Zemmour et haine… de soi

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Eté 1996… Le mouvement des sans-papiers livre un combat désespéré contre une droite décomplexée qui, de retour au pouvoir après deux septennats socialistes, s’empare résolument de la thématique de l’immigration, que ses prédécesseurs auraient délaissée, par angélisme ou lâcheté. Les sans-papiers sont expulsés sans ménagement de l’église Saint-Bernard de Paris, à l’indignation du peuple de gauche, qui accuse le pouvoir chiraquien d’avoir pactisé avec le diable lepéniste. Dans un climat sécuritaire exacerbé par la vague d’attentats islamistes de 1994-1995, l’arsenal de mesures répressives déployées par la droite, qui culminera avec la loi Debré de 1997, prônant l’« immigration zéro » comme solution aux problèmes d’intégration des immigrés, est dénoncé alors comme l’un des symptômes d’une « lepénisation des esprits ».
L’expression, de Robert Badinter, a fait florès, intégrant le langage courant sans perdre de sa pertinence. Les fondations de la maison Le Pen ont été ébranlées par l’interminable guerre familiale opposant le père fondateur du Front national à sa fille Marine qu’il accuse d’en brader l’héritage ; mais après une passation de pouvoirs mouvementée, la famille Le Pen est toujours aux commandes du parti rebaptisé Rassemblement national (RN) en 2018, d’autant plus menaçant que l’entreprise de normalisation menée par Marine Le Pen a été payante dans les urnes, son fonds de commerce idéologique, convoité par une droite classique qui n’a cessé de courtiser son électorat sans pouvoir enrayer un inexorable déclin, tendant à se banaliser.
Pourtant, l’expression de l’ancien Garde des Sceaux socialiste semblait frappée de désuétude après la parution en octobre 2014 du « Suicide français » d’Eric Zemmour, un succès de librairie qui amplifiait les effets de plateaux et de micro du journaliste politique parti en croisade contre l’immigration. La « lepénisation des esprits » faisait place à une « zemmourisation des esprits », plus insidieuse, exhalant un parfum de souffre pleinement assumé par son inspirateur… L’expression tombe aussitôt dans un domaine public qu’E. Zemmour a investi depuis bien longtemps et où il a pris ses aises, avec les mêmes talents d’histrion que le patriarche du FN dont il serait donc l’avatar, mais qu’il peut d’autant mieux cultiver qu’il appartient lui-même à ce monde honni des media. S’il est à même de flatter l’égo hypertrophié d’E. Zemmour, qui ne pouvait que se réjouir de l’emprise qu’on lui prêtait enfin sur des esprits français qu’il s’est évertué à pénétrer à longueur d’émissions et de parutions, non pas en qualité de simple tribun ou polémiste mais d’idéologue d’une extrême droite relookée, le nouveau concept ne semble pas alors en mesure de marquer durablement les esprits et la langue ; le néologisme, pensait-on, était promis à disparaître du dictionnaire des formules politiques pour intégrer celui, éphémère, des bons mots journalistiques. Huit ans après, pourtant, le terme est plus que jamais d’actualité et Zemmour, en course pour l’Elysée, est dans tous les esprits ! La transfiguration d’un Le Pen en Zemmour venant à son tour hanter et pervertir les esprits ne relevait ni d’un simple effet de mode, ni de quelque opération de marketing éditorial… Derrière le show médiatique, se dégageait une tendance lourde, qui pèsera toujours plus fortement sur une scène politique en proie à la confusion, et bouleversée dans la dernière ligne droite avant l’Elysée par la guerre livrée en Ukraine par un Poutine que Zemmour avait érigé en modèle.
Nullement récusée, sinon cautionnée, par l’un ou l’autre des intéressés, l’analogie induite entre le père fondateur du FN, un ancien de l’OAS porteur d’une tradition française d’extrême droite volontiers antisémite et le journaliste issu de cette communauté juive algérienne rapatriée en France durant la guerre d’Algérie, est pour le moins troublante… et édifiante ! Elle renvoie l’écho d’un puissant choc de cultures, que la classe politique comme l’opinion se sentiront tenus d’étouffer, par un accord tacite, de crainte de se voir accuser de stigmatisation identitaire ou communautaire, quitte à faire le jeu du FN/RN en entretenant l’illusion de sa mutation en un parti normal, ayant apuré ses comptes avec son passé antisémite. Les détracteurs de Zemmour, quelle que soit leur sensibilité politique, n’osent dire, même tout bas, ce qu’ils pensent tout haut (pour paraphraser une formule chère à Jean Marie Le Pen)… et Zemmour prend un malin plaisir à narguer ces esprits étriqués et chagrins, engoncés dans ce politiquement correct qu’il affirme abhorrer, qui pourraient se montrer choqués par son alliance contre-nature/culture, avec une extrême droite qu’il se flatte, pour sa part, d’avoir aidé à se libérer de certains de ses vieux démons… sans les nommer vraiment.
Ce silence pesant sur des origines qui n’ont d’ailleurs rien d’un mystère, alourdi par des non-dits qui seraient animés forcément par quelque arrière-pensée antisémite, sera le précieux allié de Zemmour dans sa fuite en avant médiatique au service d’un FN qui fait mine lui aussi de faire la sourde oreille, mais n’en pense pas moins. Ce silence entendu, c’est la cuirasse de Zemmour, c’en est aussi le défaut. Car à le voir enfourcher le cheval de bataille de la lutte contre l’immigration et l’Islam, au nom de laquelle il a scellé un pacte avec le FN sur les fonts baptismaux de l’ « Etat-nation français », à l’entendre vitupérer contre les communautés immigrées au détour d’entretiens accordés aux media français et étrangers, dans ses discours prononcés lors de meetings de campagne ou à la tribune de forums populistes, comme le 26 septembre, celui de Budapest sur la démographie dont il fut l’un des invités d’honneur, aux côtés de Marion Maréchal Le Pen, sa future alliée, en se réclamant toujours des valeurs du terroir français, la question se pose, lancinante : d’où parle l’auteur du « Suicide français » et de tant d’autres brûlots, pourquoi, et pour qui ?
Entre « lepénisation » et « zemmourisation », beaucoup d’eau a coulé sous le Pont Saint-Michel, du haut duquel furent précipités, en octobre 1961, les corps des Algériens proches du FLN qui, bravant le couvre-feu, manifestaient pour l’indépendance que l’Etat français accordera à leur pays l’année suivante, après 8 ans d’une guerre coloniale à laquelle Zemmour, contrairement à Le Pen, n’a pas pris part, mais qui a déterminé sa relation à la France, où ses parents ont fui pour lui donner naissance en 1958. Mais c’est dans cette même eau mortifère, charriant les relents nauséabonds d’un passé colonial assumé sans ambages, que se baigne toujours Zemmour… jusqu’à s’y noyer ! A l’en croire, c’est la France qui y aurait sombré, emportée par le poids d’une conscience coupable suicidaire ; mais le suicide dont il est question, ne serait-ce pas plutôt celui de Zemmour lui-même ?
Sans doute Zemmour ne donne-t-il pas l’impression d’être en proie aux tourments identitaires, confessionnels ou sexuels, qui poussèrent au suicide en 1903, à l’âge de 23 ans, un Otto Weininger tiraillé entre sa culture juive qu’il renia pour se convertir au christianisme, et sa fascination pour la « Kultur » germanique… Et on ne peut que lui souhaiter de ne pas être habité par les pulsions suicidaires du jeune philosophe autrichien, dont il n’a, soit dit en passant, ni l’esprit, ni la culture philosophique ! Mais dans la haine féroce qu’il voue aux étrangers, et plus particulièrement aux Maghrébins et autres « Arabes » musulmans, qui cristallise toutes ses frustrations et ses aspirations à incarner une certaine idée, pour le moins passéiste, de la France, se tapit peut-être cette « haine de soi » du juif (der Judische Selbsthass) qu’avait conceptualisée Theodor Lessing au début des années 1930 avant d’être assassiné par des nazis à Prague et dont le jeune Weininger était l’illustration la plus tragiquement aboutie… au point qu’Hitler aurait dit de lui « Il n’y avait qu’un seul juif honnête et il s’est suicidé » !
Rien, certes, dans le comportement d’E. Zemmour, ne montre qu’il porterait sur ses épaules le fardeau des malheurs du monde, ni même plus modestement, de la France, comme autant de fautes qu’il chercherait à expier, car animé par ce sentiment de culpabilité qui « se cache au plus profond de chaque âme juive » et qui est le ferment de cette « haine de soi » théorisée par Lessing. Affichant un amour immodéré de soi, il laisse ce sentiment de culpabilité aux musulmans de France, ses bêtes noires, lesquels, faute de vouloir et de pouvoir s’assimiler, sapent les fondations de la République et causent le délitement des valeurs nationales, avec le concours de ces bonnes consciences de gauche et autres ex-68ards repentis ou non, tout aussi coupables, qui auraient troqué dans les années 80 le « dogme » d’une lutte des classes qui ne faisait plus recette contre celui de l’antiracisme, de l’anti-homophobie, de l’anti-sexisme et autres causes « wokistes » aussi vaines à ses yeux. Dans l’empire du mal visé par Zemmour, les communistes au couteau entre les dents ont été remplacés par ces antiracistes et autres droits-de-l’hommistes exécrés qui, drapés dans leurs vertus démocratiques, seraient devenus les alliés objectifs des islamistes bardés d’explosifs portant le djihad au cœur des villes occidentales ! Et il peut d’autant mieux les détester qu’il ne se sent aucunement concerné par leurs « prêches » contre le racisme et l’antisémitisme, indûment et trop longtemps associés, selon lui, dans un discours convenu soulignant les mêmes origines sémitiques des juifs et des arabes. Manifestement mal à l’aise pourtant avec cette parenté sémitique judéo-arabe, il revendique un certain particularisme lorsqu’il en vient à évoquer ses propres origines, se désignant comme un « juif d’origine berbère », les Berbères étant les descendants des populations indigènes qui dominaient le Maghreb avant que les conquérants arabes n’en prennent le contrôle au 7e siècle et y imposent l’Islam.
Mais la question de ses origines ne doit revêtir qu’un caractère anecdotique aux yeux de ce fils de pied noir juif, donc d’immigré, qui a su se soustraire au carcan d’un communautarisme attentatoire à l’intégrité de la nation française. Zemmour, lui, se sent parfaitement en règle avec son identité, proclamée résolument française, comme avec son image, en désaccord flagrant pourtant avec les dérapages contrôlés d’un discours qui valide le « délit de faciès » au nom du Français « bon teint », voire du « dolicocéphale blond », ou qui brandit de façon obsessionnelle l’étendard d’une hyper-virilité dont il n’est pas vraiment le parangon. Il se mire et s’admire, jusqu’à s’oublier, et s’aimer, dans le miroir déformant mais ô combien rassurant d’une France fantasmée, qui le reconnaît comme l’un des siens, à part entière. Une France dont il veut croire qu’elle a confiné l’antisémitisme aux marges des grandes villes et de la société, dans ces ghettos suburbains que sont les cités tenues par les caïds de la drogue et d’autres trafics issus de l’immigration. Reléguée dans ces cloaques inassimilables où elle s’est d’abord imposée comme une marque de solidarité avec les Palestiniens contre Israël, c’est là que la haine du juif s’exprimerait désormais, ouvertement, mais délestée de sa dimension raciale et réduite aux seuls vieux stéréotypes sur ses liens avec la finance.
Cet antisémitisme banlieusard d’un genre nouveau est révélé dans toute sa violence et sa cruauté en janvier 2006 par le calvaire de Ilhan Halimi, victime expiatoire du « gang des barbares ». Un fait divers aussi sordide qu’emblématique, qui marque un tournant que Zemmour souligne dans son roman « Petit Frère », publié deux ans après, inspiré d’un autre drame survenu dans les cités en 2003, l’assassinat par un jeune «beur » musulman de son ami d’enfance juif… Cette présentation allégorique d’une nouvelle forme d’antisémitisme, qui se serait déplacée vers la communauté musulmane pour y faire souche, devenant dès lors étrangère à l’ethos français, lève les dernières inhibitions de Zemmour dans son rapport à la vieille France des valeurs dont il se réclame.
De la cavale meurtrière de Mohamed Merah en 2012 à la prise d’otages sanglante de l’hypercacher de Vincennes, en janvier 2015, dans une France traumatisée par la tuerie de Charlie Hebdo puis les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, les actes antisémites portent une signature similaire, qui confirme ce déplacement de leurs auteurs aux confins de l’Islam radical et de la délinquance, dans ces territoires barbares qui représenteraient une menace croissante pour la France, car sans cesse renforcés par le flux migratoire. Et si tant est que ce soit l’antisémite qui fait le juif, alors celui-ci aurait radicalement changé, jusqu’à ne plus exister en tant que tel, dans la perception qu’il a de lui-même comme dans le regard des autres, depuis que ses ennemis se recrutent non plus dans les recoins obscurs de la France profonde, zones pavillonnaires, quartiers populaires passés du rouge au bleu « Marine » et moins encore dans la bonne bourgeoisie, mais dans ces banlieues de l’Islam qui prolifèrent à sa périphérie, comme autant de corps étrangers qu’il convient d’extirper. L’amplification du phénomène djihadiste, qui voue une même haine aux chrétiens et aux juifs, pris indifféremment pour cibles par les combattants de l’Islam fondamentaliste, conduirait ainsi au stade ultime de l’intégration, l’assimilation… ou au contraire, au point de rupture, pour ces juifs de France qui, se sentant victimes de l’antisémitisme, accomplissent leur « aylah » en Israël, où ils seront accueillis à bras ouverts, comme le rappelait l’ancien premier ministre israélien Benjamin Netanyahou en marge de la marche républicaine de Paris le 11 janvier 2015.
Zemmour, lui, a choisi depuis longtemps face à l’ennemi commun. La haine djihadiste, qu’il pressent tapie au fond de chaque musulman, l’invite à se sentir plus français encore, à s’aimer comme tel… et moins encore comme juif. Car aussi aveugle soit-elle, elle lui est plus insupportable encore, cette haine-là, qui tend à restigmatiser le juif en voie d’assimilation comme un corps étranger à la nation française, à le renvoyer dans son berceau originel moyen-oriental disputé aux Arabes. Produit « d’importation », ce lien conflictuel avec les « Arabes » qui menacerait les fondations mêmes d’une communauté juive ayant vocation à se fondre dans la nation française, révulse sans nul doute la part de judaïté mal assumée de Zemmour, il froisse un ego hexagonal qui veut maintenir dans l’ombre l’étoile hexagonale de ses origines.
Zemmour prétend s’y soustraire en tout cas, et se tient à bonne distance de la zone de conflit israélo-palestinienne, lorsqu’il s’en prend aux musulmans : embrassant fort opportunément la cause des chrétiens d’Orient, il se sent plus à l’aise de toute évidence dans d’autres zones de conflit, sinon celui embrasant l’Ukraine, qui met à mal ses positions poutiniennes, en tout cas celui qui oppose au sud du Caucase l’Azerbaïdjan turcophone et musulman à l’Arménie chrétienne, en première ligne selon lui de ce choc des civilisations dont la France serait devenue aussi le théâtre. C’est d’ailleurs en Arménie qu’il effectue le 11 décembre 2021 son premier déplacement à l’étranger en qualité de candidat à la présidence de la République, dévoyant le combat des Arméniens du Haut-Karabagh pour leur droit à l’autodétermination en une guerre de religions au service de sa croisade… et de sa campagne, espérant au passage s’attirer la sympathie et les votes de l’importante communauté arménienne de France. L’animosité de Zemmour envers les musulmans, comme Zemmour lui-même, sont des produits « made in France », une France réconciliée dans laquelle les musulmans n’ont pas leur place. Et c’est pour se lancer lui-même à la « Reconquête » de cette « vraie » France, qu’il enfonce, de la pointe de ses souliers vernis, des portes largement ouvertes à coups de Doc Martin par les maîtres à penser des skinheads et autres nervis d’extrême droite, dont l’islamophobie a depuis quelques années déjà pris le pas sur l’antisémitisme. Les projecteurs des media leur donnent l’éclat de la nouveauté, mais ce sont ces mêmes vieilles lunes qui ont éclairé l’extrême droite de leur bien pâle lueur que décroche Zemmour, le même bouillon d’inculture qu’il nous sert. Ce fatras d’idées choc, régurgitées et assenées par le polémiste depuis des années, n’a rien de nouveau, si ce n’est qu’il est labélisé « Z… comme Zemmour »! C’est aussi pour cela que son discours logorrhéique a porté, et sur la durée, bien plus que celui d’Alain Soral par exemple, qu’il a remplacé au pied levé sur les plateaux télé au début des années 2000, reprenant à son compte son bric-à-brac idéologique marqué au sceau de la provocation, mais en purgeant celle-ci de ses tonalités antisémites ; le franchissement de cette ligne rouge avait signé en grande part la perte médiatique d’A. Soral, éternel trublion qui a revêtu, après ses frasques de potache antisémite exécutées à coups de quenelles aux côtés de Dieudonné, les habits plus ternes d’idéologue de la « vieille école » du FN.
Le FN/RN l’a bien compris, qui a cherché à instrumentaliser Zemmour bien plus efficacement qu’il ne pouvait le faire avec un Dieudonné pour exorciser ses démons racistes. Il sait le parti qu’il peut tirer d’une « zemmourisation des esprits », autrement plus payante et novatrice, en termes d’image, qu’une « soralisation », une « mbala-mbalaïsation »… ou encore une « Houellebequisation » ! Il sait comment utiliser à son avantage les troubles et complexes identitaires des transfuges de certaines « communautés », leur désir profond d’une reconnaissance nationale et extra-communautaire, leur besoin obsessionnel de se fondre dans la nation pour faire corps avec elle, qu’il s’agisse d’homosexuels (tel l’écrivain Renaud Camus, dont la formule « le grand remplacement » a été reprise en chœur par Zemmour et les ténors de l’extrême droite française et européenne), d’arabes ou de juifs « outés » frontistes, toujours les bienvenus dans l’auberge espagnole des idées populistes qu’est devenu le parti de Marine Le Pen, pour contrer les procès en homophobie, racisme, antisémitisme, etc… et brouiller les repères !
Zemmour se targue de pratiquer l’irrévérence et se flatte d’être politiquement incorrect, mais il est hanté par le « nationalement correct », et s’est incliné avec l’humilité du courtisan devant les tenants des traditions et des valeurs françaises qui lui ont fait l’honneur de l’accepter parmi eux. Adoubé par le FN, il dispose d’un certificat d’authenticité nationale et par un échange de bons procédés, il s’est posé aussi en rédempteur du parti d’extrême droite, lui faisant don de sa personne pour l’aider à changer son image, et à en extirper le poison de l’antisémitisme. Car si la scène politique israélienne nous montre que l’on peut être juif et d’extrême droite, cette association, constatée également aux Etats-Unis où les républicains ultraconservateurs sont les plus ardents défenseurs d’Israël et du « lobby » juif – qui ne le leur rend d’ailleurs pas !- , est plus difficile à assumer en France, où le RN est marqué par un lourd atavisme antisémite, qui lui vaut la méfiance tenace d’autres partis populistes européens. C’est ainsi par fidélité à cette tradition antisémite que certaines mouvances du FN/RN ont affiché leur soutien aux Palestiniens, malgré le rejet épidermique des « Arabes » et autres musulmans par sa base, de moins en moins taraudée, quant à elle, par l’antisémitisme.
Associé à l’entreprise de normalisation du RN, Zemmour s’emploie à liquider cet héritage encombrant, et n’hésite pas pour cela à réécrire l’Histoire à sa convenance, pour minorer la place de l’antisémitisme dans l’extrême droite française et plus généralement dans la France contemporaine. C’est ainsi qu’il dénonce avec véhémence les dommages causés à l’orgueil national français par l’historien américain Paxton qui avait établi que le régime de Vichy était complice des nazis dans l’élimination des juifs, une lecture de l’Histoire de l’Occupation en France qui se serait imposée depuis les années 1970 comme une « doxa » à laquelle il oppose une lecture antérieure, exonérant le régime de Vichy de toute intention génocidaire et lui accordant le mérite d’avoir sauvé les juifs de France, fût-ce au sacrifice des juifs étrangers réfugiés sur le territoire….
Qu’il s’agisse des juifs immigrés hier, ou aujourd’hui, des Arabes musulmans ou autres étrangers inassimilables, Zemmour envisage donc sereinement, pour endiguer le « grand remplacement » à l’œuvre en France plus qu’ailleurs en Europe, qu’ils puissent être expulsés du sol français, s’ils ne le quittent de leur plein gré, tels ces juifs de France qui ont choisi l’aylah vers Israël, tout aussi étrangers et inassimilables suivant sa logique ! Non décidément, Zemmour ne risquait pas de figurer sur la liste des juifs que le FN avait voués aux gémonies pour avoir voulu faire porter à la France le poids de la culpabilité de la Shoah…. Une culpabilité passée par pertes et profits d’ailleurs de ce « grand remplacement », qui se serait traduit aussi par le « remplacement » de l’antisémitisme traditionnel, que l’on tend à excuser, et pas seulement dans l’extrême droite, en le qualifiant de « culturel », par un antisémitisme exogène, étranger à la nation française !
La haine de soi qui a poussé Zemmour dans les bras du RN dont il s’est émancipé ensuite pour voler de ses propres ailes en politique et partir à la « re »conquête de la France, se projette essentiellement sur l’Islam et les musulmans, qui en font les frais, mais cette islamophobie qu’il attise, avec les autres « phobies » qui cristallisent le pathos d’extrême droite, le renvoie, par un effet de miroir, à l’identité qu’il s’emploie à gommer. En conjurant sa haine de soi par un narcissisme exacerbé et par la haine de l’autre, de l’étranger, dont il porte une part en lui, il espère gagner l’amour et la reconnaissance dont il est en quête de la part d’une certaine France, La France qu’il voudrait incarner, qui lui vaut son dernier best-seller, et au nom de laquelle il brigue la magistrature suprême, avec des accents gaulliens, voire gaulois, qui ne devraient tromper personne. Bien loin du mâle viril et de ces « dolicocéphales blonds » pour lesquels il éprouve une fascination malsaine, il reste ce polémiste en mal de racines qui œuvre, dans le déni de ses origines, à la normalisation de l’extrême droite, prêtant sa voix à son discours islamophobe et xénophobe, jusqu’à s’y perdre, mais qui refuse par-dessus tout de passer pour son « juif de service », comme le suggéra Yannick Jadot. Il peut bien se cacher derrière des prénoms, pour mieux oublier celui qu’il hait et/ou est. Il répète à l’envi que l’un des critères d’assimilation de l’étranger, c’est de porter un prénom français. Va pour Eric, Justin, Léon, mais quid de Zemmour ? On s’étonne que la haine de soi ne l’ait pas conduit, sinon au suicide, en tout cas aux services de l’Etat civil, pour modifier son patronyme… Pourquoi pas le « remplacer » par Eric Semeurt !

Gari ULUBEYAN

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Author: raffi

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