Un partenariat stratégique pour l’Arménie

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Partageant des intérêts éco-nomiques et géostratégiques communs, les Émirats arabes unis sont une puissance régionale appelée à jouer un rôle de premier plan dans le désenclavement de l’Arménie.

Les 5 et 6 mai, une imposante délégation turque conduite par le vice-ministre des Affaires étrangères Sedat Önal, s’est rendue au Caire pour briser la glace avec les Égyptiens. De fait, les relations diplomatiques sont rompues depuis le renversement, en juillet 2013, du président égyptien Mohammed Morsi. Un tel empressement à renouer avec l’Égypte traduit le climat d’anxiété qui règne à Ankara depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. Vue d’Erevan, cette inflexion augmente l’isolement qui s’est accru autour d’une Arménie qui, avant d’avoir été vaincue militairement, l’avait été sur le plan diplomatique.
Exit la diplomatie dite de complémentarité mise en place, sous la présidence Kotcharian, par son ministre des Affaires étrangères Vartan Oskanian ? L’heure est à un examen critique. Et surtout à une reconsidération de ses partenaires stratégiques dans le monde. S’inspirant de la politique étrangère israélienne développée dans les années 1950 avec l’Éthiopie et l’Iran, l’Arménie ne pourrait-elle pas répondre à un besoin de nouer des alliances à revers avec des puissances périphériques ? À commencer par les pays qui redoutent le panturquisme et le panislamisme ? Ceux-ci sont facilement identifiables. Nous avons, en premier lieu, l’Inde dont l’ennemi juré pakistanais a rejoint l’axe Bakou-Ankara depuis des décennies, la Chine qui, du fait de la question des Ouïghours turcophones, a des relations difficiles avec la Turquie, mais aussi la Grèce, Chypre et les Émirats arabes unis.

Les Émirats arabes unis :
un partenariat prometteur

Si Abu Dhabi soutenait encore en 2018 le respect de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, cela ne l’a pas empêché de nourrir des relations étroites avec l’Arménie. Ces dernières années, l’expansionnisme turc croissant initié par Recep Tayyip Erdoğan a contribué à l’intensification des relations entre Erevan et Abu Dhabi, qui se sont nettement améliorées. Les Émirats arabes unis sont hostiles aux ambitions turques au Moyen-Orient, les deux pays s’affrontent sur différents champs de bataille par procuration, que ce soit en Syrie, au Soudan, en Libye et dans les territoires palestiniens. C’est essentiellement cette dégradation des relations avec la Turquie, principal allié stratégique du Qatar, qui a poussé les EAU à amorcer un processus de reconnaissance du génocide des Arméniens, avec une déclaration officielle en avril 2019 et la reconnaissance de ce dernier par l’émirat d’Abou Dhabi. Le Cheikh Khalifa bin Zayed Al Nahyan, qui a félicité l’Arménie qui fêtait l’anniversaire de son indépendance, le 21 septembre 2020, a reçu à plusieurs reprises le président Armen Sarkissian. Ce dernier a eu, au cours de la guerre, l’occasion d’intervenir sur la chaîne satellitaire émirati-saoudienne Al Arabiya, grande concurrente d’Al Jazeera, pour exhorter la communauté internationale à empêcher la Turquie d’intervenir dans le conflit. Peu de temps après la fin de la guerre, Sarkissian a effectué une visite de travail aux EAU, où il a rencontré le prince héritier d’Abu Dhabi, Mohammed ben Zayed bin Sultan Al Nahyan, pour y discuter du renforcement d’une coopération bilatérale.

High-tech et armement

Les prémisses de la coopération militaire et économique bilatérale sont apparues en février 2019, lorsque le ministre arménien de la Défense, Davit Tonoyan, avait participé à la conférence internationale sur la défense d’Abu Dhabi, ainsi qu’à la 14e édition du salon de l’armement du futur IDEX. En marge de cette visite, Tonoyan avait rencontré le prince héritier d’Abou Dhabi, le commandant suprême adjoint de l’armée des Émirats arabes unis, le cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan, ainsi que l’émir de Dubaï, qui est à la fois vice-président et Premier ministre des Émirats arabes unis, le cheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum. Cet épisode de la relation Arménie-EAU avait été renouvelé exactement un an plus tard, lorsque le ministre arménien de l’Industrie et des hautes Technologies, Hakob Arshakyan, avait conduit une délégation au salon de l’armement l’UMEX- SimTEX 2020 à Abu Dhabi, du 22 au 23 février, salon considéré comme le rendez-vous des experts des drones et de la simulation au Moyen-Orient. Un événement international incontournable organisé sous le patronage du cheikh Mohamed ben Zayed Al Nahyan, prince héritier d’Abou Dhabi et commandant suprême adjoint des forces armées des Émirats arabes unis. Le ministre Arshakyan avait assisté à l’événement à l’invitation du ministre de la Défense des Émirats arabes unis, prononcé un discours lors de la conférence et effectué un certain nombre de réunions avec de hauts fonctionnaires pour discuter des perspectives de partenariat. L’occasion pour Arshakyan de présenter à Mansour bin Zayed Al Nahyan, vice-Premier ministre des Émirats arabes unis et ministre des Affaires présidentielles, les systèmes de navigation à intelligence artificielle fabriqués en Arménie.

Intérêts économiques mutuels

Lors d’une réunion avec Homaid Al Shimmari, directeur général adjoint du groupe et directeur des affaires et du capital humain de la société d’investissement émiratie Mubadala, Arshakyan avait discuté des possibilités de renforcer la coopération dans les directions des investissements en capital-risque dans le secteur de la haute technologie, du développement de l’entrepreneuriat, des programmes éducatifs et du développement de l’écosystème. De son côté, Mohammed Ahmed Al Bowardi, le ministre d’État à la Défense des Émirats arabes unis, avait briefé son homologue arménien sur le programme « Soldat du futur » introduit dans l’armée émiratie, avant de souligner l’importance d’intensifier la coopération avec l’Arménie dans les secteurs de l’industrie militaire et de défense, tenant compte de la bonne expertise scientifique des professionnels arméniens. Le dernier acte s’est joué le 11 mars dernier, avec la visite de travail aux Émirats arabes unis du chef de la diplomatie arménienne Ara Aivazian, où il a rencontré son homologue, Abdullah bin Zayed Al Nahyan. Un pas supplémentaire a été franchi dans la coopération bilatérale qui englobe le domaine des technologies de l’information, de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, des énergies renouvelables et du tourisme, autant de dossiers sur lesquels se penche la Commission mixte intergouvernementale arméno-émiratie, ce qui a été souligné.
On l’aura compris, en dépit de la distance géographique et des disparités culturelles, Erevan et Abu Dhabi ont intérêt à se rapprocher en raison d’intérêts économiques mutuels (high-tech, économie du savoir…). Porte d’entrée pour l’Arménie vers le Moyen-Orient et l’Asie, Dubaï se situe à 3 heures d’avion d’Erevan. Et puis il y a le volet géostratégique. Les EAU sont un acteur politique qui a su faire preuve de son ambition. Son armée, qui est la plus professionnelle du monde arabe devant les armées jordanienne et égyptienne, a fait ses preuves au Yémen mais aussi en Libye. Les EAU, où réside la plus importante communauté arménienne du Golfe avec celle du Koweït, semblent déterminés à faire passer leurs relations avec l’Arménie à un niveau supérieur. Par ce biais, Abu Dhabi renforce son rôle en tant qu’investisseur majeur dans le Caucase. Mais il y a plus important : en établissant une relation stratégique avec l’Arménie, les EAU étendent leur coalition anti-Turquie dans la région au sens large. Les EAU entretiennent déjà des liens étroits avec d’autres pays en délicatesse avec Ankara : l’Égypte, l’Est de la Libye du maréchal Haftar, la Syrie et la Grèce. Erevan partage avec tous ces pays un dilemme sécuritaire qui découle de la politique étrangère négationniste et arménophobe d’Ankara. Les EAU et l’Arménie ont pris des initiatives afin de développer leurs relations et ils ont établi un cadre pour forger ce qui s’apparente à une alliance stratégique. Tant que la nébuleuse des Frères musulmans parrainée par le Qatar et la Turquie constituera une menace pour les intérêts d’Abu Dhabi, il n’y a que peu à craindre que les Émirats infléchissent leur politique étrangère proactive. Abu Dhabi et Ankara s’opposent sur des terrains de guerres par procuration en Libye mais aussi par mouvements palestiniens interposés (Hamas pro Qatar versus Fatah pro émirati).

L’Arménie dans un environnement en recomposition

La réunion de la Commission intergouvernementale EAU-Arménie de 2019, la visite du président Sarkissian en janvier dernier avec le cheikh ben Zayed Al Nahyan et la signature de nombreux accords bilatéraux sont quelques exemples des efforts que les deux pays déploient pour construire une alliance stratégique. L’autre développement important est la coopération avancée en matière de défense et d’économie du savoir que les deux États appellent de leurs vœux. En outre, les EAU ont été l’un des principaux pays à avoir aidé l’Arménie pendant la crise de la COVID-19 en fournissant une aide humanitaire. Le gouvernement intérimaire de la Libye, soutenu par Abu Dhabi, a reconnu le génocide des Arméniens. Les deux pays sont indirectement impliqués dans la guerre syrienne ; l’Arménie a envoyé du personnel militaire non combattant pour soutenir les opérations russes tandis que les Émirats arabes unis soutiennent les Kurdes syriens. Signe d’une recomposition des rapports de force dans la région, les EAU ont rouvert leur ambassade en Syrie. Tous deux entretiennent des relations amicales avec Damas et s’opposent à l’intervention turque dans le pays. Enfin, les EAU ont récemment soutenu oralement la décision arméno-helleno-chypriote de bloquer l’élection du candidat turc à la présidence de l’Assemblée générale de l’ONU.
Forte de la présence de l’une des principales communautés yézidies en dehors de l’Irak, l’Arménie a plus qu’intérêt à réexaminer de fond en comble sa politique étrangère vis-à-vis du Moyen-Orient en tablant sur la défense des minorités d’Orient et sur un axe stratégique consolidé avec les Émirats. Sans oublier pour autant de poursuivre ses bonnes relations avec la Syrie, le Liban, l’Irak qui est son premier partenaire commercial dans la région, la Jordanie et le sultanat d’Oman, dont le rôle de puissance médiatrice modérée est unanimement reconnu.

Dessérrer l’étau
Aussi, le temps semble venu pour Erevan de solliciter les EAU et le sultanat d’Oman pour l’aider à établir des relations diplomatiques avec Riyad, une puissance qui compte dans le sillage de la refonte des alliances au Moyen-Orient que Gilles Kepel a si bien décrit dans son dernier ouvrage Le prophète et la pandémie. D’un côté, « l’axe fréro-chiite » qui réunit la Turquie, le Qatar et l’Iran, de l’autre, le « pacte d’Abraham » qui inclut l’Arabie saoudite, les EAU, Bahreïn, l’Égypte, le Maroc et le Soudan avec les États-Unis et Israël. De la même manière, l’Arménie a tout à gagner en dénonçant les agissements des Frères musulmans soutenus par la Turquie dans le monde, en qualifiant cette organisation de « terroriste », tout en nouant une coopération poussée dans le domaine du renseignement avec Le Caire et Abu Dhabi. Mais pour que ce partenariat puisse prendre forme, encore faut-il que les EAU reconnaissent le génocide des Arméniens. Une telle reconnaissance délestée de tout agenda politique et de calculs cyniques, aura un effet bénéfique pour les deux pays ainsi que pour le rapprochement entre l’islam et le christianisme salué par le pape François lors de son voyage historique aux Émirats en 2019.
Enfin, une alliance stratégique entre les Émirats arabes unis et l’Arménie permettra de juguler la relation trop asymétrique entre Moscou (qui n’a pas cessé de vendre des armes à Bakou) et Erevan et renforcera l’équilibre des forces en faveur d’Erevan face à l’Azerbaïdjan et ses velléités annexionnistes dans la région du Siunik. Pour l’heure, l’Iran est considérablement affaibli par les sanctions internationales et ne peut pas pallier cette dépendance accrue vis-à-vis de la Russie. Mais grâce à Abu Dhabi, le moment est sans doute venu pour Erevan de desserrer l’étau russe et de cimenter son architecture de défense.

Zaven Djandjikian

La rédaction
Author: La rédaction

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