Seda Mavian – Dimanche. Poursuite de la révolution de velours

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Dimanche 6 mai 2018

Poursuite de la révolution de velours

TRADUCTION DE L’EMISSION de Loussiné Badalian sur 1in.am hier soir 4 mai (cf vidéo postée hier)

Invités : Emma Pètrossian et Aramo (couple connu de chanteurs)

Depuis le début du mouvement mais plus encore depuis le 2 mai après l’élection manquée de NP au poste de 1er ministre, émissions, vidéos, éditions on-line et posts FB se succèdent sur le net dans un jaillissement à la mesure de la joie de la liberté retrouvée et de son exigence nouvelle de responsabilité et de sanction.

J’ai choisi de traduire pour vous dans sa quasi intégralité l’émission de Loussiné Badalian avec le couple Emma Pétrossian et Aramo, car y sont abordées nombre de notions capitales – soumission, complaisance, complicité, collaboration, corruption, résistance, engagement, artistes engagés, citoyenneté, etc.“, que l’historienne que je suis ne peut manquer de mettre en relation avec ce qu’a vécu la France durant la seconde guerre mondiale et à son lendemain. Et parce qu’elle est très éclairante à la fois sur le passé et le présent.

Depuis le 2 mai, on assiste à des actions de mini-épuration (mini, très mini), dont le couple Emma Pètrossian et Aramo sont les victimes parmi d’autres (victimes très légères, en vérité). C’est précisément pour leur fournir un droit de réplique à une vidéo où on les voit participer à une soirée présidée par Rita Sarkissian, femme de SS – ce qui a amené à les traiter de « serviteurs du Palais »-, que l’animatrice les a invités, leur permettant de s’expliquer et de revenir longuement tant sur le passé que le présent, jusqu’à aboutir à la confession d’une Emma Pétrossian bouleversée sur la corruption qui a été celle des milieux artistiques et culturels durant les vingt-cinq dernières années, principalement sous les présidences de Kotcharian (2000-2008) et de Sarkissian (2008-2018).

ET VOICI :

Q : On se connaît depuis longtemps. Vous avez chanté sous les trois présidents (Ter Pètrossian, Kotcharian, Sarkissian), et autant qu’il m’en souvienne, vous avez toujours eu un discours d’opposants. Cependant, « la contre-révolution » tente de vous faire passer pour des chanteurs du Palais, suite à la diffusion d’une vidéo où l’on vous voit faire la fête en présence de Rita Sarkissian.

Aramo : C’était une soirée d’anniversaire de Nadièjda Sarkissian. J’y avais été invité et j’ai salué Rita Sarkissian comme je salue toutes les femmes, en m’inclinant, et ce d’autant plus qu’elle était assise. Puis je me suis éloigné. J’ai toujours salué les femmes de cette façon, qu’elles s’appellent Rita ou Anouche. A ce propos, Hrand Vardanian s’est souvenu qu’un jour, alors qu’on déambulait ensemble dans les rues de Yèrèvan vers 3h ou 4h du matin, on a vu de vieilles femmes en train de nettoyer les rues et que je me suis approché d’elles pour les saluer de la même façon et même avec plus de déférence encore, pour les remercier de nettoyer notre ville. En un mot je salue toutes les femmes de la même façon.
(“Sauf moi!“, dit Emma Pètrossian).

Q : On peut donc affirmer que les jugements négatifs qui ont fleuri à votre encontre dernièrement suite à la diffusion de la vidéo, sont une méprise?

Aramo : On m’y présente comme un chanteur “républicain“ alors que je ne suis pas membre du PR et que je n’ai jamais eu le moindre désir de faire partie de son cercle politique en me présentant sur une de ses listes électorales, pour devenir conseiller municipal par exemple. Emma et moi avons certes participé à des concerts d’Etat, par exemple les concerts donnés le 21 septembre, jour de la fête de l’Indépendance, ou le 9 mai, jour de la Libération de 1945 et de la libération de Chouchi. Mais comment aurais-je pu ne pas participer à ces concerts d’Etat de nature commémorative?* Cela ne signifie pas que j’étais partisan du PR.

* La réalité du concert d’Etat ou du concert patronné est quelque chose de très spécifique en Arménie, peut-être commun aux anciennes républiques soviétiques, mais en tous cas inconnu en Occident, comme l’a justement rappelé la chanteuse lyrique Hasmik Papian hier soir sur la chaîne Kentron où elle était l’invitée d’Angela Thovmassian dans « Devant le miroir » (« Hayèlou aradj »). La chanteuse a même ajouté qu’en Arménie, tous ces concerts d’Etat et patronnés étaient, en réalité, « commandés » par un seul homme dont elle n’a pas donné le nom mais que l’on connait tous : Serge Sarkissian. C’est dire dans quelle dépendance étaient placés les artistes, quels qu’ils soient, puisqu’il en allait de même dans tous les domaines de la culture. Ce procédé tire évidemment historiquement son origine de la commande d’Etat inhérent au système soviétique, sauf que SS se substituait, dans la pratique, à l’Etat. Du reste, SS avait un jour dit que l’Etat, c’était lui, un propos qui a marqué, et qui avait fait gloser les analystes, rappelant que c’était celui de Louis XIV (ce que SS ne savait probablement pas… !).

Aramo (suite) : Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?
En y réfléchissant, j’ai compris que la corruption du régime a commencé avec la privatisation (ndlr : c’est-à-dire sous LTP) et s’est ensuite enracinée jusqu’à ce jour. On a tout privatisé : Yèrèvan, les villages, les champs, les collines, les montagnes, les réservoirs, tout. Les gens au pouvoir se sont appropriés de tout. Et si les jeunes de la nouvelle génération sont sortis dehors, c’est parce qu’ils ne s’expliquent pourquoi leurs parents diplômés, au lieu de travailler dans leur domaine, se retrouvent, la mère à travailler comme laveuse de vaisselle, et le père au chômage, cloué à la maison. Et parce qu’ils ne s’expliquent pas pourquoi des autorités soit disant compétentes mais qui ne savent même pas distinguer le A du B, devraient les gouverner. Tout était à l’envers. Après la privatisation, ces autorités qui se sont rendues maîtresses de tout, nous ont dit : « Vous ne pouvez pas jouer contre nous ! » (« Mèr dèm khagh tche ka ! »). Cette fameuse expression, les jeunes la leur renvoie à présent en pleine face en leur disant : « Vous ne pouvez pas jouer contre nous ! ». Nikol incarne aujourd’hui la « révolution d’amour et de concorde ». Il est devenu le porte-parole de ces jeunes conscients que leurs parents n’auraient pas dû en arriver à vivre ainsi. Les jeunes ont compris que l’injustice tue tout. La fin du mandat présidentiel a ouvert une étape nouvelle offrant à ces jeunes l’occasion de manifester hautement leur point de vue sur cette réalité insupportable (…).

Q : Hier, le 3 mai, on a beaucoup parlé du hold-up (raté) d’une banque de Yèrèvan par un colonel de la police, qui a fait deux morts, un citoyen et un policier. Ce fait-divers saisissant est révélateur, selon moi, de la pourriture d’un régime transformant un policier en criminel.

Aramo : Effectivement, c’est pourquoi on doit tout recommencer à zéro. On parle beaucoup d’émigration. Par le passé, en Arménie soviétique, on a exilé bon nombre de nos grands-parents dans la région d’Altaï, suite à la répression stalinienne. Or sous la république indépendante, on s’est retrouvé avec des autorités qui nous disaient : « Si vous ne trouvez pas de travail, et bien allez travailler en Altaï ! ». Voilà quelle était leur mentalité ! Au lieu de chercher à créer des emplois, ils invitaient les gens à émigrer, favorisant au passage la déstructuration des familles. Car là-bas, notre bon père de famille arménien émigré faisait la connaissance d’une Natacha aux yeux bleus. Ils commençaient à se fréquenter. Et neuf mois plus tard naissait un petit Armen au nez busqué et aux yeux bleus, tandis qu’en Arménie, une famille entière était détruite. Oui, il faut tout revoir. Restaurer la justice. Faire en sorte que prenne fin un système où le voleur de bonbons est condamné à la même peine qu’un criminel, qui, bénéficiant en outre d’une libération anticipée, ressort en proclamant haut et fort qu’ « on ne joue pas contre lui » (« im dèm khagh tche ka ! »). Il faut remettre tout à plat et rétablir l’égalité devant la loi. Pour en venir aux collines, aux montagnes, aux réservoirs, etc., qui ont été privatisés, je veux leur dire que cela ne leur appartient pas. Cela appartient au peuple, à la République d’Arménie.

Q : C’est peut-être cette conscience que leurs biens ne leur appartiennent pas et qu’ils risquent de devoir les rendre qui nourrit la « contre-révolution », plus que la crainte de la perte du pouvoir politique, et qui explique leur acharnement à s’accrocher au pouvoir. Qu’en pensez-vous ?

Emma : Si vous le permettez, j’aimerais revenir en arrière. Je veux dire ici qu’il n’y a pas un seul jour où l’on m’a demandé : « Comment vas-tu ? » et où j’ai pu répondre « Bien ». Je n’ai jamais pu répondre ça et penser que je pouvais répondre ça en y croyant. Car comment répondre que je vais bien si tout autour de moi les gens vivent dans des conditions économiques et sociales épouvantables …

(« S’ils sont totalement déprimés », rajoute Aramo).

Emma (suite) : Je pose la question à chacun des membres du gouvernement : combien de jours leurs parents pourraient-ils vivre avec la retraite dérisoire qu’on donne aux citoyens ? Je comprends parfaitement que nous sommes en situation de blocus, de guerre, qu’on est un petit pays sans grands moyens, mais je pose la question à chacun d’entre eux : « Mon cher, quelle injustice est-ce là ? ». J’ai envie de pleurer, maintenant, tellement je suis émue. Et je ne parle pas ici comme chanteuse, comme « chanteuse émérite » qui d’ailleurs n’a pas rendu son titre. Et vous savez pourquoi ? Parce que lorsque j’ai reçu cette distinction, je me suis tournée vers mon père là-haut dans le ciel, et que je lui ai dit : « Papa, tu vois, moi aussi je l’ai ! ». Parce que j’ai considéré que cette distinction avait été accordée non pas à moi seule, mais aussi à mon père, à mes parents, à mes enfants, à mon pays, au type de personne que je représente (im tessakin) et qui meurt chaque jour d’être corrompue (apakanvatz). Parce que tout a été corrompu : le chant, la musique, le type de personne que je suis (im tessake), l’homme de culture, l’intellectuel, ils ont tous été corrompus !

Q : Qui les a corrompus ? Je dois dire que lors de ma dernière interview de vous, vous aviez dit pratiquement la même chose, quoique de façon plus retenue, et cela m’avait déjà beaucoup perturbée à l’époque. Aujourd’hui tout est très émotionnel et nous comprenons que nous avons affaire à de sincères débordements d’émotion. Mais qui a corrompu le monde artistique et intellectuel de la sorte ?

Emme : Vous savez, quand l’homme ne se questionne plus sur lui-même, qu’il ne se retourne pas sur lui-même en se demandant ce qu’il a fait, ce qu’il crée, ce qu’il vend, s’il a le droit de le vendre, etc. … Il y a des questions qu’un être moral ne peut pas ne pas se poser … Et si tu te les poses et si tu commences à vouloir y répondre, tu te rends compte que tu ne le peux pas et que tu ne peux que tirer un trait en face de chaque question. Car quand tu sors du pays et que tu te confrontes à l’extérieur, tout d’un coup la médiocrité de tes institutions culturelles et scientifiques te saute aux yeux (par exemple l’Académie des Sciences, etc.) et tu te rends compte que ce qui règne en Arménie, c’est l’autocongratulation, où les gens du régime s’applaudissent entre eux. Les restaurants ont surgi partout comme des champignons au lieu que naissent des maisons de la culture. On a vu se créer des salles de concert et des espaces verts, mais sans qu’on puisse y respirer. Tout était pierre. On a fait remarquer que je me taisais face à tout ça. On disait que j’étais silencieuse, modeste, patiente. Et moi, dans mon silence, j’écrivais des tonnes de livres ! J’étais silencieuse parce que j’avais tant de choses à dire et que je ne savais pas par où commencer, comment continuer, et où arriver ! Qui pouvait me répondre ? On applaudissait un tel et un tel. Mais en quoi cela changeait-il la situation économique et sociale de notre pays ? On a le droit, n’est-ce-pas, de tomber malade ? Mais comment se faire soigner et se faire opérer ? Il y a des milliers de problèmes (…). Pourquoi nous avoir réduits à la condition de mendiants, alors que nous étions voués à créer et à construire ?

Aramo : Je l’ai dit, ce sont les monopoles et la corruption qui les ont rendus maîtres de tout.

Emma : Quand on est sortis dans la rue pour rejoindre le mouvement, on l’a fait sans trop comprendre pourquoi on le faisait, où l’on allait, si c’était bien ou pas. Je confesse sincèrement que j’ai suivi le mot d’ordre de sortir sans connaître grand-chose de Nikol Pachinian. Je ne savais rien de ce qu’il est, de ses idées, de ses analyses. Évidemment, on était méfiants. On se disait : « Est-ce qu’il n’y a pas certaines forces qui se cachent derrière lui ? ». Ils ont tellement cassé notre foi et notre espérance en quoi que ce soit, qu’on doutait.

Q : A quel moment avez-vous eu conscience que c’était un mouvement arméno-arménien et uniquement pro-arménien (hayamèt) ?

Aramo : Nous sommes finalement sortis dans la rue quand on a vu tous ces jeunes aspirant à la liberté. On ne pouvait pas les laisser se dresser seuls contre la dictature et le chaos. Et puis, en écoutant les paroles de Nikol, j’ai été émerveillé par ses réponses extrêmement claires, mesurées, justes, correctes, réfléchies, et ne comportant rien de superflu*. Il ne faisait ni plus ni moins que dire ce que nous avons tous en nous. Le plus important, maintenant, c’est de nettoyer le système.

* Probable référence aux propos de NP lors de la rencontre avec le groupe parlementaire du PR le 30 avril et lors de la session extraordinaire de l’AN le 1er mai. Ce qui signifie que le couple Emma P. et Aramo, serait sorti dans la rue le 2 mai, et pas avant. Il faut dire qu’après la séance dramatique du 1er mai et l’appel de NP à la désobéissance nationale massive pour le lendemain, beaucoup de gens qui n’avaient pas encore fait le pas de se rallier franchement au mouvement, l’ont fait. En sortant dans la rue, ils ont contribué à faire de la journée du 2 mai une journée de mobilisation populaire sans précédent dans l’histoire de la RA.

Q : Actuellement nous sommes en train de parler ouvertement contre les autorités. Or il se peut que rien ne change le 8 mai. Que va-t-il se passer ? Que vont devenir les célébrités telles que nous, qui se sont publiquement prononcées contre le régime ?

Emma : Moi je parle contre le régime ? Non, moi je dis la vérité ! Et je demande à notre gouvernement en tant qu’être humain, femme, mère et professeur, de ne pas nous gâcher la vie.

Q : Parlerez-vous ainsi si Nikol échoue ?

Emma : Oui, bien sûr. Nous sommes un petit pays qu’il n’est pas difficile de faire fleurir. A moins que ce ne soit difficile, finalement. Après tout la politique n’est pas mon registre. Il y a deux ans, Aramo et moi nous avions donné un concert à Gumri. Là, un ami nous a montré les deux wagons qui abritent les locaux de la philharmonique des enfants. Je me suis demandé pourquoi on avait tellement de banques et de restaurants partout dans la ville et pourquoi on n’avait pas pu offrir un lieu décent aux enfants musiciens.

Aramo : Vous nous demandez ce qu’on fera si la révolution échoue. Je vais remonter en arrière. En 1999, Emma et moi nous nous sommes retrouvés à soutenir Vazguèn Sargsian et Stèpan Démirtjian.* On m’avait demandé de chanter la chanson « Yèrèvan-Erébouni » d’Edgar Hovhannissian en duo avec Emma. A cette époque, on n’avait pas peur d’afficher dans quel camp on était. Aujourd’hui c’est pareil. Je dis clairement que ce clan corrompu doit disparaître. Il nous faut un nouveau souffle, une nouvelle réalité. Tout doit être nouveau.

* Après la démission de LTP -1er président de la RA- en février 1998, cinq partis politiques se coalisent pour former l’Alliance Justice et Unité soutenant la candidature de Robert Kotcharian à l’élection présidentielle. En mars 1998 ce dernier est élu frauduleusement deuxième président de la RA. Suivent les élections législatives du 30 mai 1999, où Vazguèn Sargsian, ministre de la Défense, et Karen Démirtjian, ancien secrétaire d’Etat du PC, scellent une alliance baptisée Unité (Miasnoutioun) qui obtient la majorité des voix. Ce succès entraîne la nomination de Vazguèn Sargsian au poste de 1er ministre et fait de Karen Démirtjian le président de l’AN. Ce sont ces deux hommes auxquels le couple Emma P. et Aramo ont apporté leur soutien. Mais quelques mois plus tard, le 27 octobre 1999, les deux hommes forts du pays étaient tués en pleine AN par un commando armé, et la roue tournait…

Aramo (suite) : On va repartir à zéro et avancer pas à pas. Je reviens sur ce qui s’est passé en 1999. On a enregistré la chanson en studio et on a fait un clip. En fait j’ai vite compris qu’on s’était fait piéger en acceptant de participer à cette campagne électorale législative. Mais je vais être très franc. A cette époque j’avais une dette de 100$ que je ne pouvais pas rembourser, ce que j’ai pu faire grâce à mon cachet.

(Emma intervient, visiblement ennuyée par l’aveu de son mari : « Bon, passons ! »).

Aramo (suite) : Et que s’est-il passé ensuite ? Je suis un homme de principes. Je ne suis ni un renégat, ni quelqu’un qui frappe dans le dos. J’ai donc subit le revers de cet engagement et pendant deux à trois ans je n’ai pas pu travailler. Je n’exclus pas qu’une telle chose puisse se reproduire aujourd’hui. *

* Après le « 27 octobre », le président Robert Kotcharian, débarrassé de ses rivaux potentiels qu’étaient Vazguèn Sargsian et Karan Démirtjian, a concentré tous les pouvoirs entre ses mains, procédant à un grand nettoyage de cadres dans tous les domaines. En disant « Je n’exclus pas qu’une telle chose puisse se reproduise aujourd’hui », Aramo parle de ce qui pourrait se passer avec ceux qui se sont affichés avec NP au cas où il échouerait et où triompherait la « contre-révolution ».

Q : Vous êtes donc prêts à cette éventualité ?

Aramo : Oui. Je voudrais rajouter qu’en 1993-1994, Emma et moi on s’était engagés en Artsakh en chantant pour les soldats. On chantait pour eux nuit et jour. Alors il ne faut pas nous étiqueter. Moi je suis un artiste. Si NP devient 1er ministre et que je sois amené à participer à un concert d’Etat, et si un peu plus tard c’est Pètros qui le remplace au pouvoir, je n’aurai pas à regretter d’avoir participé à un concert d’Etat donné du temps de NP.
Par ailleurs, si vous avez remarqué, ça fait un certain temps qu’on ne nous invite plus à chanter dans des concerts d’Etat, ni pour la fête nationale du 21 septembre, ni pour le 9 mai. Il y a eu des programmes dont Emma et moi avons été exclus. Dans un tel contexte, beaucoup d’artistes -musiciens, peintres, sculpteurs- ont émigré. Ceux qui sont restés se sont repliés sur eux-mêmes, constatant qu’une autre culture avait pris le dessus.

Q : En parlant de culture, qu’on m’excuse, moi qui ai mené le combat dès le début, et je vexerai peut-être certaines personnes en le disant, mais le dernier concert de la place de la République qui a suivi la victoire (ndlr : concert du 2 mai) ne s’est différencié en rien des précédents (ndlr : de ceux de « l’ancien régime ») et cela m’a profondément affectée. Je comprends que les dirigeants du mouvement ne s’occupent pas de musique, mais la culture qui s’est manifestée ce soir-là n’était pour moi que le reflet de celle de la « contre-révolution », ce qui m’a fait prendre immédiatement mes distances. Parce que moi, j’ai lutté pour le nettoyage de la culture, pour la hausse du niveau culturel. Or ce concert allait à l’encontre de cela. Je n’ai pas compris comment une telle chose pouvait avoir lieu alors que le mouvement était jusqu’ici si exemplaire.

Emma : Cela montre qu’on peut rentrer dans un cycle où l’on peut perdre le cap. Si l’on applaudit trop l’homme politique, si on le place trop haut, il peut y avoir une perte de repères. C’est cela qui est destructif (…). Moi je ne suis qu’Emma Pètrossian, et je rêve que mon pays vive d’une belle façon (apri guèghètsik).Je souhaite que le vœu si souvent exprimé que les gens vivent mieux, ne se réduise pas à un slogan.

Aramo : Moi je pense sincèrement que si NP devient 1er ministre, le pays connaîtra une renaissance (zartonk). Les 300 000 à 400 000 personnes jusqu’ici restées chez elles et qui sont sorties dans la rue après avoir entendu la parole de Nikol (ndlr : le 2 mai) ne peuvent pas ne pas voir qu’il incarne un nouveau type de personne. Je suis sûr que sa parole amènera un nouveau souffle. Vous savez, j’appartiens à une génération née sous l’URSS et je sens que cette page vient de se refermer. Une nouvelle étape commence, un nouveau souffle, un nouvel enthousiasme, un nouvel amour, sous forme de paix civile et de concorde. On va construire un pays d’immigration. Si tout rentre dans l’ordre, plein de gens viendront. Parce que ce qui se passe est démocratique. Cette jeunesse sans armes, seulement armée d’amour et de chaleur, est sortie dans la rue et a dit : « Je veux ça ! ». NP est devenu le symbole d’une jeunesse qui ne veut plus de la réalité qu’on lui impose. Le 8 mai, je veux que les fanfares retentissent. Je demande aux députés de voter en conscience. En fait, je ne veux rien leur demander. Je veux juste leur dire qu’après le 8 mai, viendra le 9 mai, puis le 10, le 11, et l’été. Ils doivent voter en conscience -pour une fois sans se dire comme avant : « Pas de jeu possible contre nous ! » (« Mèr dèm khagh tche ka ! »)- sans idéologie, en faisant preuve du sens de l’Etat. Ils doivent savoir qu’à la force s’oppose la contre-force, incarnée par nos jeunes, brillants et fantastiques. Si les députés du PR deviennent opposition dans la future AN, je veux que la pratique parlementaire diffère de ce qu’elle a été jusqu’ici, où les propositions de loi émanant de l’opposition étaient systématiquement rejetées par la majorité parlementaire. Je veux que les députés votent les projets et propositions de loi non pas en fonction de leur appartenance politique mais selon que ces textes servent ou non l’intérêt national. Je veux aussi que les soldats aient pour leurs commandants l’amour que les jeunes vouent à Nikol. Si les soldats aiment leur commandant, nous aurons une armée brillante. Le commandant doit aimer ses soldats comme ses enfants.

Q : Il y a quelques jours, les artistes ont entrepris une action citoyenne qui a débouché sur la démission du ministre de la Culture Armen Amirian. Vous y avez participé. Pourquoi ? En quoi cette démission va-t-elle aider à quoi que ce soit ?

Aramo : J’ai en effet soutenu cette action qui avait pour slogan : « Culture libre et indépendante ! ». Dans mon discours, j’ai dit que je souhaite que l’Arménie devienne réellement libre et indépendante. Tout autour, c’étaient principalement des étudiants du Conservatoire de musique et de l’Institut de dramaturgie. Et puis il y avait des gens de ma génération, des artistes tels que Viguèn, Hrant Tokhatian, Louiza, Vahagn Haïrapètian, Toptchian etc.. J’ai dit que l’Arménie doit renouer avec la culture de haut niveau qui fut la nôtre, et qui a pour noms Komitas, Yègmalian, etc..

Q : Armen Amirian était pourtant un meilleur ministre de la Culture que ses prédécesseurs. Cette action était-elle dirigée contre lui ou contre le PR ?

Aramo : J’estime hautement le travail d’Armen Amirian depuis un an et demi. Il a commencé, par exemple, à s’occuper du théâtre. C’est ainsi qu’il a commencé à régler la question d’un théâtre pour la troupe Hamazgaïne et qu’il s’est attelé à la rénovation des théâtres provinciaux, à Gavar, par exemple, et bientôt à Goris et Kapan. Moi je pense qu’il a accepté de s’engager dans le PR simplement pour pouvoir travailler et accomplir ce genre de dessein. Vous savez très bien qu’on ne pouvait rien faire si on n’était pas inscrit au parti (PR). J’estime qu’Armen Amirian a fait un pas exceptionnel en démissionnant. Je suis sûr qu’à présent beaucoup de gens auront le courage d’aller contre la pression du parti (PR). Que les autorités qui parlent tellement de la nécessité d’avoir le sens de l’Etat et une vision d’avenir (tèslakan) s’appliquent ces préceptes à eux-mêmes et reconnaissent que NP est porté par le peuple, que le peuple veut être dirigé par lui. Qu’ils comprennent qu’est venu le temps de construire une nouvelle Arménie, pleine de soleil, lumineuse. Qu’ils mettent leurs ambitions et leurs intérêts personnels de côté. Aujourd’hui, même les pierres des immeubles se réjouissent de ce qui se passe. Quelque chose a changé. Moi aussi, j’ai changé.

SM

(à suivre, pour des infos en fin de journée)

raffi
Author: raffi

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