Une rencontre inspirante

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La cheffe d’orchestre d’origine arménienne par sa mère et italienne par son père, sera en Bourgogne, le 23 juillet prochain. Au cœur d’un magnifique écrin dans l’église de Quarré-les-Tombes, nichée dans le département de l’Yonne, elle dirigera Werther, chef-d’œuvre de Jules Massenet. Une artiste charismatique dont la sensibilité s’accorde merveilleusement avec celle du brillant compositeur.

Cela aurait pu être un dimanche comme les autres si je n’avais rencontré la talentueuse cheffe d’orchestre, Alexandra Cravero. En l’attendant dans cette brasserie parisienne qui renoue avec les touristes, baskets aux pieds et smartphones à la main, je pense à cette musicienne aux multiples talents qui me fascine avec ses gestes précis, dansants et puissants. Comme cela doit être vertigineux de faire face à tous ces musiciens, à cette énorme énergie, à cette masse de vibrations qui attend d’être guidée, vers le meilleur. À force de travail et de répétitions, diriger, transmettre, donner le rythme et partager avec l’orchestre, dans une parfaite cohésion, sa propre vision de l’œuvre. Je parcours mes questions et soudain j’ai des remords à lui donner rendez-vous après une répétition de près de cinq heures de La Dame Blanche de François-Adrien Boieldieu, un des plus grands succès du XIXe siècle français. J’aurai dû lui proposer un autre moment, plus calme. La voilà, elle sort de son taxi et me fait signe. Elle est rayonnante.

Nouvelles d’Arménie Magazine : Vous êtes née à Marseille, vous chantez, vous commencez dès six ans votre formation musicale à l’alto, d’où vient cette vocation ?
Alexandra Cravero : Je suis née dans une famille d’artistes ! Ma mère chantait et mon père était saxophoniste et compositeur. Avec mon frère, nous avons baigné dans cet univers, lui au piano, puis au violon et moi à l’alto et au chant. On a passé tous les deux notre enfance sur scène ! Quand j’ai dû choisir un instrument, mon choix de l’alto s’est fait un peu par hasard car il n’y avait plus de place en classe de violon ! Jusqu’à l’âge de quinze ans, je ne savais pas qu’une femme pouvait être chef d’orchestre, à cette époque, on n’avait pas d’exemple. Au Conservatoire de Saint-Maur-des-Fossés, le directeur, Jean-Pierre Ballon, m’a fait bouger les bras et donné quelques rudiments de direction en parallèle de mes études d’alto. Puis tout s’est enchaîné. Et c’est à l’occasion d’une Master Class de la cheffe Claire Levacher que j’ai choisi de me perfectionner pour en faire mon métier. Après avoir obtenu le Premier Prix d’alto au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon, j’ai intégré la classe de Zsolt Nagy et obtenu un Master en direction d’orchestre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Patrick Davin qui faisait partie du jury m’a demandé de l’assister les années suivantes sur plusieurs productions lyriques.

NAM : Vous parlez d’exemples, mais avec 4% de femmes cheffes d’orchestre en France et 6% en Europe, ce n’est pas facile de parler de transmission et de modèles. Pourquoi les femmes sont-elles si peu présentes ?
A. C. : Même si le pourcentage est infime, la situation a évolué et on voit quelques femmes directrices musicales dans le monde, mais encore trop rarement…C’est aux institutions de travailler pour féminiser les directions d’orchestre et trouver des solutions pour lutter contre le machisme ancré depuis des générations. Notre travail, à nous, femmes cheffes d’orchestre, c’est de donner l’exemple, servir de modèle pour transmettre et susciter des vocations.

NAM : Mais encore faut-il avoir la place et l’occasion de le faire !
A. C. : Pour ma part, j’ai dirigé la première fois à l’âge de quinze ans grâce à Jean-Pierre Ballon mais j’ai dû attendre mes vingt-cinq ans pour rencontrer une femme cheffe, Claire Levacher, en master class à Lyon et c’est seulement là que je me suis dit qu’il était possible pour une femme d’en faire son métier ! Et puis, être chef d’orchestre, c’est une position d’autorité par excellence, de domination visible, qu’il est beaucoup plus difficile pour l’orgueil masculin de céder à des femmes. Il est certain que les préjugés et les stéréotypes les plus archaïques ont la dent dure dans notre métier.

NAM : Faut-il forcément jouer d’un instrument quand on est chef d’orchestre ?
A. C. : Certains jouent d’un instrument voire plusieurs ou chantent comme le fait aujourd’hui Barbara Hannigan lors de certaines occasions. Ce qui est essentiel c’est d’avoir une connaissance de tous les instruments, d’en maîtriser toutes les clés car vous allez les diriger. Votre geste a un impact immédiat sur le son, il est la transmission de ce que vous avez dans la tête alors Il faut pouvoir demander des choses réalistes à vos musiciens.

NAM : Quelles sont les qualités pour diriger ?
A. C. : Là aussi, le métier a beaucoup changé. On n’a plus besoin d’avoir peur du Maestro comme c’était le cas il y a des décennies. On ne va pas chercher l’harmonie et la perfection avec la force ou la contrainte. Il faut savoir aller chercher l’orchestre autrement, par l’inspiration musicale, par la vision artistique, par un certain charisme qui va amener, dialoguer et non écraser ou brimer ses musiciens. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il faut de la fermeté, au final c’est le chef d’orchestre qui décide et aussi de la souplesse car on ne dirige plus comme avant. Il faut emporter ses musiciens et les faire adhérer à votre vision de l’œuvre et non les forcer ! Ils ont besoin d’une part de liberté…ce sont eux les interprètes.

NAM : L’opéra garde malheureusement une image trop élitiste. Y-a-t-il dans votre travail la volonté de mettre l’opéra à la portée de tous ?
A. C. : En tout cas l’envie de le rendre plus populaire et prolonger ainsi une belle tradition. J’ai créé la Compagnie « Du bout des doigts » composée de dix musiciens et six chanteurs afin de démocratiser la musique, d’aller vers des publics qui n’ont pas l’habitude de se rendre dans des salles de concert. On joue au plus près d’eux, dans des lieux parfois improbables et toujours pour redonner du sens à la musique. On invite le public à participer à des ateliers de chant en amont du concert, on les familiarise à l’œuvre pour recréer une authenticité, une proximité et les associer à nos émotions. On donne et on reçoit beaucoup grâce à eux ! De cette façon, on est face à un autre public qui fait partie intégrante de notre spectacle, comme si on revenait à l’opéra populaire ! On est tous ensemble – public, musiciens et chanteurs – à mêler nos voix et à vibrer à l’unisson.

NAM : Vous êtes passionnée par la voix et votre répertoire de prédilection se rapproche du lyrique et de l’opéra. Quelles sont vos œuvres préférées ?
A. C. : J’aime les opéras romantiques, mais les œuvres qui vibrent en moi sont Tchaïkovski, Poulenc, Massenet, Puccini, Moussorgski et Khatchatourian. J’aime jouer les mélodies slaves et arméniennes. Elles résonnent particulièrement en moi.

NAM : Le berceau de votre famille se trouve dans la Cité phocéenne depuis plusieurs générations. Votre mère, dont le nom est « Hovaguimian », est-elle née également à Marseille ?
A. C. : Ma mère a vu le jour à Erevan dans les années 50, elle y est restée jusqu’à l’âge de dix ans environ. Enfants, elle nous racontait comment mes grands-parents avaient été incités par la propagande de l’Arménie soviétique à retourner au pays dans le cadre du rapatriement des Arméniens de la diaspora vers la RSSA organisé par Staline. Le manque de liberté et les difficultés économiques à partir des années 1960 poussèrent notre famille à revenir en France, à Marseille, plus de dix années après l’avoir quittée !

NAM : Qu’y-a-t-il « d’Arménien » lorsque vous êtes sur scène ?
A. C. : C’est dans ma musique et mes choix musicaux que je retrouve sûrement mes origines ! C’est lié à l’intime, c’est comme un langage. Quand je dirige la Dame de Pique de Tchaïkovski ou le concerto pour violon de Khatchatourian, l’interprétation, la rythmique de l’œuvre me transportent et touchent mon âme. Il y a quelques années, j’ai fait partie à Metz du projet Démos développé par la Philharmonie de Paris. Ce dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale visait à offrir à des enfants issus de quartiers défavorisés l’occasion d’apprendre à jouer d’un instrument. Lors d’une des représentations le morceau choisi était une mélodie du Père Komitas et un professionnel est venu présenter son instrument : le Doudouk. C’était merveilleux et très émouvant pour moi, comme des retrouvailles et un moment suspendu dans le temps.

NAM : Visiblement le talent est inscrit dans les gênes chez les Cravero ! Votre frère excelle également à l’alto, au violon, au piano et à la batterie, on le retrouve aux côtés de Didier Lockwood, de Thomas Fersen ou encore de Sanseverino, vous êtes un orchestre à vous deux ! Quel héritage musical vous ont transmis vos parents ?
A. C. : Mes parents sont tous deux musiciens. Ma mère chante, mon père est compositeur de musiques de films et saxophoniste. Ils nous ont jeté dans la marmite de la musique dès l’âge de six ans et pour nous, c’était une évidence. J’ai appris le métier de la scène auprès d’eux. Je me souviens qu’à quinze ans, nous étions sur scène mes parents, mon frère et moi pour animer diverses soirées. Nous avions créé un « show » tzigane : ma mère chantait en russe, je l’accompagnais au violon au milieu du public, mon frère et mon père nous accompagnaient sur scène. C’étaient nos moments familiaux à nous ! Ils m’ont transmis le bonheur de rendre le public heureux. Et je poursuis aujourd’hui ma quête du bonheur à travers mes productions !

NAM : Vous arrive-t-il de jouer avec votre frère ?
AA. C. : Même si je me suis orientée vers le classique et mon frère vers le jazz, il nous arrive de nous retrouver sur scène tous les deux, plus rarement mais plus intensément. J’ai dirigé la version symphonique du concert de Dick Annegarn que mon frère a orchestré. C’est toujours une chance inouïe que de se réunir à travers nos deux mondes musicaux.

NAM : Vous faites partie de la petite vingtaine de femmes dans le monde à diriger des musiciens, quels sont vos prochains défis ?
A. C. : Continuer à populariser l’opéra, faire en sorte de jouer auprès de non-initiés et susciter des vocations. Je voudrais également diriger des œuvres de Khatchatourian en Arménie, aller à la rencontre du public et comprendre toutes ces émotions qui me traversent.

Propos recueillis par
Corinne Zarzavatdjian

• Élixir d’amour de Gaetano Donizetti
Les 24 et 25 septembre 2022 à
l’Élispace de Beauvais
(Oise)
• Buster Keaton,
Orchestre National des
Pays de la Loire
Le 18 octobre 2022 au
Centre des Congrès d’Angers
et les 20 et 21 octobre 2022 au théâtre Graslin à Nantes
• Festival d’opérette et de comédie musicale,
Orchestre Philharmonique de Nice
Le 13 novembre 2022 à l’Opéra de Nice

La rédaction
Author: La rédaction

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