Sérendépité

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Le 17 mai 2023, Armenews faisait état d’un article publié le 15 mai, sur le site du média israélien i24, signé par le géopoliticien Ariel Kogan, intitulé : « L’armement de l’Arménie par la France pourrait faire le jeu de l’Iran ». Paris fournisseur d’Erevan en matériel militaire, voilà qui méritait quelque attention. De fait, l’article de M. Ariel Kogan évoque une information fournie par les services de renseignement ukrainiens, le GUR : Paris livrerait des armes létales à Erevan. Pour appuyer cette affirmation pour le moins vague, l’analyste s’appuie sur le site azéri Telegram AZfront, qui révélerait la livraison d’un premier lot de 50 véhicules blindés de transport de troupes, détails qui, hélas, qui n’ont pu être retrouvés sur le site évoqué. En revanche, l’article de TAZ mentionné par M. Ariel Kogan s’appuie lui-même sur un article du site israélien Hamodia posté en novembre 2022, « Étrange guerre : France et Iran contre l’allié d’Israël », signé par un certain Ariel Kogan. Voilà bien des détours pour se citer soi-même.

Le papier de i24 évoque encore un article de Global Security Review, selon lequel, au cours de la visite du ministre arménien de la Défense Suren Papikyan, à Paris, en septembre 2022, « la possibilité de fournir à l’Arménie des systèmes de missiles antiaériens français Mistral a également été évoquée. » Malheureusement, l’article de GSR, signé par un certain Jack Dulgarian, mentionne seulement que les Mistrals conviendraient bien aux besoins de l’armée arménienne, sans évoquer, en quoi que ce soit, leur éventuelle fourniture. Mais, dans la manipulation de l’information, nul n’est obligé d’être exact. Dans toutes les citations produites par l’article de i24, il en manque seulement une, celle du site azéri aze.media qui, le 13 mai, soit deux jours avant sa propre publication, publie un article ayant pour sous-titre : « La France a décidé de fournir des armes létales à l’Arménie ». On se doutait tout de même de la source d’inspiration.

Pourquoi tous ces médias se donnent-ils tant de mal pour faire croire que la France fournit des armes létales à l’Arménie ? Une partie de la réponse se trouve dans les articles eux-mêmes. Selon eux, livrer des armes sophistiquées à l’Arménie revient à communiquer leur technologie aux Russes et aux Iraniens. Aussi, afin de consolider le camp anti-russe et anti-iranien, il convient, selon ces experts, d’armer plus encore le troisième pilier de l’alliance, l’Azerbaïdjan. D’où les annonces pour le moins surprenantes dans un domaine si secret, parues de la presse israélienne, détaillant les livraisons d’armes de Jérusalem à Bakou, comme le 6 mars 2023 dans le journal Haaretz qui titrait : « 92 vols depuis une base d’Israël révèlent des exportations d’armes vers l’Azerbaïdjan ». Titre fracassant si l’on omet de mentionner que ces vols ont eu lieu sur une période de 6 ans, de 2016 à 2023, 26 vols, soit un tiers, ayant eu lieu en 2020. Le total des ventes par les contrats de 2016 et de 2021, s’élève à environ 7 milliards USD. Comme l’écrit encore Haaretz, « les sanctions (NDLR : imposées par les USA en 1994) ont généré une opportunité commerciale et stratégique à un partenaire inattendu : Israël. » Bon business en effet. Reste encore à savoir pourquoi l’État hébreu tient tant à étaler le volume et le contenu détaillé de ses exportations vers l’Azerbaïdjan. Pour démontrer que les armes de Jérusalem sont aussi prisées et plus sophistiquées que celles de Moscou ?

La réponse se trouve peut-être dans le récent accord entre l’Iran et l’Arabie Saoudite ralliés par la Syrie, l’Irak et les Émirats (voir NAM306) et la fin des espoirs soulevés par les accords d’Abraham de 2020, rapprochant Israël, Bahrein et les Émirats. Désormais, dans ce Moyen-Orient compliqué, Israël, l’Azerbaïdjan et la Turquie, leur allié commun, restent seuls. D’où la nécessité d’ouvrir leur alliance vers d’autres horizons dans le monde turcophone, ce qui expliquent la récente décision d’Israël d’ouvrir une ambassade de plein titre à Achkhabad au Turkménistan. La capitale de ce pays se situe à 20 km de la frontière iranienne, un emplacement de choix pour y implanter des missiles israéliens. Autre avantage, le sous-sol rapporte environ 9 milliards USD de revenus pour l’export de gaz et de pétrole vers la Chine, pour une population de 9 millions d’habitants et une armée de 22 000 soldats équipés de matériels soviétiques obsolètes. Autant dire qu’il serait opportun d’équiper ce pays de matériel dernier cri, israélien de préférence, contre des livraisons d’hydrocarbures. D’autant que, vu la guerre en Ukraine, Moscou n’est plus à même de fournir ses clients en temps et en heure. De toute façon, comme le décrit l’article de i24, la Russie est alliée à l’Iran, ennemi potentiel du Turkménistan. Donc autant ne pas trop compter sur Poutine pour garantir sa sécurité. Pour prouver, par contraste, la fiabilité d’Israël, quoi de mieux que de donner en exemple ses diligences envers l’Azerbaïdjan voisin, objet de l’article d’Haaretz. Et pour se persuader que les voisins du Turkménistan, l’Iran et la Russie, peuvent accéder à la haute technologie militaire, voir la démonstration de M. Kogan sur i24.

Voici donc qu’à l’occasion d’une analyse de la situation géopolitique de leur pays respectif, les experts israélo-azéris découvrent l’importance stratégique de l’Arménie et de la relation avec la France. Un peu comme Christophe Colomb découvrant l’Amérique par hasard. À ce processus de découverte fortuite d’un fait capital, les Américains ont donné un nom : la sérendipité.

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Author: capucine

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