Le XVIIe Sommet de la Francophonie aura pour thème le « Vivre ensemble ». Ce pourrait être un sujet bateau, n’étaient ceux chargés de migrants qui font épisodiquement naufrage dans la Méditerranée, venant à chaque fois noircir les pages d’une actualité tragique. L’Arménie, pays sorti miraculé du premier génocide du XXe siècle et toujours confronté à la guerre, ne peut avoir qu’une sensibilité particulière sur cette thématique.
Pour l’explorer, nous avons demandé le concours d’écrivains francophones, à l’aune de ce Sommet qui débute le 11 octobre en Arménie. Voici le témoignage de Pascal Manoukian, journaliste grand reporter et écrivain notamment de Les Échoués ou Ce que tient ta main droite t’appartient.
Nouvelles d’Arménie Magazine : Qu’est-ce que la Francophonie représente pour vous aujourd’hui ? Vous sentez-vous concerné par les enjeux politiques ou diplomatiques liés à la langue française ?
Pascal Manoukian : Je suis toujours très ému lorsqu’à des milliers de kilomètres de Paris, un étranger s’adresse à moi dans ma langue. Cela m’est souvent arrivé au cours de mes reportages. Une fois, au Congo, dans un camp de réfugiés, un vieillard m’a récité le Bateau Ivre en entier et presque sans faute. Il l’avait appris à l’école de son maître, lui-même formé par un instituteur alsacien. Une autre fois, au Cambodge, une survivante du génocide, a endormi sa petite fille devant ma caméra en lui chantant Dodo l’enfant do. Mais je me souviens surtout de cet homme à Saigon, en pleine époque du communisme et de la rééducation. Il avait pris le risque de m’arrêter dans la rue pour me demander pourquoi la France l’avait abandonné ? Je fus incapable de répondre. « Vous savez qui j’étais ? », ajouta-t-il aussitôt. Je croyais avoir en face de moi un ancien ministre ou un consul honoraire. Il avait les larmes aux yeux. « J’étais représentant des slips Éminence pour tout le Sud Vietnam, Monsieur », précisa-t-il dans un français impeccable. La francophonie est une richesse inestimable, malheureusement comme toutes les richesses inestimables nous la laissons s’épuiser.
NAM : Le vivre ensemble est le thème du prochain sommet de la Francophonie. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
P. M . : Belges, Canadiens, Haïtiens, Sénégalais, Tunisiens, Ivoiriens, nous sommes une famille , une communauté. Nous pensons, nous rêvons, nous imaginons nos vies avec les mêmes mots. Combien de désespérés embarqués sur des radeaux de misère au large de la Libye, s’encouragent ou rassurent leurs enfants terrorisés en français ? Ceux-là ne devraient avoir à cocher aucune case, à ne remplir aucun dossier. Ils devraient devenir Français par la langue et parce que leur situation les y oblige. Par le droit du verbe, de la conjonction de coordination et de l’adjectif qualificatif. Mille, dix mille, cent mille qu’importe. C’est une occasion unique de donner un sens nouveau à la francophonie. De mettre en œuvre le vivre ensemble, véritablement.
NAM : Vos écrits sont-ils influencés par votre dimension arménienne ? Existe-t-il, selon vous, une littérature arménienne francophone ?
P. M . : Pour l’instant tous mes livres le sont. Ils découlent de cette blessure que m’a transmise ma grand-mère. J’y explore les zones où l’humanité recule. Daesh, les migrants, l’absurdité des mécanismes de la guerre, la violence sociale. Comme moi, il existe des Français d’origine arménienne qui écrivent, mais pas encore je crois de littérature arménienne francophone. Est-ce d’ailleurs nécessaire ?
Propos recueillis par Claire Barbuti
