La Turquie peut pavoiser. « Les relations turco-américaines ont été sauvées d’une grande menace », s’est félicité le chef de la diplomatie turque Ismail Cem dans une déclaration diffusée en pleine nuit à Ankara. Tout c’est passé très vite dans la nuit du 19 au 20 octobre, quelques minutes à peine avant le débat consacré à la résolution. Le Speaker de la Chambre des représentants, Dennis Hastert, venait de retirer de l’ordre du jour l’examen d’une résolution qui reconnaissait pour la première fois de manière solennelle le génocide arménien de 1915, et ce, à la demande expresse de président Clinton, motivé par des considérations diplomatiques et.. personnelles contre James Rogan, l’un des parrains de la résolution et ancien accusateur de Bill Clinton dans l’affaire Lewinski.
En un mot, il a voulu sa peau en l’empêchant d’être réélu dans une circonscription à forte population arménienne. Le locataire de la Maison Blanche a joué sur la situation actuellement extrêmement tendue au Proche-Orient et les incertitudes dans le Caucase, où les Américains tentent de prendre pied, pour obtenir ce retrait, soulignant l’importance pour les Etats-Unis de conserver un allié fiable dans la région.
Ce retrait « montre la force de la Turquie et la valeur que les Etats-Unis lui accordent », a commenté devant la presse le Premier ministre Bulent Ecevit, précisant qu’il avait envoyé une lettre de remerciement au président Clinton. C’est le moins qu’il pouvait faire. Pour sa part, la presse turque, dans un moment d’hystérie rarement atteint, si ce n’est peut-être après l’arrestation d’Ocalan, célébrait une « victoire » pour Ankara, après un mois de tensions et d’incertitudes sur l’adoption de la résolution. « Merci Clinton », lançait sobrement le journal islamiste modéré Zaman. « Le geste d’Ankara –renforcer les relations avec l’Irak- a porté ses fruits », estimait le quotidien xénophobe à grand tirage Hurriyet.
Furieuse de voir progresser au Congrès la résolution, la Turquie a exercé une pression maximum pour obtenir son retrait. A Erevan, bien sûr, les réactions cachent mal la déception du gouvernement arménien. Celui-ci, toujours aussi modéré et insipide dans ses réactions, a « regretté » le retrait de la résolution, tout en appelant son voisin turc au dialogue sur cette question. Mais dialoguer à quel sujet ? Réaction toute aussi désabusée de George Radanovich pour qui, la Turquie a une nouvelle fois « bluffé le leader du monde libre ». Réactions indignées dans la camp arménien. Pour Rose Vartanian, directrice exécutive de l’Armenian Assembly of America, Clinton et Hastert ont cédé aux pressions turques dont les menaces « ont eu l’effet désiré ».
Mais la Turquie n’est pas délivrée de l’épée de Damoclès: si le retrait de la résolution annule ses chances d’un passage à court terme à la Chambre, elle ne les écarte pas définitivement. Ankara y voit le résultat d’un lobbying du gouvernement arménien, avec lequel elle n’entretient pas de relations diplomatiques notamment pour cette raison.
« Malheureusement, l’Arménie et les Arméniens en dehors de l’Arménie ont une faiblesse concernant leur propre identité nationale et ils essaient de construire cette identité à partir d’un événement malheureux de l’Histoire. Ils devraient arrêter » (sic), a souligné M. Cem sur NTV, pseudo chaîne d’information en continu. Incroyable déclaration d’un homme ignorant, peu au fait de l’art, de la culture et de l’histoire, qui refuse de voir que le pays dans lequel il vivait avait été le notre avant d’être le sien.
