Un roman de Lionel Shriver
Tueur-né ?
Inspiré par la tuerie de Colombine et d’autres massacres commis par des collégiens, le septième livre de Lionel Shriver est devenu en quelques semaines un phénomène underground aux Etats-Unis. « Cet ouvrage a autorisé les femmes à ressentir des choses qui leur étaient interdites », a déclaré l’écrivain Pearson Marx. « Il faut qu’on parle de Kevin », lauréat de l’Orange Prize 2005, n’est en réalité ni un brûlot féministe, comme on a pu l’écrire là-bas, ni un document sur les enfants-tueurs, mais tout simplement un grand roman psychologique.
Dans une suite de lettres adressées à son mari Franklin, Eva Khatchadourian se penche sur son passé après la tragédie qu’ils viennent de connaître : la veille de ses 16 ans, leur fils Kevin a tué froidement sept de ses camarades de lycée et deux adultes.
Dans la prison où il est enfermé, l’adolescent, devenu une sorte de caïd, semble n’éprouver aucun remords. Eva a-elle engendré un monstre ou porte-t-elle sa part de responsabilité dans l’acte dément de son fils ?
Fille d’immigrés arméniens devenue riche chef d’entreprise, cette femme brisée revit la période d’insouciance de son jeune couple, dans les années 1980. Elle repense aux tergiversations qui ont précédé sa grossesse. Finalement, « l’heureux événement » a marqué le début d’un long calvaire, une guerre d’usure entre un enfant captateur et une mère dépossédée de sa liberté. Son mari Franklin, quant à lui, a endossé le rôle du père américain sympa et cool. Face aux exactions commises par son démon de fils, il a choisi de fermer les yeux.
Lionel Shriver – c’est une femme – a mis du temps à se faire un nom. Après une série de publications confidentielles, la romancière frappe fort. On n’est pas prêt d’oublier ce récit intense, dénué de sensiblerie et captivant comme un thriller. On peut y lire une charge contre un certain idéal éducatif américain. Il s’avère surtout une méditation intemporelle et sans tabou sur les ambivalences de la maternité.
Il faut qu’on parle de Kevin», par Lionel Shriver, trad. de l’américain par Françoise Cartano, Belfond, 486 p., 22 euros.
Claire Julliard
Le Nouvel Observateur – 2195 – 30/11/2006