Alors que l’Azerbaïdjan procédait à la libération de quinze prisonniers de guerre arméniens, sur la centaine qu’elle détient toujours depuis la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu arméno-russo-azéri du 9 novembre 2020, un tribunal de Bakou prononçait un verdict qui se voulait exemplaire à l’encontre d’un autre de ces prisonniers arméniens, Viken Euljekian, qui doit cette sentence très sévère autant qu’injuste à sa citoyenneté libanaise. Si l’Azerbaïdjan tient tous les prisonniers arméniens, qu’ils soient de guerre ou civils, pour des « terroristes », du moins ceux dont il reconnaît l’existence, et qu’il semble prêt à échanger contre certaines informations, comme les emplacements de quelque 100 000 mines anti-personnel laissées par les forces arméniennes dans la région d’Aghdam qu’elles contrôlaient jusqu’à l’automne dernier, comme ce fut le cas pour les 15 prisonniers libérés dernièrement, il réserve un traitement particulier à cet Arméno-libanais, dont le seul tort est de s’être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, soit à Shoushi lors de la prise de cette ville de l’Artsakh par les forces azéries le 9 novembre 2020. Si le cas des autres prisonniers arméniens, auxquels l’Azerbaïdjan récuse le statut de prisonniers de guerre, car capturés selon lui après l’accord de cessez-le-feu dont les termes prévoient notamment la libération des prisonniers, est toujours à l’étude et sujet à négociations, la justice azérie s’est voulue ici expéditive. Elle accuse V.Euljekjian d’avoir été recruté par l’ Arménie pour combattre l’armée azérie dans les rangs de l’armée du Karabagh, et de s’être livré donc à des activités « terroristes » contre l’Etat azerbaïdjanais.
La manœuvre est grossière : il s’agit pour Bakou d’utiliser ce prisonnier arménien « atypique » pour répondre aux accusations, notamment de la France et de la Russie, qui avaient affirmé durant la guerre du Karabagh, que l’Azerbaïdjan utilisait des mercenaires djihadistes que son allié turc était allé recruter dans les zones sous son contrôle en Syrie et en Libye pour les envoyer combattre les Arméniens du Karabagh. Les preuves ne manquaient pas, et le procès à Erevan il y a quelques semaines de deux mercenaires syriens capturés par les forces arméniennes et condamnés à de lourdes peines donnait plus de poids à ces accusations. Mais l’Azerbaïdjan, mettant à profit les tentations de la communauté internationale de renvoyer dos à dos les belligérants arméniens et azéris, a donc choisi de retourner l’accusation contre l’Arménie, avec ce procès censé prouver que l’armée arménienne aurait eu elle aussi recours à des mercenaires étrangers. La manouevre ne dupera on l’espère, personne : quand bien même les allégations relatives à la présence d’Arméniens diasporiques dans les rangs de l’armée arménienne seraient fondées, il serait plus qu’hasardeux, absolument erroné, d’établir quelque parallèle avec ces centaines de combattants à la solde d’Ankara qui ont été recrutés dans une nébuleuse djihadiste qui continue à semer la terreur dans le monde et qui a semé les graines du terrorisme au sud du Caucase ! La justice azérie a peut-être pris elle-même conscience de l’absurdité de cette accusation : « magnanime », elle a condamné l’Arméno-libanais à cinq ans d’emprisonnement, et à purger les 15 autres années de sa peine dans un établissement correctionnel.
La communauté internationale ne devrait pas pour autant relâcher sa pression sur Bakou pour éviter à Viken Euljekian cette incarcération totalement injustifiée. Rappelons qu’il avait été capturé par les forces azéries, avec Maral Najarian, une autre Arménienne du Liban, dans les environs de Shoushi juste après la signarure de l’accord de cessez-le-feu, qui les avait pris de court, comme d’ailleurs l’ensemble des Arméniens. Maral Najarian avait toutefois été libérée en mars, après quatre mois de captivité. L’observateur arménien des droits de l’homme a appelé à différentes occasions l’ attention de l’opinion arménienne et internationale sur le fait que les procès des prisonniers arméniens en Azerbaïdjan constituent des violations manifestes de la législation internationale. “Ces procès contredisent les fondements mêmes de la loi internationale, violent de façon manifeste les droits des prisonniers et des personnes disparues, de leurs familles, et visent à politiser ouvertement des questions humanitaires”, a ainsi déclaré l’ombudsman d’Arménie, Arman Tatoyan.