Le Parlement turc s’apprête, un an après l’assassinat du journaliste turc d’origine arménienne Hrant Dink, à réformer l’article 301 du code pénal qui avait conduit à sa condamnation pour « insulte à l’identité nationale », attirant sur lui la haine des milieux nationalistes.
Insultes, crachats, bousculades… Les milliers de personnes attendues aujourd’hui à Istanbul devant l’hebdomadaire Agos, que dirigeait Dink et devant lequel il a été abattu le 19 janvier 2007 par un jeune chômeur nationaliste, se souviendront des heurts qui avaient jalonné le procès du journaliste. Pour avoir appelé dans un article les Arméniens à « se tourner maintenant vers le sang neuf de l’Arménie indépendante, seule capable de les libérer du poids de la diaspora », et à rejeter symboliquement « la part altérée de leur sang turc », Hrant Dink avait été condamné en 2005 à six mois de prison avec sursis.
Mais au-delà de la peine prononcée, le jugement au titre de l’article 301 a surtout « confirmé », aux dires mêmes de l’avocat d’un des meurtriers, Me Fuat Turgut, que Dink était un « traître à la patrie », le livrant à la vindicte des ultranationalistes.
« Il ne fait aucun doute que l’article 301 a contribué à ce que des intellectuels soient visés et, pour certains, comme Dink, qu’ils aient payé le prix le plus fort », estime Erol Önderoglu de l’ONG de défense des droits de la presse Bia2.
Selon Bia2, au moins 99 auteurs et journalistes ont été poursuivis depuis l’entrée en vigueur de cet article, deux ans et demi plus tôt, dans le cadre d’une réforme sensée renforcer les droits de l’homme en Turquie, adoptée sous la pression de l’Union européenne. Très peu de poursuites (six sur 55 l’an dernier) ont cependant débouché sur des condamnations et aucune sur de la prison ferme.
L’article 301 n’en est pas moins nocif, estime Ragip Zarakoglu, propriétaire de la maison d’éditions « Belge » (prononcé « belgué », qui veut dire « document » en turc), en procès pour avoir publié un livre qualifiant de « génocide » les massacres d’Arméniens en Anatolie en 1915-17, un vocable réfuté par la Turquie. « Cet article est utilisé pour provoquer des campagnes nationalistes et pour forcer ainsi les intellectuels à s’autocensurer », affirme M. Zarakoglu, prenant pour exemple Orhan Pamuk, prix Nobel 2006 de littérature, et la romancière Elif Safak, « devenus silencieux », selon lui, après leurs procès.
L’amendement qui devrait être voté la semaine prochaine au Parlement prévoit une redéfinition plus précise des termes de l’article 301, réduit la peine maximale de prison prévue de trois à deux ans, et conditionne l’ouverture de poursuites à l’obtention d’une autorisation du ministère de la Justice.
Pour M. Zarakoglu, ce dernier changement menace l’indépendance de la justice.
Il fait aussi courir selon lui le risque d’une justice à deux vitesses : celle des anonymes, dont les procès ne susciteront pas de levée de boucliers des médias et de l’UE, et celle des « stars du pays (qui) seront intouchables car le ministère ne donnera pas son autorisation, pour éviter les ennuis ».
Pour Etyen Mahçupyan, actuel directeur de la publication d’Agos, les modifications devraient cependant suffire à empêcher de nombreuses poursuites. « On peut deviner qu’avec tous ces nouveaux petits détails, la plupart des procès ne pourront plus être ouverts », évalue-t-il.