Info Collectif VAN – www.collectifvan.org – Le Collectif VAN vous soumet cette traduction d’un article en anglais paru sur Turkish Daily News le 05 septembre 2007.
Robert Fisk est le dernier ‘chercheur compatissant’ dit le poisson
Mercredi 5 septembre 2007
L’article de Fisk L’Holocauste Oublié’ qu’il a écrit suite à une visite en Arménie, est rempli de déformations et de contradictions, donnant l’impression qu’il désire créer sa propre réalité’
De C. Cem Oðuz
À l’automne 1991, Jalal Talabani, alors Secrétaire général de l’Union Patriotique du Kurdistan (PUK), et Peter W. Galbraith, un officiel américain travaillant dans l’équipe du Foreign Relations Committee, discutaient des documents gouvernementaux irakiens que les peshmerga (insurgés kurdes du nord de l’Irak) du PUK avaient pris dans les bureaux locaux des Service Secrets de Saddam Hussein et dans ceux du Parti Ba’ath lors des émeutes. “Ces documents uniques sur le génocide commis envers les Kurdes devraient être mis en sécurité,” a dit Galbraith. Il a proposé de les remettre aux États-Unis, en lieu sûr.
Talabani était opposé à cette idée. Il a dit qu’il ne faisait pas confiance au Président américain de l’époque, George Herbert Walker Bush. Au lieu de cela, il donnerait les documents à Galbraith à une condition : il ne voulait pas qu’ils soient “utilisés par ces experts américains du Moyen Orient, qu’il considère être pro arabes ou anti-kurdes.” Galbraith a promis à Talabani qu’il ne rechercherait que “des chercheurs compatissants.”
Fisk lui-même est-il un raver’?
Cet épisode était pour moi la partie la plus saisissante du livre de T. E. Lawrence “Révolte dans le Désert” – tout comme le rapport de Galbraith de 2006 sur l’Irak était intitulé “La Fin de l’Irak.” En le lisant, le terme “chercheurs compatissants” me rendit particulièrement perplexe. Il m’est revenu à l’esprit lorsque j’ai lu l’éditorial du 28 août écrit par le journaliste britannique Robert Fisk, publié dans The Independent, intitulé, “L’Holocauste oublié.”
La pensée critique de M. Fisk vaut vraiment la peine d’être prise en considération. Dans un autre éditorial intitulé : “Même moi je questionne la vérité’ sur le 11 septembre” par exemple, il se plaignait de la présence de “ravers” dans le public de ses conférences sur le Moyen Orient. Il exprime l’opinion que la plus grande part de responsabilité à ce sujet est celle du gouvernement américain lui-même, puisque, lui aussi, est “de plus en plus troublé par les inconsistances contenues dans la version officielle du 11 septembre.” Il a fini par questionner la véracité de la déclaration suivante attribuée à Karl Rove, l’ancien conseiller du Président Bush: “Nous sommes un empire à présent – nous créons notre propre réalité.”
Je suis cependant attristé de voir qu’il ne fait pas les mêmes efforts pour découvrir la vérité sur les allégations arméniennes ou sur la Turquie. “L’Holocauste oublié” qu’il a écrit après une visite en Arménie, est rempli de déformations et de contradictions, donnant l’impression que Fisk, tout comme Rove, désire créer sa propre “réalité.” Il semble être le dernier exemple des “chercheurs compatissants” auxquels M. Galbraith se référait.
Les déformations de Fisk :
Je ne sais pas par où commencer sur le sujet des déformations – il y en a tant. Prenons un exemple : Le prétendu télégramme câblé par Talat Pasha le 15 septembre 1915 à son préfet à Alep, et sa phraséologie que M. Fisk prétend être “… (Les mots) pratiquement identiques à ceux utilisés par [Heinrich] Himmler à ses tueurs SS en 1941.”
Il a cité : « Vous avez déjà été informé que le gouvernement… a décidé de détruire complètement toutes les personnes indiquées vivant en Turquie… Elles doivent être exterminées, aussi tragiques que soient les mesures qui doivent être prises, sans égard pour le sexe et l’âge, et sans scrupules de conscience. »
Je suis au regret de dire qu’un tel document n’a jamais existé. Fisk se réfère manifestement aux télégrammes présentés pour la première fois dans le livre“Les Mémoires de Naim Bey : Documents Officiels relatant la Déportation et les Massacres des Arméniens.” Depuis sa publication en 1920, le livre écrit par l’historien arménien Aram Andonian était supposé constituer la preuve que le “génocide arménien” avait été formellement mis en place comme une politique d’état. Cependant, les télégrammes sont des faux et rien de plus que de la propagande de guerre. C’est un fait avéré, pas uniquement reconnu par les historiens turcs – les prétendus “négationnistes” – mais également par des universitaire et chercheurs éminents tels qu’Erik-Jan Zürcher. Les scientifiques intelligents de descendance arménienne ont depuis longtemps cessé de les utiliser.
Analogie avec les Nazis :
Ce qui me dérange, ce n’est pas l’ignorance mais la façon dont il justifie ses assertions sur, comme il le décrit, “La tentative par la Turquie ottomane d’exterminer une race chrétienne dans sa totalité au Moyen Orient.” Tout comme Fisk, la plupart des gens en faveur des allégations arméniennes, les chercheurs arméniens de la diaspora en particulier, s’empressent de présenter les déportations arméniennes de 1915 comme le premier “holocauste” du 20e siècle. Il prétendent que cela fut utilisé comme un modèle par les dirigeants Nazis pour leur propre programme de génocide. Dans tous ses éditoriaux sur ce sujet, Fisk prétend, clairement sous l’influence des études de l’historien arménien Vahakn Dadrian, que certains officiers allemands qui ont servi dans l’armée ottomane en 1915 étaient “les principaux architectes de l’Holocauste.”
Selon ce même courant de pensées, le présumé manque de réactions du monde face au “génocide oublié” a servi de justification à Adolf Hitler pour son extermination planifiée de la Juiverie européenne. Hitler est fréquemment cité pour avoir déclaré lors d’un discours fait devant ses généraux, et concernant ses plans de guerre sans pitié contre la Pologne en 1939, “Qui, après tout, parle encore aujourd’hui de l’extermination des Arméniens ?”
Le motif derrière les efforts visant à établir une relation entre la déportation arménienne et le destin tragique de la Juiverie européenne lors de la Seconde Guerre mondiale, est évident. L’Holocauste est la seule et la plus grande tragédie humaine dont le monde a été témoin, et tout ce qui lui est lié servirait comme un outil important pour justifier les arguments arméniens.
Ce fut cependant, l’historien américain Heath W. Lowry qui a démontré qu’il n’existe aucune base historique permettant d’attribuer cette déclaration à Hitler. Dans son article “Le Congrès américain et Adolf Hitler sur les Arméniens,” publié en 1985 dans le Journal of Political Communication and Persuasion, Lowry a prouvé que la source de cette supposée citation d’Hitler était un article (“Nazi Germany’s Road to War”) paru dans The Times de Londres, le 24 novembre 1945. L’article de The Times était écrit par un auteur anonyme, et en fait, n’était pas la mention la plus ancienne de cette prétendue déclaration d’Hitler sur les Arméniens. Mais plutôt, “cette citation et en fait le texte entier” du discours d’Hitler soi-disant prononcé à Obersalzberg, a été publié pour la première fois dans le livre “What About Germany” écrit par Louis Lochner, un ancien chef du bureau de Associated Press à Berlin. Lochner a écrit qu’il avait obtenu le discours par le biais d’un informateur anonyme et depuis, sa provenance n’a jamais été découverte et n’a pas fait l’objet d’investigations. Ce qui est encore plus important, déclare Mr. Lowry, c’est le fait que même dans la version de Lochner sur la citation d’Hitler, il n’y a aucune référence directe ou sous-entendue au peuple juif. Il conclut que la prétendue référence d’Hitler au cas arménien était simplement de la propagande de guerre.
Comment devenir un chercheur compatissant ?
En sciences sociales, et en histoire en particulier, ce qui détermine la crédibilité d’un(e) scientifique, ou la fiabilité de ses explications, c’est la solidité de sa méthodologie. Il y a eu une grande variété d’ouvrages traitant de la méthodologie en historiographie, mais la contribution la plus significative émane d’un historien britannique Edward Hallet Carr. Les idées centrales de son livre influent “Qu’est-ce que l’histoire ?” ont changé le principal courant de pensée en histoire.
Carr déclare que l’histoire “est un processus continuel d’interaction entre l’historien et ses faits.” Faits, qui de par leur nature même, ressemblent à des poissons “nageant sans but dans un immense océan, parfois inaccessibles.” Il soutient que, “Ce que l’historien attrape dépendra, en partie de la chance, mais surtout, de la partie de l’océan dans laquelle il choisit d’aller pêcher, et quel appât il choisit d’utiliser.” Il presse les historiens (ou tout chercheur) “d’interroger les documents et de faire preuve de scepticisme envers les motifs de leurs auteurs.” Un chercheur compatissant, au contraire, croit que la partie de l’océan qu’il choisit pour pêcher est la destination finale. Et c’est dans cet esprit, que j’appelle M. Fisk un chercheur compatissant.
J’écris cet article tout en écoutant une chanson merveilleuse de Goran Bregovic, extrait de la bande musicale du film d’Emir Kusturica “Arizona Dream.” À un moment dans la chanson, les paroles sont :
“Le poisson ne pense pas, parce que le poisson sait tout.”
Je me demande vraiment si M. Fisk n’a jamais écouté cette chanson. Et si un jour, un journaliste d’investigations comme Fisk essaiera au moins d’aller pêcher dans d’autres parties de l’océan aussi.
©Traduction C.Gardon pour le Collectif VAN 6 septembre 2007 – 08:30 – www.collectifvan.org