Ursula Gauthier : Une question encore taboue

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« Une question encore taboue en Turquie »

NOUVELOBS.COM | 12.10.2007 | 11:59

Comment expliquer ce vote soudain de la commission des affaires étrangères du Congrès américain pour la reconnaissance du génocide arménien ?

– Ce vote ne tombe pas du ciel. Cette même commission a déjà voté un texte analogue en 2001. Mais à l’époque, c’est le président démocrate, Bill Clinton, qui a convaincu le porte-parole du Congrès, alors républicain, de bloquer le processus de ratification pour ne pas blesser les Turcs. Aujourd’hui, c’est donc l’inverse qui se produit : les démocrates sont majoritaires et veulent la reconnaissance du génocide arménien. Et c’est Bush qui essaie de convaincre la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, de bloquer la ratification de ce texte reconnaissant que les événements de 1915 sont un « génocide arménien ». Nancy Pelosi faisant partie depuis des années de « Caucus », la campagne pour la reconnaissance du génocide, on s’attendait depuis un moment à ce que cette question arrive sur le tapis au Congrès. Et Bush risque d’avoir bien du mal à la stopper. Il est donc fort possible que la résolution, qui doit maintenant être ratifiée par la Chambre des Représentants, passe. C’est moins sûr pour le Sénat, mais si elle est ratifiée par la Chambre, ce serait déjà une remarquable avancée.

Ce texte arrive à un moment où la Turquie n’est plus considérée comme un allié totalement fiable, à ménager à tout prix. D’autant qu’Ankara veut intervenir unilatéralement dans le Nord de l’Irak pour déloger les membres du PKK qui y ont trouvé refuge, ce qui est loin de plaire aux Américains. Toutefois les démocrates tentent de ruser : ils veulent faire passer en même temps une deuxième résolution réaffirmant l’amitié turco-américaine.

Les démocrates ont-ils pu être influencés dans ce choix de voter pour la reconnaissance du génocide ?

– Avant que le Congrès ne s’empare de la question, l’association internationale des plus grands chercheurs travaillant sur la Shoah et les autres génocides, ce qu’on appelle les « Holocaust and genocide studies », a écrit récemment à la commission pour lui demander de voter cette résolution, notamment en expliquant que les Etats-Unis ne pouvaient pas ne pas reconnaître ce génocide comme une vérité historique. D’autre part, il y a quelques semaines, l’un des directeurs régionaux de la Ligue anti-diffamation (ADL) américaine qui lutte contre l’antisémitisme et toutes les sortes de racisme a été viré par son président pour avoir employé l’expression de « génocide arménien ». Cela a déclenché un énorme scandale et des villes se sont retirées de l’ADL pendant que nombreuses organisations juives déclaraient reconnaître le génocide arménien. Résultat, le président de l’ADL s’est excusé et a réembauché son directeur régional. Il faut ajouter que la communauté arménienne aux Etats-Unis a retenu la leçon de la communauté juive : elle s’est constituée en lobby et a fait campagne active pour la reconnaissance du génocide.

Pourquoi la Turquie réagit-elle si violemment à cette résolution américaine ?

– Les autorités turques n’ont guère le choix. Car au niveau des déclarations publiques, la question du génocide arménien est encore extrêmement taboue. Même si, au sein de la société, nombreux sont les Turcs qui savent que quelque chose d’extrêmement grave s’est passé en 1915, que les Arméniens ont été décimés et les survivants forcés de partir. La société bouge peu à peu : en réponse à l’assassinat du journaliste d’origine arménienne Hrant Dink en janvier dernier, 200 000 Stambouliotes avaient manifesté en scandant « nous sommes tous des Arméniens », ce qui est loin d’être anodin dans une société ou le qualificatif « arménien » est encore une insulte. Mais si la société est moins figée qu’on ne le croit, le pouvoir doit tenir compte du fait que la grande majorité des Turcs ont été maintenus pendant près d’un siècle dans une fiction négationniste. Pour le grand éditorialiste Mehmet Ali Birand, la Turquie a deux possibilités : soit elle tourne la page en reconnaissant le génocide, soit elle refuse, s’enferme et s’isole du reste du monde. Mais la solution n’est pas facile à trouver pour les autorités (même s’il se dit à Istanbul que les leaders de l’AKP seraient moins à cheval sur cette question que leurs prédécesseurs kémalistes). En 95 ans, elles n’ont fait aucune pédagogie sur le sujet. Reste peut-être comme solution un électrochoc, qui pourrait être cette résolution américaine. Même si les autorités turques ont dépensé – et vont encore dépenser – des millions de dollars en lobbying pour empêcher les Américains de ratifier ce texte.

Propos recueillis par Sarah Halifa-Legrand

(le jeudi 11 octobre 2007)

raffi
Author: raffi

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