Gagik Tsaroukian a appelé lundi 3 juin les députés de son parti Arménie prospère (BHK) à éviter d’exprimer publiquement leurs opinions personnelles après que l’un d’entre eux a apporté son soutien à l’ancien président Robert Kotcharian, actuellement aux prises avec la justice arménienne. Un sujet particulièrement sensible, le riche homme d’affaires entré en politique depuis plus de deux décennies étant lui-même suspect de sympathies pour l’ancien president, dont il fut l’allié politique et auquel il aurait proposé d’utiliser le BHK comme tremplin pour son retour en politique lorsque ses relations avec son successeur, Serge Sarkissian, s’étaient dégradées au point qu’il avait dû renoncer, début 2015, à la vie politique. De retour sur la scène politique et au Parlement depuis 2017, le BHK de G.Tsaroukian a entretenu une certaine ambiguïté dans ses relations avec R.Kotcharian. Mais depuis que ce dernier a été rattrapé par la justice arménienne, G.Tsaroukian, qui a toujours eu quelque embarras à se positionner dans l’opposition, que ce soit sous l’ancien régime comme sous le nouveau, préfère prendre ses distances avec l’ancien president, que le premier ministre Nikol Pachinian, dont le BHK avait intégré le premier gouvernement en mai 2018, a décidé de traduire devant la justice pour son rôle dans la repression postélectorale du 1er mars 2008. Autant dire que les declarations en faveur de R.Kotcharian d’un député du BHK ont suscité une reaction immediate du leader du deuxième parti du Parlement arménien. “Je demande la liberté pour Robert Kotcharian”, avait déclaré le député Vartan Ghukasian le 31 mai, sur fond de controverse politique persistante provoquée par la decision du 18 mai du juge presidant le procès de l’ancien president de le faire libérer contre caution dans l’attente du verdict. Cette simple phrase avait poussé G. Tsaroukian à convoquer une reunion extraordinaire du groupe parlementaire du BHK, dont les membres seront appelés à faire preuve de retenue dans leurs propos. “Pour cette raison, j’ai présidé aujourd’hui une reunion au cours de laquelle j’ai rappelé que nul n’était autorisé à exprimer son opinion personnelle”, dira le leader du BHK devant les journalistes à l’issue de la réunion, en soulignant que les députés du BHK ne pouvaient faire des declarations publiques, quell qu’en soit le propos, que si le parti s’était prononcé préalablement par une position officielle sur la question. Une figure de proue du BHK, Naira Zohrabian, a souligné de son côté que les propos de V.Ghukasian ne reflétaient pas la position officielle du parti sur cette question. “Il s’agit de l’opinion personnelle de Mr. Ghukasian, et il me faut réaffirmer aujourd’hui que ce n’est pas la position du groupe BHK”, a indiqué la députée d’opposition. N.Zohrabian a aussi fait savoir dans un entretien accordé au service arménien de RFE/RL que le député Ghukasian n’avait pas assisté à la reunion extraordinaire de son groupe parlementaire convoquée et présidée par G.Tsaroukian. V.Ghukasian, 58 ans, a été le maire de Gyumri, la deuxième ville d’Arménie, pendant toute la durée du double mandate de R. Kotcharian, de 1998 à 2008 et ensuite. Il a apporté ouvertement son soutien à l’ancien president, depuis son arrestation l’été dernier. Si les liens entre R.Kotcharian et G.Tsaroukian sont également connus, le leader du BHK s’est bien gardé de les mettre en avant depuis la “revolution de velours” qui a porté N.Pachinian au pouvoir en mai 2018 et à laquelle il s’est rallié une fois que Serge Sarkissian a été renversé. G.Tsaroukian a refusé de joindre sa voix à celle des défenseurs de R.Kotcharian, qui se dit victime d’une vengeance politique, tout comme son parti, qui était supposé, il y a encore trois ans, garantir le retour politique de l’ancien president. “Le BHK reste sur sa position, à savoir que les nouveaux processus politiques en cours en Arménie ne doivent pas être confondus avec des processus juridiques”, a ajouté N. Zohrabian en précisant : “Il s’agit là d’un processus exclusivement judiciaire. Nous souhaitons nous assurer qu’il en sera ainsi et qu’il n’y aura pas de pression politique exercée sur le processus judiciaire”. Sans soutenir R.Kotcharian, le BHK appelle donc le nouveau pouvoir arménien à respecter l’indépendance de la justice, dans laquelle N.Pachinian avait été suspecté d’interférer lorsqu’il avait mobilisé ses partisans pour bloquer les tribunaux et exiger une réforme radicale de l’appareil judiciaire, au lendemain de la liberation de R.Kotcharian. Le BHK comme l’autre parti d’opposition parlementaire, Arménie lumineuse, avait mis en garde contre les tentations du nouveau pouvoir de prendre le contrôle de la justice à l’occasion de ce procès historique. Il est probable que le BHK ne pourra pas non plus rester totalement neutre dans cette affaire politico-judiciaire. G.Tsaroukian n’avait ainsi pas caché son irritation quand le 29 mai, un journaliste l’avait apostrophé sur la contribution de R. Kotcharian à l’immense fortune qu’il a amassée. “Je ne dois rien à personne”, avait-il alors déclaré.
