Après la pandémie, le tourisme blanc reprend lentement en Arménie, mais le projet d’une nouvelle station haut de gamme est devenu la pomme de discorde entre le gouvernement arménien et une société française.
L’Arménie offre une certaine variété de stations de ski aux professionnels et aux amateurs de sports d’hiver à des prix nettement inférieurs à ceux pratiqués en Europe. Le tourisme blanc a connu un développement constant au cours des cinq dernières années. Mais la pandémie et les restrictions de voyage ont affecté les affaires de la station la plus importante du pays, Tsaghkadzor.
La station est encore pleine cet hiver, mais la situation a été difficile, ces deux dernières années, pour les moniteurs de ski et de snowboard dont les clients habituels sont des étrangers.
75% de touristes en moins
« Avant la pandémie, je gagnais au moins le triple de ce que je gagne maintenant », nous raconte Karen Safaryan, jeune moniteur de snowboard, pendant qu’il fait payer un client pour dix heures de formation [40 € de l’heure]. « Habituellement, les gens viennent ici le week-end ; c’est le moment où nous réalisons les plus gros chiffres, mais, depuis la pandémie, ce n’est plus le cas. Les affaires sont moins bonnes », explique Karen. Les principaux clients des moniteurs sont les Russes, qui représentent aussi le pourcentage le plus important de touristes en Arménie.
Selon le ministère de l’Économie, à cause de la pandémie, en 2020, le nombre de touristes a diminué de plus de 75 % par rapport à la même période de 2019. Alors qu’avant la pandémie, on prévoyait une augmentation de 15 %. En 2020, près de 360 000 touristes ont visité l’Arménie, ce qui représente une énorme baisse par rapport aux 2 millions de visiteurs de 2019. L’année dernière, l’Arménie a accueilli 870 000 touristes, principalement des Russes.
Tsakhkadzor
Tsakhkadzor est une petite ville de montagne et sa station se trouve à environ un kilomètre du centre-ville qui est rempli de restaurants abordables et pour tous les goûts. Il est situé au nord d’Erevan, dans la province de Kotayk, à seulement une heure de route de la capitale. À l’époque soviétique, la base sportive de la réserve olympique de l’Union soviétique était située à Tsaghkadzor. Aujourd’hui, on y trouve de nombreux hôtels, restaurants, magasins et tout ce qui est nécessaire pour un séjour confortable.
Au fil des ans, la ville est devenue un lieu d’escapades pendant les mois d’été, mais surtout l’hiver, avec toute une gamme d’activités tournées vers les sports de montagne. À côté des hôtels de luxe, des maisons d’hôtes et des Airbnb de différentes catégories ont vu le jour, et proposent des séjours beaucoup plus abordables à une clientèle moins fortunée. Marriott, Teghenis, Ararat se placent dans le haut de gamme de l’offre hôtelière. En moyenne, les prix d’une nuitée pendant la saison d’hiver commencent à 100 € et peuvent monter plus haut. Cependant, de petits hôtels confortables tels que le Popock Tsaghkadzor ont une offre qui démarre à 30 € et même moins lorsque la réservation est effectuée en direct auprès de l’hôtel.
L’offre en matière de restauration est variée. L’un des restaurants de qualité les plus populaires est le Caucasian Captive, situé au cœur du bourg. Les restaurants servent des plats locaux et régionaux. Le soir, le Craftsman, situé près du téléphérique, peut être un endroit parfait pour se détendre, goûter des plats méditerranéens, siroter un cocktail et écouter de la musique de jazz en live. Nane Winehouse est un autre restaurant qui vaut la peine d’être visité ; situé dans le centre-ville, il propose une large sélection de vins et de plats. La saison de ski à Tsaghkadzor commence à la mi-décembre et dure jusqu’à fin mars. Les températures diurnes, en hiver, varient entre -2 et -6 degrés. Quand les skieurs expérimentés dévalent les pistes noires, les amateurs, eux, s’amusent sur une piste plus accessible longue de 3 km.
Faire du ski ou du snowboard à Tsaghkadzor reste abordable. Un forfait journalier pour la remontée mécanique coûte 19 €. Les gens peuvent également louer du matériel près de la télécabine ; les skis coûtent environ 10 €, le snowboard environ 13 pour la journée, de 10h à 18h.
Ashotsk
Le village d’Ashotsk, dans la région de Shirak en Arménie, est un paradis pour les fondus de ski. Le climat y est continental et sec. En hiver, il y a de fortes gelées et d’abondantes précipitations. On peut dire qu’Ashotsk est la région la plus enneigée d’Arménie. L’hiver peut durer de 5 à 6 mois. En 2019, avec l’aide de l’Union européenne, un centre de ski de fond pour les professionnels y a été inauguré. La station est ouverte aux skieurs expérimentés comme aux amateurs.
Lernanist
Lernanist, dans la région de Kotayk, est une destination relativement nouvelle pour les vacances d’hiver. Le village est situé à 45 km d’Erevan. C’est un site montagneux qui bénéficie d’une excellente couverture neigeuse durant plusieurs mois. En 2017, grâce à un investissement privé, une piste de ski équipée d’un télésiège de 350 mètres a été construite. À proximité, se trouvent la boutique de location d’équipements sportifs nécessaires et un café. En plus du ski, la station vous offre la possibilité de dévaler les pentes sur des luges gonflables ou en motoneige. Le village de Lernanist compte aussi de nombreux monuments historiques et culturels qui méritent d’être visités.
Jermuk
Jermuk, dans la région de Vayots Dzor, est une autre station thermale réputée, à l’architecture soviétique post-moderne. C’est un lieu à ne pas manquer en Arménie. Elle était considérée comme l’une des destinations populaires du tourisme médical en Union soviétique. Au cours de la dernière décennie, Jermuk s’est transformée en un site d’évasion réputé pour ses sources thermales, ses hôtels de luxe et son architecture post-soviétique. Les pistes de ski s’étendent sur 3 km, ce qui en fait une destination parfaite pour ceux qui souhaitent faire du ski ou du snowboard et profiter de la vue sur les chaînes montagneuses arméniennes.
Aragats pour les pros
Le gouvernement arménien choisit une société russe plutôt qu’une entreprise française pour le projet d’une nouvelle station de sports d’hiver
Aragats attend sa nouvelle station. Aragats est le joyau secret pour tout skieur ou snowboarder professionnel qui aime les balades en pleine nature. Les débutants n’y sont pas les bienvenus, mais cela pourrait changer sous peu. L’année dernière, la Société des Trois-Vallées, une société d’exploitation des remontées mécaniques des domaines skiables, qui gère en France les célèbres stations de Courchevel et de Méribel-Mottaret, entre autres, a proposé de construire une station sur la plus haute montagne d’Arménie. Mais le choix du gouvernement arménien s’est porté sur une autre entreprise soumissionnaire pour ce projet.
Rid LLC, une entreprise appartenant à l’homme d’affaires russo-arménien Ruben Grigoryan, avait également déposé un projet d’investissement pour le même secteur. M. Grigoryan est surtout connu pour sa société de construction Rutsog Invest, qui a supervisé la construction de plusieurs grands complexes multifonctionnels en Russie. Rutsog-Invest a bâti un grand centre d’affaires et une galerie commerciale, Nikolskaya Plaza, près du Kremlin, sur la place St. Lubanskaya à Moscou, le complexe hôtelier Regis Moscow Nikolskaya, le musée arménien de Moscou, les centres multifonctionnels Olympic Plaza 1 et Olympic Plaza 2, etc. Le nom de Grigoryan est apparu dans la presse en 2017, lorsqu’il s’est dit prêt à financer le parti Yerkir Tsirani de Zarouhi Postandjan. Ruben Grigoryan est aujourd’hui l’un des plus grands détracteurs du gouvernement actuel.
Le projet de domaine skiable est devenu une pomme de discorde entre l’Arménie et la France. Selon le site d’information arménien CivilNet, le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères a fait part de son mécontentement quant à la position de la partie arménienne concernant la proposition d’investissement. Selon une source anonyme, les autorités françaises ont mis en avant le sujet de l’autorisation et de la mise en œuvre du projet lors de la première session de la conférence sur la coopération économique franco-arménienne qui s’est tenue le 9 décembre dernier.
Nikolay Sarkisov
C’est Nikolay Sarkisov, un milliardaire russo-arménien, propriétaire d’Aragate Investments qui souhaite prendre en charge le financement de la station de ski. La Société des Trois-Vallées, française, elle, devrait assurer la réalisation du projet. Nikolay Sarkisov est l’ancien consul d’Arménie à Lyon. Il est également un homme d’affaires de premier plan, à la tête d’une fortune estimée à environ 700 millions d’euros. Nikolay Sarkisov et son frère Serguey possèdent l’une des plus grandes compagnies d’assurances russes, Reso. Les Sarkisov figurent sur la liste des familles les plus riches de Russie, avec une fortune totale estimée à plus de 1,5 milliard d’euros.
Aragate Investments a été la première à faire part de son intérêt pour le développement de la station dès 2019 ; elle étudie le secteur et négocie depuis lors. Dans les villes de Byurakan, Ushi et Aparan de la province d’Aragatsotn, l’entreprise prévoyait de créer une station de ski haut de gamme. Celle-ci comprendrait 128 kilomètres de pistes skiables, 30 remontées mécaniques, un centre de formation aux sports d’hiver, un système de production de neige artificielle, des hôtels, des restaurants et d’autres lieux de divertissement. Au total, le coût du projet a été estimé à plus de 260 millions d’euros. La superficie nécessaire au projet est d’environ 5 500 hectares.
Conseil régional de Savoie
Des représentants de la Société des Trois-Vallées, de MDP Consulting et d’ESF Ski Schools se sont récemment rendus en Arménie pour examiner le secteur du mont Aragats. Aragate Investments a signé un protocole d’accord avec le Comité de développement urbain d’Arménie en janvier 2020. Vahagn Vermishyan, l’ex-président du comité, s’est rendu à Courchevel pour en savoir plus sur la station de ski. Le conseil régional de la Savoie est le principal actionnaire de la Société des Trois-Vallées. C’est l’une des raisons pour lesquelles de nombreux organismes gouvernementaux français s’intéressent à ce projet. En mai 2021, le Conseil des sages de la communauté d’Aparan a approuvé le projet soumis par Rid LLC, qui prévoit la création d’un complexe éco-agricole, touristique et de stations de ski sur les pentes du mont Aragats. Ce projet est prévu pour couvrir environ 4 000 hectares et comprendrait 300 fermes, un marché agricole, un réservoir, un téléphérique, des pistes skiables et un hôtel. Pour ce projet, les représentants de Rid LLC ont signé un mémorandum de coopération avec le ministère arménien de l’Administration territoriale et des Infrastructures. Rid LLC prévoit d’investir 175 millions d’euros dans ce projet.
En réalité, le conflit s’est produit car les deux sociétés ont soumis des projets pour la même zone. Le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a dû trancher. Le vice-ministre de l’Économie, Narek Teryan, n’a pas vraiment expliqué pourquoi l’entreprise russe a été préférée à la société française. « Les membres de la commission ont évalué les deux projets d’investissement et, à l’issue de l’évaluation, le projet d’investissement soumis par Rid LLC a reçu un score plus élevé que le projet d’investissement soumis par Aragate Investments CJSC ». Yana Mardiyan, une représentante d’Aragate Investments, a déclaré avoir demandé au ministère de l’Économie de clarifier la décision de la commission interdépartementale, y compris les votes individuels de ceux qui ont choisi de s’exprimer pour ou contre le projet. Les informations demandées ne leur ont toujours pas été communiquées. Le ministère de l’Économie a expliqué que « la commission est habilitée à fournir un avis consultatif, et ne peut pas prendre une décision finale. »
La France s’inquiète
L’absence d’avancement dans le projet mené par Aragate Investments a suscité des inquiétudes en France. La partie française a soulevé cette question pour la première fois lors de la session de travail du Forum économique franco-arménien. Dans la période qui a suivi cette rencontre, elle a été en contact avec les ministères arméniens des Affaires Étrangères et de l’Économie. Ararat Mirzoyan, le ministre des Affaires étrangères, dirigeait lui-même la délégation arménienne lors de la réunion. Selon Serob Bejanyan, chef du département de l’Information et de la Diplomatie publique du ministère des Affaires Étrangères, « le ‘paquet’ présenté à la partie française pour le développement de la coopération économique arméno-française n’incluait pas le projet de construction de la station de ski piloté par Aragate Investments. » D’après lui, le projet n’a même pas été discuté pendant la session. La partie arménienne affirme n’avoir reçu aucune communication de la part du gouvernement français concernant la station de ski. Pascal de Thiersant, directeur de la Société des Trois-Vallées, affirme, quant à lui, le contraire. Il a déclaré à CivilNet que la question a effectivement été discutée lors de la session de travail de la coopération économique franco arménienne. Actuellement, le ministère français des Affaires Étrangères négocie avec le ministère arménien de l’Économie. « C’est le seul véritable projet en Arménie avec la participation d’entreprises françaises bien connues qui peuvent apporter l’excellence française en Arménie », martèle Pascal de Theirsant. Il a également déclaré que l’ancien ambassadeur de France en Arménie, Jonathan Lacôte, a continuellement soutenu le projet et l’a considéré comme « le principal projet d’investissement français en Arménie. » Selon Pascal de Thiersant, la société a consacré plus de 18 mois à l’examen du secteur pour recueillir des données sur l’enneigement, les vents, le climat et les ressources en eau. « Nous avons réalisé l’étude de faisabilité dans le secteur, y compris les estimations pour les skieurs débutants, intermédiaires et professionnels et pour d’autres activités sportives. Les autorités arméniennes, notamment le comité de développement urbain, le ministère de l’Économie, le comité du cadastre et l’Administration régionale d’Aragatsotn, sont au courant de tous ces travaux », a-t-il rappelé. Selon M. de Thiersant, des négociations sont toujours en cours avec le gouvernement arménien.
Ani Mejlumyan
Traduit de l’anglais par H.Kéchichian