Discours de Terry Davis
Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
à l’Université d’Etat d’Erevan
Erevan, 5 novembre 2007
Il y a six ans, l’Arménie a décidé de construire son avenir européen sur un engagement envers des valeurs et des principes partagés en restaurant la confiance dans cet avenir commun, pour le pays et la région du Sud-Caucase, au moyen du dialogue et de la coopération.
Le Conseil de l’Europe continuera d’accompagner l’Arménie sur la voie de la consolidation de la démocratie. Ce processus devrait bénéficier de l’impulsion fournie par l’active participation de votre pays au Comité des Ministres, à l’Assemblée parlementaire, au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe et à d’autres organes spécialisés, comme la Commission de Venise et le Groupe d’Etats contre la corruption, connu sous le nom de GRECO.
A l’heure de rejoindre le Conseil de l’Europe, l’Arménie était en proie à de nombreuses difficultés économiques et sociales et l’état de sa démocratie ne satisfaisait pas aux normes européennes. L’Arménie a donc été invitée à contracter plusieurs engagements en vue de mettre sa législation et sa pratique en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe. En toute objectivité, force est de convenir que, ces dernières années, quelques progrès ont été accomplis. Pourtant, très honnêtement, il faut admettre qu’il reste beaucoup à faire.
Mais examinons d’abord les réalisations positives. Pour commencer, je voudrais évoquer la réforme constitutionnelle, qui a changé la structure institutionnelle du pays et sa vie politique. J’irais jusqu’à dire qu’il s’agit là du résultat le plus significatif de la coopération entre l’Arménie et le Conseil de l’Europe, car il pose les bases des autres réformes démocratiques. Pour ma part, je peux vous assurer que le Conseil de l’Europe continuera à vous apporter toute l’assistance nécessaire pour mettre ces réformes en oeuvre.
La réforme de la Constitution a eu un effet bénéfique sur la réalisation de plusieurs engagements de l’Arménie envers le Conseil de l’Europe, et notamment :
– un maire élu pour la ville d’Erevan ;
– un Défenseur des droits de l’homme élu par le parlement ;
– une séparation des pouvoirs plus équilibrée ;
– des garde-fous plus efficaces pour l’indépendance de la justice ;
– l’abolition de la détention administrative ;
– le droit des citoyens, des partis politiques, des défenseurs des droits de l’homme et des collectivités
locales à saisir la Cour constitutionnelle ;
– un nouveau régulateur pour la radiodiffusion, plus indépendant.
Pourtant, tout en félicitant le parlement et les autorités de ces réalisations importantes, je ne peux m’empêcher de regretter que des irrégularités soient venues entacher la conduite du référendum sur la nouvelle Constitution et saper le soutien public à la réforme constitutionnelle.
La leçon à tirer de cette situation est que l’Arménie doit encore enrichir sa culture politique. Tant le gouvernement que l’opposition doivent apprendre à se respecter mutuellement et à dialoguer. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas de compétition démocratique, mais que celle-ci doit être saine – autrement dit que la partie doit se jouer à coups d’idées et de propositions politiques, mais sans coups bas.
Je tiens aussi à faire quelques commentaires sur les élections en elles-mêmes. Les amendements au Code électoral, adoptés en mai 2005, ont amélioré le cadre juridique, mais des observateurs indépendants ont quand même noté des défaillances dans la conduite des élections. L’Assemblée parlementaire du Conseil n’a d’ailleurs cessé de dire sa profonde déception au sujet de la conduite des élections nationales dans le pays.
Mais soyons justes, les dernières élections parlementaires en mai de cette année ont montré quelques signes encourageants et ont donc donné lieu à une évaluation globalement plus positive de la part des observateurs internationaux. Nous espérons tous que ces tendances optimistes se confirmeront lors des élections présidentielles de 2008.
La première condition à une authentique démocratie, qui fonctionne bien, réside dans des élections libres et équitables. La deuxième condition est un système judiciaire indépendant et efficace.
La réforme structurelle du système judiciaire de votre pays a démarré en 1998, avant votre adhésion au Conseil de l’Europe. Depuis 2001, le Conseil de l’Europe vous a apporté toute l’aide possible – notamment pour former les juges. Mais ce n’est qu’après la réforme constitutionnelle de novembre 2005 que la deuxième étape de la réforme, destinée au renforcement de l’indépendance du judiciaire, a pu véritablement commencer.
L’une des plus belles réussites de l’Arménie ces deux dernières années est sa Constitution révisée, qui stipule clairement que l’indépendance des instances judiciaires est garantie par la Constitution et la législation, et plus par le seul Président de la République, comme auparavant.
La troisième condition à une réelle démocratie est une lutte effective contre la corruption. L’Arménie est membre du Groupe d’Etats contre la corruption (connu sous le nom de GRECO) depuis le 20 janvier 2004. Elle a également ratifié les traités essentiels du Conseil de l’Europe en la matière, à savoir les Conventions civile et pénale sur la corruption.
Néanmoins, le rapport du GRECO, publié en mars 2006, note quelques problèmes majeurs et n’adresse pas moins de 24 recommandations aux autorités arméniennes pour les aider à améliorer la bonne organisation et l’efficacité de leur lutte contre la corruption. Manifestement, il reste beaucoup à faire dans ce domaine d’activité crucial.
Le prochain point sur la liste du Conseil est la liberté d’expression.
La réforme constitutionnelle a posé les bases d’une plus grande indépendance des organes de régulation des médias électroniques. Les membres de la Commission nationale de télévision et de radiodiffusion ne sont plus exclusivement désignés par le Président, mais également par l’Assemblée nationale. C’est là un premier progrès très appréciable. Cependant, il subsiste quelques problèmes en ce qui concerne la sélection des candidats. Il est en effet absolument essentiel que la sélection soit transparente et fondée sur le mérite. Là encore, le Conseil de l’Europe possède une solide expérience et, le cas échéant, nous sommes prêts à vous apporter l’assistance et les conseils nécessaires.
Il reste deux points sur ma liste non exhaustive des domaines dans lesquels nous souhaiterions voir des progrès supplémentaires : je veux parler du système pénitentiaire et de que l’on appelle le service alternatif pour les objecteurs de conscience.
Le système pénitentiaire du pays est encore loin d’être conforme aux normes européennes. Les recommandations du Comité pour la prévention de la torture (CPT) fournissent les orientations à suivre pour cette future réforme.
Quant au service alternatif, il reste du chemin à parcourir. Les derniers amendements à la loi ne semblent pas avoir réglé les problèmes qui ont été soulevés quant à la durée et aux modalités d’accomplissement du service alternatif. La loi, telle que modifiée, ne garantit toujours pas aux objecteurs de conscience un « véritable service alternatif de nature exclusivement civile, qui ne doit être ni dissuasif ni punitif », comme le prévoient les lignes directrices du Conseil de l’Europe en la matière. Or, le respect de l’engagement pris par l’Arménie lors de son adhésion exigerait que la loi en question soit « conforme aux normes européennes », ce qui n’est pas encore le cas.
En conclusion, je voudrais vous adresser un message très important, un message de réconciliation. Aujourd’hui, l’Arménie doit encore résoudre plusieurs problèmes avec ses voisins immédiats. Ces différends ne datent pas d’hier mais, faute de solution, ils continueront d’empoisonner l’avenir de l’Arménie et de ses voisins.
L’histoire n’a pas épargné votre pays qui garde encore le souvenir douloureux des injustices et des sacrifices du passé. Mais il ne faut pas oublier que l’autre Partie a une perception de l’histoire différente. Et, même si vous n’y adhérez pas, vous devez la reconnaître, voire même la respecter.
Un exemple me vient immédiatement à l’esprit, celui du conflit du Haut-Karabakh. Lors de l’adhésion de l’Arménie au Conseil de l’Europe, en même temps que l’Azerbaïdjan, les deux pays se sont engagés à poursuivre les efforts pour résoudre ce conflit par des moyens pacifiques.
Malheureusement, le conflit du Haut-Karabakh reste l’obstacle le plus important à la paix, à la stabilité et à la coopération dans cette région de l’Europe. Plus de dix années se sont écoulées depuis le déclenchement des hostilités et le cessez-le-feu conclu ensuite, mais les parties ne sont toujours pas parvenues à un accord sur des mesures susceptibles de conduire à une paix durable et au retour des centaines de milliers de réfugiés et de personnes déplacées. Je ne suis pas ici pour désigner des coupables, mais je voudrais encourager votre Gouvernement à Erevan et le Gouvernement à Bakou à aller plus loin, non pas parce que tous deux l’ont promis au Conseil de l’Europe, mais parce que la résolution de ce conflit est dans l’intérêt de tous, tant en Arménie qu’en Azerbaïdjan.
Un autre exemple de cette situation est votre relation avec votre voisin à l’ouest, la Turquie. Cette relation est toujours houleuse à cause d’événements intervenus il y a non pas dix mais quatre-vingt dix ans. Je comprends votre souffrance. Bien sûr, vous n’avez pas oublié les victimes, mais le temps est un facteur important. Certes, il n’effacera pas le passé, mais laissons lui la possibilité de guérir les blessures. Chacun de nous doit accepter que l’histoire ne peut être ni ignorée ni refaite avec des lois. Nous savons tous que beaucoup de personnes ont perdu la vie. Alors, il faut évidemment rendre hommage aux victimes et prendre conscience que le temps est venu de regarder vers l’avenir. Tout le monde en Arménie et en Turquie doit faire ainsi, non seulement pour votre bien, mais aussi pour le bien de vos enfants.
La réconciliation est difficile et demande plus de courage que la confrontation ; il est donc d’autant plus important de faire le premier pas. De toute façon, la réconciliation est la seule solution. Chacun doit faire un effort pour comprendre et accepter que ce qu’il a en commun avec son voisin compte plus que ce qui l’en éloigne. Nous sommes tous des êtres humains qui partageons les mêmes craintes, les mêmes espoirs et les mêmes aspirations. La seule façon de construire l’avenir que vous souhaitez pour vos enfants, c’est de travailler avec vos voisins, et pas contre vos voisins.
C’est là le véritable message de l’Europe aujourd’hui, écrit par une longue histoire de guerres et de confrontations. Trois mots le résument et indiquent la seule voie possible à suivre : la compréhension, le respect et la réconciliation.