L’arrivée vendredi de troupes turques dans le cadre d’une mission de paix au sein de la Finul au Liban, 88 ans après un départ précipité et humiliant de son sol du dernier soldat ottoman, constitue un tournant dans les relations entre Ankara et le monde arabe.
Un contingent turc de 261 hommes, venu par air et par mer, doit rejoindre les quelque 7.000 soldats de la Force intérimaire des Nations unies au Liban sud (Finul), chargée de maintenir la paix à la frontière israélo-libanaise.
La Turquie est le premier Etat musulman à envoyer des troupes participer à la Finul renforcée, déployée au Liban sud, dont la mission est de consolider la trêve entre Israël et le Hezbollah chiite libanais après une guerre au Liban (12 juillet-14 août).
Mais surtout, c’est la première fois que des troupes turques foulent un sol arabe depuis la défaite de l’empire ottoman en 1918, à l’issue de la première guerre mondiale.
Le retrait turc a suivi quatre siècles de domination du monde arabe divisé en provinces, celle du Liban ayant été particulièrement troublée et marquée par des révoltes contre la Sublime porte (surnom du gouvernement ottoman) et des massacres.
Le ressentiment contre la Turquie reste très vif au pays du Cèdre, où vit la plus importante communauté arménienne du Proche-Orient. Les responsables de cette communauté considèrent le déploiement de troupes turques au Liban sud, « d’insulte à la mémoire collective du peuple arménien ».
Au cours des dernières années, la Turquie a cependant tissé des relations politiques, économiques et parfois sécuritaires étroites avec des pays arabes, notamment avec la Syrie -naguère sa bête noire-, le Liban et des pays du Golfe.
Allié d’Israël, membre de l’Otan et de l’Organisation de la conférence islamique, Ankara cherche aussi à peser diplomatiquement.
« La Turquie a un rôle important à jouer dans la paix au Proche-Orient », a récemment déclaré le vice-président syrien Farouk al Chareh.
Durant la guerre d’Israël contre le Hezbollah, la diplomatie turque a joué un rôle actif pour l’établissement d’un cessez-le-feu.
Preuve de leur intérêt pour tout ce qui touche désormais à la situation au Proche-Orient -qu’il s’agisse du Liban ou du conflit israélo-palestinien- les responsables turcs ne cessent de répéter que leur pays « ne peut rester indifférent à la détresse de ses voisins », comme l’a déclaré le ministre des Affaires étrangères Abdullah Gül lors du débat parlementaire sur l’envoi de troupes au Liban.
« Comme d’autres participants à la Finul, nous avons refusé d’avoir à désarmer le Hezbollah », a d’ailleurs affirmé M. Gül qui a souligné que les soldats turcs ne venaient pas au Liban pour combattre.
« La participation de la Turquie à la Finul montre l’importance grandissante de son rôle en tant que facteur de stabilité au Proche-Orient », a affirmé Ibrahim Tabet, auteur d’un livre à paraître sur l’histoire de la Turquie.
Ce point de vue est cependant contesté par des députés arméniens du Liban qui ont encore en mémoire « le génocide » des Arméniens qu’Ankara refuse de reconnaître.
« Les Turcs veulent faire revivre un nouvel empire ottoman au Moyen-Orient. Nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement libanais se montre enthousiaste pour la venue de troupes turques », a estimé Hagop Pakradouni, député arménien au parlement libanais.
« La Turquie doit se réconcilier avec son passé. Si elle vient en terre libanaise aujourd’hui c’est pour protéger les intérêts d’Israël », a-t-il ajouté.
Mais d’autres voix arméniennes sont plus modérées.
« Nous avons beaucoup protesté contre la venue des troupes turques, mais nous sommes Libanais avant tout, et ce n’est pas le moment de créer de nouveaux problèmes alors que le pays vit des heures difficiles, et que la décision d’envoyer des soldats a été adoptée par une résolution de l’Onu », tempère Hagop Kassardjian, un autre député.