éditorial
Veut-on une Turquie “ottomane” ?
Les Européens ont averti récemment Ankara en termes assez secs : vous n’avez plus que quinze jours pour ouvrir vos ports aux navires chypriotes grecs, sinon nous pourrions suspendre les négociations d’adhésion de votre pays à l’Union européenne. Le 11 décembre, ou au plus tard le 14, les Vingt-Cinq devront en effet prendre une décision : soit suspendre le processus de négociations (ce qui serait un camouflet pour les Turcs), soit l’ouvrir officiellement (c’est peu probable), soit trouver une mesure dilatoire qui permette de rassurer les opinions publiques européennes sans trop fâcher les élites turques.
L’entrée de ce pays laïc, musulman, qui est à la fois européen et moyen-oriental, pose un redoutable problème à une Union européenne indécise et sans boussole, qui a des institutions compliquées et toujours pas de Constitution. On le verra dans notre dossier : Ankara n’a pas de stratégie alternative et souhaite toujours, malgré les vexations, intégrer le club européen. Les Vingt-Cinq eux-mêmes ne peuvent pas non plus renvoyer la Turquie. Il y a une sorte de contradiction dans les demandes européennes. D’un côté, on exige du gouvernement de M. Erdogan qu’il se montre moderne et libéral (“abandonnez la loi 301, qui vous autorise à combattre toutes les voix dissidentes au nom de l’identité turque”). De l’autre, on lui demande de s’impliquer davantage au Moyen-Orient pour assurer la sécurité de la future frontière de l’Union avec l’Irak, l’Iran, la Syrie, le Caucase… Bref, on exige de la Turquie qu’elle soit à la fois plus européenne et plus “ottomane”, car c’était en effet l’Empire ottoman qui assurait avant 1914 une relative stabilité dans cette région multiethnique partagée entre de nombreuses confessions.
Cette double exigence est-elle tenable ? Ne demande-t-on pas trop à ce pays qui a déjà bien du mal à assumer sa propre histoire ? Les Européens, ne sachant pas exactement la voie politique qu’ils veulent se donner, ne savent pas quel rôle confier à Ankara. Evoquer seulement le marché de 80 millions de consommateurs et la main-d’uvre à bon marché ne peut être une réponse adéquate aux questions posées.
Philippe Thureau-Dangin
Courrier International
hebdo n° 838 – 23 nov. 2006
Europe-Turquie : Le désamour
En couverture
Voyage au bout de la nuit bruxelloise
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Jouer la raison contre la peur
Chypre, quel prétexte hypocrite !
La question arménienne, notre cauchemar
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