arménie ; elle fait partie d’un réseau international réputé, le United World College. Les membres qui composent le conseil d’administration de l’établissement sont des représentants du monde de l’enseignement et du milieu des affaires venus des États-Unis, du Royaume-Uni, de France, de Suisse et du Japon. Des adolescents originaires de dizaines de pays du monde étudient dans cette école qui est un organisme à but non-lucratif.
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Fondation d’IdeA
En 2007, Ruben Vardanyan annonce la création d’« IdeA », un fonds à but non-lucratif dont l’objectif est de réaliser et de contribuer aux projets économiques, sociaux et culturels à long terme qui visent la consolidation et la prospérité de l’Arménie et de l’identité arménienne dans le monde entier, mais aussi de soutenir d’autres initiatives mondiales de portée sociale. Parmi ses actions on peut citer le programme de développement de la ville de Dilidjan, la rénovation de l’église arménienne Sourp Guévork à Tbilissi, la rénovation de la mosquée de Chouchi quand la ville se trouvait sous le contrôle de la république d’Artsakh, etc. C’est dans le cadre d’IdeA que le projet de renouveau de Tatev a été élaboré. Actuellement, différents projets sont en cours de réalisation à Gumri dont la remise en état du parc Barékamoutioun, financée par le fonds pour le tourisme et l’urbanisme TUF appartenant à Ruben Vardanyan et à sa famille.
En 2016, en partenariat avec Noubar Afeyan, cofondateur du laboratoire Moderna, Ruben Vardanyan crée FAST, le Fonds pour la Science et les Technologies de l’Arménie dont la mission est de créer un écosystème favorable au progrès scientifique et à l’innovation technologique dans le pays comme à l’étranger. FAST entend rassembler les ressources scientifiques, technologiques et financières de l’Arménie, du monde arménien et de la communauté internationale. Le Père Mesrop Aramian du fonds Ayp yev Louys, ainsi que le chef d’entreprise Arthur Alaverdian sont parmi les cofondateurs de FAST.
En 2021, Vardanyan annonce avec le docteur en économie Ruben Hayrapetian la création de l’école internationale « Matena ». Dans l’esprit des initiateurs, la mission de cette école consistera à emmagasiner le savoir et à contribuer, grâce à la diffusion de l’expérience mondiale, au développement des compétences spécialisées et des capacités de leadership pour tous ceux qui dans leurs domaines de spécialisation ambitionnent la perfection et l’excellence. En combinant la coopération avec les partenaires internationaux au savoir et à l’expertise des meilleurs experts locaux, Maténa aspire à devenir un des meilleurs centres d’éducation spécialisée, non seulement en Arménie mais dans toute la région, selon ses fondateurs. Au cours des années, toujours avec ses partenaires, Ruben Vardanyan a organisé des discussions autour des scénarios de développement de l’Arménie, sous le titre de « Hayastan 2020 », puis « Hayastan 2031 ». En juillet 2021, il annonce la création de l’initiative « The Future Armenian » avec ses partenaires. L’objectif est de générer des idées et d’élaborer des scénarios de développement pour l’Arménie dans la perspective du cinquantenaire de l’indépendance en 2041. « Malgré le fait que le départ de notre campagne de communication a coïncidé avec celle des élections législatives en Arménie, l’initiative « The Future Armenian » n’a aucune couleur politique et ne poursuit aucun but politique. J’ai, à maintes reprises, annoncé dans le passé que j’évite la participation immédiate dans les processus politiques, mais la situation de crise actuelle ne me permet pas de rester à l’écart du débat sur les questions politiques et sociales essentielles. Quelle Arménie construisons-nous et comment voyons-nous l’avenir de la nation arménienne ? », a déclaré Ruben Vardanyan, à l’occasion du lancement de The Future Armenian.
Même si Vardanyan parle du caractère apolitique de son projet, son activité dynamique en Arménie est, depuis quelques années déjà, considérée comme un préambule à son engagement politique. Plus les initiatives sociales de Vardanyan se multiplient plus ce sentiment augmente, malgré ses démentis fréquents. Cependant, il est indéniable que, même indirectement, l’ampleur de ses actions et son niveau d’implication sont tels qu’ils ne peuvent pas ne pas avoir un impact sur la politique. Il semble que la perspective d’un engagement politique direct n’est plus qu’une question de temps pour Ruben Vardanyan, et finira par devenir une nécessité. Surtout, plus le temps passe, plus ses activités deviennent étroitement liées aux événements politiques.

Hakob Badalyan
Traduit de l’arménien par H.Kéchichian
Article paru dans NAM 304 mars 2023
La suite dimanche 5 mars

La rédaction
Author: La rédaction

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