Une interview de Tim LLewellyn par Vahram Emiyan

Se Propager
arton56344

Traduction Louise Kiffer

21 juin 2007

Vahram Emiyan – Quand avez-vous décidé d’être reporter et pourquoi ?

Tim Llewellyn – J’ai décidé d’être reporter à l’âge de 18 ans, après avoir quitté l’école, surtout parce que je ne pouvais rien faire d’autre, et j’avais toujours eu envie d’écrire en anglais, et de travailler dans le journalisme. Aussi, quand j’ai quitté l’école, j’ai décidé de travailler dans le journal local, et c’est ainsi que j’ai débuté. Puis j’ai voyagé au Canada, j’y ai travaillé dans des journaux. Je suis retourné en Angleterre, où j’ai travaillé dans une agence d’informations. Ensuite j’ai été à Fleet Street et j’ai travaillé dans des quotidiens, au Daily Sketch, The Sunday Times, The Times of London. En 1971, j’ai fait partie du personnel étranger de la BBC et je suis devenu correspondant. En fait, ma première affectation a été en 1974 au Liban, juste avant la guerre civile. Puis en 1976, j’ai été correspondant pour le Moyen Orient. Je suis resté plus ou moins spécialiste pour la BBC du Moyen Orient. Cela faisait partie de mes fonctions en tant que correspondant au Moyen Orient. J’étais basé au Liban, et pendant les années 80 à Chypre quand il y a eu des enlèvements d’Occidentaux, et c’était assez difficile d’y vivre. Je suis resté à la BBC, à la fois comme membre du personnel et sous contrat jusqu’en 2000. Mais j’ai plus ou moins abandonné le journalisme et décidé d’écrire des livres. Le journalisme est une occupation pour un jeune homme.

V. Emiyan – En tant que correspondant de la BBC, quels secteurs de la vie libanaise avez-vous couverts ?

T. Llewellyn – Principalement la politique. J’y ai été depuis le commencement des troubles en 1974. Mais ensuite en 1975, je suis rentré. A l’époque de mon retour, la guerre civile avait déjà commencé. J’y étais donc le plus souvent, et nous étions inquiets de ce qui se passait politiquement, et de la façon dont la guerre se déroulait. Naturellement, en tant que correspondant du Moyen Orient, je devais couvrir d’autres secteurs, comme la révolution iranienne, les événements en Irak et en Palestine. J’ai donc évolué dans la région un bon moment. Mais le Liban à cette époque était notre principal souci, surtout au point de vue politique.

V. Emiyan – Au cours de cette période, quel événement avez-vous considéré comme le plus important ?

T. Llewellyn – En termes de politique libanaise: Sabra et Chatila.

V. Emiyan – Et en termes de politique régionale ?

T. Llewellyn – La révolution islamique en Iran a été probablement la plus importante au point de vue de l’effet à long terme dans la région. Question politique libanaise, il y eu plusieurs choses. Mais Sabra et Chatila me frappèrent, car je fus l’un des premiers reporters à les découvrir, et j’ai beaucoup parlé des relations d’Israël avec ses voisins, au sujet de ce qui se passait au Liban, et de la situation difficile des Palestiniens. Mais je pense que parmi toutes les histoires au sujet du Moyen Orient, il y en a de grandes, par exemple la Palestine naturellement, c’est une grosse histoire. Mais il y en a une à mon avis, la révolution iranienne, qui est la plus mémorable et la plus significative.

V. Emiyan – Quand vous regardez les médias maintenant, et les comparez à celles du passé, pouvez-vous dire que la situation s’est améliorée ?

T. Llewellyn – Je ne sais pas. Cela a changé bien sûr, à cause des nouvelles qui arrivent toutes les 24 heures. Je pense que c’est très difficile maintenant pour des correspondants et des reporters, de réfléchir, d’enquêter sur leurs sujets, et de porter un jugement avant d’envoyer leur reportage. Car les nouvelles instantanées, l’Internet, et les informations de 24 heures, semblent dire que tout se passe instantanément. Il y a un tas de célébrités, un tas de sensations, et un tas de réflexions immédiates. Les gens n’ont pas le temps de réfléchir, et je pense que regarder les infos, écouter les nouvelles, même à la BBC, est très superficiel. Ce n’est pas mauvais. On a un vaste tableau de ce qui se passe.
Mais ça devient de plus en plus superficiel, creux et répétitif, au lieu d’être approfondi. Certes, il y a de bons programmes et documentaires, mais il y en a moins qu’avant. Je trouve que les médias sont moins instructifs aujourd’hui. On cherche surtout le sensationnel et la rapidité de l’information, et les gens sont obligés de chercher d’autres sources. Il faut aller sur Internet, chercher ses propres sources , et les trouver. Tout a énormément changé. Cela ne me plaît pas particulièrement, mais il n’y a pas grand chose à faire à ce sujet.

V. Emiyan – Pensez-vous que le reportage reflète généralement les événements d’une façon objective, ou est-ce simplement un reflet de la politique du gouvernement ?

T. Llewellyn – Cela me gêne de dire cela en termes de journalisme occidental, je suis triste de le dire, car les gens ont moins le temps de penser et de parler aux autres sur place, par exemple ici au Moyen Orient, de nombreux reportages sont très influencés non seulement par ce que le gouvernement dit, mais par des idées superficielles et momentanées. On lit les dépêches des agences, on les copie et on les répète, sans réfléchir à la signification des mots.

Je ne pense pas qu’il y ait un enseignement original, et il n’y a plus de profonde réflexion, par exemple au sujet de ce qui se passe en Palestine. Qu’est-ce que cela veut dire en réalité ? Pourquoi est-ce arrivé ainsi ? Mais les gens ont toutes sortes de clichés sur les rivalités, les factions, et les guerres entre ces factions.
Les gens n’ont pas le temps d’y réfléchir et je pense que c’est cela qui a changé.

Le gouvernement a une énorme influence. Il est beaucoup plus habile maintenant qu’il l’était quand il fournissait des informations. Il réussit à convaincre des organisations qui nous font penser d’une certaine façon, et qui répandent leurs idées à travers le monde d’une manière beaucoup plus subtile. C’est pourquoi je pense qu’il y a moins d’indépendance d’information maintenant. C’est ainsi que cela a changé. En fait, nous sommes devenus plus américanisés. La manière américaine de faire les choses a vraiment pris le dessus en Occident, que ce soit en France, en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Nous sommes tous devenus américains de la pire façon.

V. Emiyan – Quand vous voyez les événements récents au Moyen Orient, qu’est-ce qui vous semble le plus intéressant ?

T. Llewellyn – Je ne sais pas si le mot « intéressant » est le mot qui convient.

Manifestement la situation en Irak est la plus désastreuse, et affecte toute la région de plusieurs façons, non seulement en termes de tragédie de l’Irak, mais par l’impact sur toute la région et l’extension du désaccord entre les Chiites et les Sunnites, l’énervement du Golfe, les sentiments relatifs à l’intervention américaine dans la région, assez justifiés, la grande rivalité entre l’Iran et l’U.S. qui augmente de plus en plus et nous affecte tous, même au Liban. Les Américains se sont impliqués en Irak pensant qu’ils pouvaient prendre la relève, alors qu’en fait ils ont rendu possible à l’Iran et à la Syrie d’augmenter leur pouvoir et leur influence là-bas.. Ils ont donc produit l’effet inverse. Sans parler des milliers de tués, ils ont réellement endommagé leurs propres intérêts.

Je pense que c’est cela la grand affaire maintenant, à cause de ses ramifications partout, au Liban, en Palestine et à travers le monde.

V. Emiyan – Dans les années 1950, l’Egypte était le leader du monde arabe. Après le sommet arabe de Ryad on a l’impression que l’Arabie Saoudite essaie d’assumer ce rôle. Pensez-vous qu’elle puisse réussir ?

T. Llewellyn – Evidemment, il est très important que l’Arabie Saoudite puisse s’imposer dans les intérêts arabes. Je crois que l’accord entre l’Arabie Saoudite et l’Iran au sujet de la Palestine était une bonne idée et un bon début. Même ici au Liban, on peut voir que peut-être l’initiative Arabie Saoudite/.Iran pourrait être de quelque utilité. Mais allez savoir si l’Arabie Saoudite aura le courage et le désir de s’investir pour être un leader arabe indépendant de toutes influences et parler de la part de tous les Arabes ; c’est là une très grande question. Nasser n’avait pas peur, il se peut qu’il ait commis quelques erreurs, mais c’était un homme fort, qui fascinait son propre peuple et parlait à l’imagination dans tout le Moyen Orient. Il avait beaucoup de charisme et était même admiré en Occident, non pas par les gouvernements mais par le peuple, car il parlait pour la totalité des Arabes. Je ne vois pas pour le moment un leader saoudite qui ait cette sorte d’habileté, d charisme ou de force. Mais peut-être y en -t-il un qui attend son heure.

V. Emiyan – Aux environs de la décennie précédente, plus de vingt pays ont reconnu le génocide arménien. Comment voyez-vous l’évolution de ce processus ? Pensez-vous que la Turquie va éventuellement reconnaître le génocide arménien ?

T. Llewellyn – Je ne sais pas. Les Turcs sont très obstinés à ce sujet. Je pense que c’est devenu pour eux une question d’amour-propre. Ils se sentent assaillis, et cela ne leur plaît pas. Manifestement, cela va être un gros test pour la Turquie. Si elle veut entrer dans l’UE elle devra changer son attitude sur un certain nombre de sujets, et je soupçonne que le génocide arménien va être l’un d’entre eux. Mais nous parlons de la fierté et de l’identité d’une nation. Et de quelle Turquie parlons-nous ? La Turquie des généraux ? La Turquie des gens ordinaires ? Les Turcs d’Istanbul ? La classe moyenne ? Il est évident que c’est un pays divisé et très compliqué. Mais il me semble, d’après ce que j’ai vu, que la question du génocide arménien et de sa reconnaissance a fait un énorme progrès au cours de ces deux dernières années, en France et aux USA où il y a eu une résistance. On peut donc espérer. Je ne vois pas comment on eut continuer à nier cela, je pense que les preuves historiques sont tout à fait évidentes. Je m’étonne toujours que quiconque puisse nier cela sans être ridiculisé comme une sorte de paria. Pour l’Holocauste juif, le simple fait de suggérer que le nombre de victimes puisse être faux peut vous conduire en prison. C’est complètement inéquitable.

V. Emiyan – J’ai appris que vous écriviez un livre. Quels secteurs de la vie au Liban et quelle période ce livre va-t-il couvrir ?

T. Llewellyn – En gros, c’est un livre sur le Liban d’aujourd’hui. Une série de photos, si l’on veut, de gens, de lieux et d’événements, d’après lesquels on espère développer une histoire. Et à travers cela atteindre le passé du Liban et essayer d’expliquer aux gens autres que les lecteurs anglophones, qui ne savent pas grand chose du Liban mais pourraient être intéressés par le Liban et le Moyen Orient, comment les Libanais en sont arrivés à la situation actuelle, pourquoi se sont-ils constitués de cette façon, et les faits historiques du Liban qui en fait ne changent pas tellement pendant des années.. Ce n’est pas la première fois que les Libanais sont ballottés entre les puissances internationales qui utilisent leurs différentes factions pour jouer les unes contre les autres. Il se peut que ce soit pire maintenant, mais ce n’est pas nouveau pour les Libanais. Le livre va essayer de mettre le Liban moderne dans son propre contexte, comment le lieu s’est développé et combien le pays est devenu compliqué. Et va donner quelque impression, arôme et parfum du Liban. C’est un grand pays, et c’est terriblement tragique qu’il doive traverser ces bouleversements, de façon apparemment régulière, mais d’autre part ce ne serait pas le Liban sans cela.

V. Emiyan – Est-ce que votre livre va parler de la communauté arménienne ?

T. Llewellyn – Eh bien, j’espère aller à Anjar. Car c’est là que l’une de mes photos va me permettre d’entrer dans la communauté arménienne du Liban, et essayer de jeter un coup d’œil sur l’histoire d’Anjar, pourquoi c’est un secteur arménien et pourquoi il l’est devenu. Toutes ces choses prennent place dans le puzzle du Liban.

Source: http://www.aztagdaily.com/interviews/Tim%20Llewllyn%20.htm

raffi
Author: raffi

La rédaction vous conseille

A lire aussi

Sous la Présidence d’Honneur de M. Nicolas DARAGON, Maire de Valence, Président de l’Agglomération, Vice-Président de La Région, L’UGAB Valence-Agglomération

Le ministère des Affaires étrangères de l’Azerbaïdjan a de nouveau accusé l’Arménie de ne pas avoir fourni de cartes des

Lors de la séance plénière de l’Assemblée nationale de la semaine prochaine, l’opposition parlementaire, les factions « Hayastan » (Arménie)»

a découvrir

Se connecter

S’inscrire

Réinitialiser le mot de passe

Veuillez saisir votre identifiant ou votre adresse e-mail. Un lien permettant de créer un nouveau mot de passe vous sera envoyé par e-mail.

Retour en haut