La Cuisine arménienne,
par Nathalie Maryam Baravian. Éditions Actes Sud, 2007, 158 pages, 29 euros.
C’est un très beau livre, très joliment illustré, que voici. Un livre qu’on a envie de relire, de feuilleter dans tous les sens. D’offrir aussi, car c’est un bel objet, avec des dessins de Rémy Sirope et des reproductions des oeuvres du grand artiste arménien Martiros Sarian. Surtout, tout autant qu’un livre de cuisine – avec des recettes traditionnelles très simplement et clairement expliquées -, c’est une ode sensible et émouvante à cette « patrie perdue » que l’auteur, réfugiée arménienne de la troisième génération, n’a connue qu’à travers l’histoire et plus encore les histoires rapportées par sa grand-mère paternelle, née en 1918 en Turquie, sur les rives de la mer Noire. Sa famille avait été décimée par le génocide de 1915. Elle venait de Marzevan, comme celle de son futur mari, rencontré dans l’exil en France et avec qui elle s’installe près de Lyon, à Décines, ville où s’étaient regroupées tant de familles de réfugiés qu’on l’appelait la « petite Arménie ». C’est là que Nathalie Baravian a passé son enfance, bercée par les récits, les comptines et les mythes du pays perdu, fidèle à ses rites aussi, dont la cuisine de sa grand-mère – avec ses saveurs et ses parfums – était le plus délicieux.
Son livre est donc un hommage à cette grand-mère et à la longue chaîne des générations de femmes qui ont réussi à préserver les traditions culinaires, partie intégrante de la culture et de l’identité d’un peuple, et à les transmettre à la génération suivante, à travers les tragédies de l’histoire et les vicissitudes de la vie. Il s’agrémente de retours à l’histoire tumultueuse du peuple arménien, depuis la légende de Noé échoué sur le mont Ararat, en passant par tous ces marchands aventureux répandus à travers le monde dès le Moyen Âge. Nathalie Baravian cite les textes des grands auteurs qui ont visité l’Arménie et qui tous, à commencer par Alexandre Dumas, rendent hommage aux saveurs qu’on y goûte et bien sûr au vin qui y est né : « C’est en Arménie, écrit-il, que Noé, le patron des buveurs, a planté la vigne et essayé la puissance du vin. »
« La cuisine nous renvoie à l’enfance, conclut l’auteur, mais aussi à un temps plus lointain encore, à une terre perdue qui n’offre aucune chance de retour aux exilés. La cuisine est ce qui reste quand on a presque tout oublié. » Heureusement pour ses lecteurs, l’écrivain ne veut rien oublier. Elle restitue en même temps que les recettes, les objets, les gens et les mots d’une Arménie finalement éternelle.
Françoise Germain-Robin
L’HUMANITE
Article paru dans l’édition du 2 juin 2007